Tribune de Mathieu Vicard, directeur général de l’agence Adrénaline, agence de communication globale membre de l’AACC - Association des Agences Conseil en Communication.
Le dernier clip des rappeurs Bigflo et Oli, “ça va beaucoup trop vite” a créé l’émotion… et la polémique. En effet, dans l’incipit du clip, il est précisé : “On a donné nos paroles à une intelligence artificielle. Elle en a fait un clip.” Et le clip déroule ses 49 225 images générées par IA à un rythme hallucinant. Au point que certains conseillent de le voir en vitesse réduite de 0,75 pour mieux suivre paroles et images.
Les artistes développent leur choix dans une courte explication : “On a volontairement utilisé l'intelligence artificielle parce que le morceau parle des avancées toujours plus rapides de l'humanité et de jusqu'où celles-ci pourraient nous mener. L'utilisation de l'intelligence artificielle pour ce clip nous semblait intéressante pour interroger sur le futur de l'artiste au milieu de tout ça. (J'ai eu 6/20 au bac de Philo donc c'est mal expliqué mais t'as compris a peu près le truc)”.
Visuellement, le clip est fou, on en prend littéralement plein les yeux, et c’est une illustration assez magistrale du titre “ça va beaucoup trop vite” !
Reste l’accusation, largement relayée, du caractère problématique de ce clip, réalisé “sans qu’aucun être humain n’ait participé à la création des images”.
Les arguments anti sont de 3 ordres :
1- Les images générées par intelligence artificielle sont du pillage, dans la mesure où les algorithmes se sont entraînés sur des images d’artistes sans que ceux-ci ne touchent de droits d’auteur.
2- Le recours à l’IA est un danger à court terme pour l’existence des créateurs et des artistes, avec un risque de remplacement de l’homme par des machines.
3- De toute façon, l’IA ne peut pas avoir de démarche artistique parce que celle-ci est fondée sur les émotions, qui sont une caractéristique exclusive des humains et pas des robots.
Sur le premier point : il est bien sûr important de préserver les droits d’auteur, et il est clair que tous les acteurs n’ont pas été exemplaires au moment d'entraîner leurs modèles. Cela dit, il ne faut pas oublier que le recours à l’inspiration, lui, a toujours existé. Aucune œuvre ne naît d’une page absolument vierge, l’artiste est toujours influencé dans son process créatif par ce qu’il a vu, étudié, et aimé. Et, sauf grossière erreur de prompt, la plupart des contenus générés par IA ne permettent pas de reconnaître spécifiquement une œuvre ou une autre. On n’est donc pas dans le plagiat.
Le second argument est vieux comme le monde… ou presque ! Une nouvelle technologie émergente bouleverse les modes de travail et se traduit par la disparition de certaines tâches. Et c’est donc une source d’inquiétude légitime. Mais c’est également une opportunité qui se traduit par l’essor de nouveaux métiers, y compris créatifs. Par exemple, l’invention de la photographie il y a 150 ans n’a pas réjoui les artistes peintres. Et pourtant aujourd’hui, il y a toujours des peintres. Et il y a aussi des photographes !
Le troisième argument a une dimension philosophique sur l’essence de l’art 😉 Je ne vais pas entrer dans ce débat, mais laisser la parole à NEB. C’est lui qui se cache derrière le clip de Bigflo et Oli, qu’il a passé plus d’une centaine d’heures à réaliser pour imaginer et écrire à l’aide de l’IA ce qui représenterait les paroles en images. Alors ? Qui est NEB ? Technicien ? Créateur ? Lui se définit comme “Artiste IA”. Un artiste donc, qui utilise les potentialités d’un nouvel outil pour développer une nouvelle forme d’art.
L’irruption de l’intelligence artificielle générative dans nos métiers (vite, beaucoup trop vite) n’a pas fini de faire parler. La musique, la vidéo, et plus largement tous les métiers créatifs, vont radicalement changer dans les prochaines années : à nous, artistes, créatifs, communicants, de nous saisir de ce nouveau terrain de jeu.
Et en attendant, que cela ne vous empêche pas d’aller découvrir le travail original et unique de NEB, Bigflo et Oli dans leur clip spectaculaire !
