La Réalité augmentée (RA) entame sa mue : dépassant l'effet gadget, elle s'inscrit désormais durablement dans le paysage, notamment dans les stratégies servicielles des marques. Et pourtant … malgré un engouement qui ne se dément pas, difficile aujourd'hui d’imaginer les multiples manières dont ce concept ô combien fascinant va se décliner dans le futur. Décryptage.
Les GAFAM aux commandes
Ce qui est indéniable, c'est son succès. D’après les estimations du cabinet IDC, 24 millions de produits de réalité augmentée s’écouleront en 2021, un chiffre impressionnant, surtout lorsque l’on sait qu’en 2016 on en comptait à peine à 160 000 !
Les grands acteurs du marché ? Sans surprise, vous les connaissez :
- En 2017, Apple et Google ont respectivement lancé l’ARkit et l’ARCore qui permettent aux développeurs d’avoir accès à des frameworks puissants afin de créer des applications en RA facilement et à moindre coût.
- Microsoft est aussi passé aux choses sérieuses lors du Mobile World Congress (MWC) de février dernier en dévoilant une nouvelle version de son casque de réalité augmentée, de réalité mixte pour être plus précis, les HoloLens 2, dont les évolutions rendent l’appareil plus confortable, plus immersif grâce à un champ de vision étendu ou l’intégration de la technologie eye-tracking.
- Facebook et Snapchat viennent à leur tour compléter cette liste. Snapchat continue à développer ses filtres ainsi que du gaming en réalité augmentée, s'allie avec Amazon pour proposer du shopping en RA ; de son côté, Facebook a lancé un nouveau format publicitaire en RA ainsi que des dispositifs spécifiques avec des marques comme L’Oréal ou Michael Kors … et prépare en coulisses également un casque de réalité augmentée.
Ajoutons à cette liste prestigieuse de nombreuses start-up que Le Hub de Bpifrance a cartographiées pour la France en reprenant les différentes briques qui composent la chaîne de valeur.
Des usages en plein boom
En toute logique, les marques ont également investi l’arène, adoptant une courbe exponentielle d’apprentissage. De fait, la RA dépasse le stade du ludique et du gaming pour pénétrer quasiment tous les domaines et tous les secteurs. Ainsi, on ne présente plus l’application Ikea Place destinée à tester les meubles en réalité augmentée avant de les acheter. Et il faut reconnaître que l’outil est remarquable du point de vue de l’expérience utilisateur : il permet non seulement d’adapter le meuble à l’échelle de la pièce mais également de tourner autour afin de le scruter sous toutes ses coutures. Et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Des tutoriels en RA – les superpositions numériques montrant comment construire une machine ou appliquer du maquillage pour les yeux - pourraient bien supplanter les démonstrations Youtube classiques plébiscitées sur la plateforme et plus généralement les notices d’utilisation accompagnant les produits que nous achetons.
Que dire par ailleurs des nombreux secteurs à révolutionner, depuis la maintenance à distance jusqu'à la formation en passant par le bâtiment (les applications du BIM combinées à la réalité augmentée pour les chantiers de bâtiment sont immenses !), le tourisme, ou la santé, particulièrement concernée par ces applications pour le moins performantes : ainsi la medtech Pixee Medical propose une première solution de chirurgie orthopédique assistée par ordinateur utilisant la réalité augmentée pour améliorer la pose de prothèses totales du genou … Et ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres d'un potentiel formidable !
Conjuguer les technos
Formidable mais pas encore à même d'être exploité à fond, et ce pour plusieurs raisons. Nous sommes actuellement au stade des expériences de RA vécues individuellement et en mode silo ; or le vrai défi consiste à conjuguer technologies et innovations pour multiplier des utilisations que l'outil abordé individuellement ne pourrait apporter. Cela peut s’envisager de deux façons, soit dans un premier temps à partir du mobile en combinant les avancées technologiques de nos terminaux comme l’assistant vocal ou la reconnaissance visuelle, soit en dépassant le cadre même du mobile dans le contexte à venir du développement des interfaces naturelles et de l’ère post pc.
Les GAFAM semblent pour l'instant se concentrer sur les casques de réalité augmentée. On vous citait précédemment Facebook ou encore Microsoft, mais ils ne sont pas les seuls. En août dernier, Apple a acquis la société Akonia Holographis, une start-up spécialisée dans les lentilles équipant les lunettes de réalité augmentée. Néanmoins pour être vraiment performants et s’adapter à toutes les configurations, ces casques vont devoir être encore améliorés, en imbriquant des technologies pointues : le video see-through qui reproduit sur l’écran l’environnement filmé devant les yeux de l’utilisateur, des technologies de Simultaneous Location and Mapping (SLAM) afin de reconstituer l’environnement en 3D de manière très précise ou encore la détection du regard (eye-tracking), un dispositif qui place les informations là où l’utilisateur porte les yeux …Bref il y a encore une nette marge de progression à accomplir.
Vers un cloud RA ?
Pour le consultant américain en RA/ RV Charlie Fink, auteur de deux livres sur le sujet, nous sommes cependant à un tournant : le monde est sur le point d'être peint de données. Dans tous les endroits. Partout. Chaque personne. À court terme, cette couche numérique invisible sera révélée par la caméra de notre téléphone ; à long terme, elle sera incorporée dans un appareil intelligent portable. Le tout sera combiné à de l’audio, de l’IA et les utilisateurs contrôleront le dispositif à l’aide d’une combinaison de commandes vocales, gestuelles et d’une bague connectée pour transformer la main en télécommande.
Pour passer ce nouveau cap et changer la donne, il faut aborder les questions d'interopérabilité et privilégier le développement de solutions de réalité augmentée « persistantes », dans le Cloud, favorisant ainsi la création, l’accès et surtout le partage d’expérience de RA entre différents et multiples utilisateurs. Ce cloud RA regroupera un ensemble de technologies permettant un calcul spatial transparent par le biais d'écrans de réalité augmentée et mixte à travers le monde physique. Bien sûr, cela ne se fera pas du jour au lendemain. De nombreuses questions se poseront notamment autour de la gestion des données et la sécurité. Il faudra également passer par le concept de l’« Universal Visual Browser » : en d’autres termes, vous pointerez votre téléphone sans lancer d’app … et il ira extraire le contenu du cloud ! En bref, un véritable moteur de recherche du monde réel.
Vous riez ? Vous êtes de ceux qui pensent que ces challenges sont bien trop complexes, que cela relève de la science-fiction ? Durant le très récent MWC19 cité plus haut, Microsoft a lâché une bombe en annonçant travailler sur une plateforme de cloud RA globale. Alex Kipam, l’ingénieur informatique de l'entreprise à l’origine de HoloLense, a ainsi déclaré que chaque appareil photo pourrait être utilisé pour construire la carte SLAM pour le cloud RA. En somme une réalité bien réelle puisqu'en plein développement !
MD