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Pourquoi les multi-channel networks bouleversent l’industrie des média

Rachat de Mixicom par Webedia : pourquoi les multi-channel networks bouleversent-ils l’industrie des médias

par Quentin Molinié, Directeur Associé de eCap Partner (conseil cédant dans l’opération d’acquisition de Mixicom par Webedia)

 

La semaine dernière, le groupe Webedia annonçait l’acquisition de Mixicom, le 1er multi-channel network francophone avec plus de 200 millions de vue par mois et 30 millions d’abonnés cumulés. L’opération fut très médiatisée compte-tenu de la présence au sein du réseau de YouTubers stars tels que Norman ou Cyprien.

Mais au delà du buzz médiatique, quels sont les rationnels de cette opération ? Comment s’explique cette frénésie d’acquisition de MCN par les groupes média ces 3 dernières années ?

Retour sur l’histoire des multi-channel networks

 

Les multi-channel networks (ou MCN) sont à l’origine les équivalents des régies Internet, à la différence qu’ils ne prennent pas en gestion publicitaires des sites Web mais des chaines YouTube. Les MCN ont à l’origine deux sources de revenus, qu’ils partagent avec les talents : les revenus des bannières et pre-roll AdSense présents sur les chaines des YouTubers, et le branded content. Un branded content est une opération publicitaire mettant en scène une marque ou un produit au travers d’un divertissement, en l’occurrence ici une vidéo. Exemple ici pour la sortie du film Avengers :

 

Avec le temps, les prérogatives des MCN se sont élargies à d’autres compétences clefs : mise à disposition de studios, conseil en communication, gestion des droits en ligne, optimisation du référencement etc. En ce sens les MCN ont dépassé le concept de régie, en se rapprochant des métiers des majors du cinéma et de la musique telles que Warner Bros ou EMI.

 

Les MCN sont apparus aux Etats-Unis en 2006, mais ont commencé à intéresser sérieusement l’industrie des médias en 2013. Depuis cette date, on compte plusieurs dizaines de prises de participations et d’acquisitions. Les transactions impliquent généralement un groupe média traditionnel et un MCN en forte croissance. Le rachat de Maker Studios par Disney en 2014 (1 milliard de dollars) ou l’acquisition de Awesomeness TV en 2013 par Dreamworks (117 millions de dollars) font partie des transactions symboliques dans l’industrie des MCN.

 

En France, on notera l’acquisition de Studio Bagel par Canal + en 2014, et la dernière en date, le rachat de Mixicom par Webedia. TF1 a également annoncé en cette rentrée un partenariat privilégié avec le MCN Finders, qui pourrait également aboutir à une transaction. M6 fut précurseur avec la création en interne de Golden Moustache fin 2012. Son actionnaire, RTL Group, a d’ailleurs fait l’acquisition du MCN américain StyleHaul en 2014 (162 millions de dollars).

 

A chaque fois on note des valorisations très élevées au regard du chiffre d’affaires et de l’EBITDA des cibles (souvent négatif). Comment expliquer ces multiples de valorisation exceptionnels ? En quoi les MCN sont-ils des « must have » pour ces groupes ?

 

Les groupes média à la poursuite de leur audience

 

Ces acquisitions stratégiques s’expliquent par deux phénomènes : les bouleversements à l’œuvre dans la consommation de contenus, en particulier chez les Millennials, et l’évolution globale de la publicité en ligne et de sa perception par les consommateurs.

 

Après un passage du print au Web dans les années 2000, on note aujourd’hui une double révolution : celle du passage du Web fixe au Web mobile, et du contenu écrit au contenu vidéo. Ainsi la vidéo représente plus de 60% du trafic sur Internet, et les français passent aujourd’hui en moyenne 16 heures par mois devant des vidéos en ligne (janvier 2014) – une croissance de 200% par rapport à 2011. Dans le même temps, le mobile est devenu le terminal numéro 1, et représente aujourd’hui la majorité du trafic sur les sites médias.

 

En conséquence la vidéo en ligne devient le canal roi, au détriment de la télévision notamment. En France la consommation de télévision par les 13-24 a ainsi baissé de 31% entre 2008 et 2013. Aux Etats-Unis, celle-ci a baissé de 19% en 2013 seulement.

Cette migration rapide profite essentiellement à YouTube qui compte pour 90% de la consommation de vidéos en ligne, et qui devrait représenter 78% du trafic Internet d’ici 2018.

cession-mixicom

Cette révolution des usages rend nécessaire une révolution dans la production de contenus. Ces contenus doivent être snackable, consommables rapidement, en mobilité. Compte tenu de la boulimie en vidéo des jeunes internautes, ces contenus doivent être produits de façon massive, et donc à couts limités. Ici c’est l’approche test & try qui prévaut, celle-ci permettant de cerner rapidement les attentes d’une audience via les données de visionnage, et de s’adapter en conséquence. Un vrai bouleversement pour des groupes média pas toujours réputés pour leur agilité.

 

Les multi-channel networks sont emblématiques du paysage publicitaire audiovisuel à venir

 

En conséquence on constate un basculement des budgets TV vers YouTube, et donc vers les MCN. Un certain nombre d’agences média recommandent aujourd’hui de transférer pas moins de 25% de leurs budgets TV vers la vidéo en ligne. Il s’agit en effet de toucher les Millennials, qui représenteront 75% de la population en 2020, qui sont leaders d’opinions sur un certain nombre de marchés, et dont le pouvoir d’achat en termes de médias et de divertissement est le plus important.

 

Si les Millennials sont des cibles alléchantes, ils sont pourtant les moins réceptifs à la publicité digitale traditionnelle compte tenu d’un déficit d’attention croissant face à une surexposition aux médias, et d’un suréquipement en adblocks. D’autant plus que cette audience est essentiellement mobile, et que le display mobile n’a pas encore vraiment trouvé sa voie avec des rémunérations encore faibles pour les éditeurs, des formats peu convaincants, et l’arrivée récente des adblocks sur les stores mobiles.

 

En conséquence de ces évolutions, on observe une montée en puissance du branded content avec des marques devenant médias, proposant une expérience publicitaire moins intrusive. Qu’il s’agisse de publi-rédactionnel renouvelé à la Buzzfeed ou de l’organisation et la couverture d’évènements à la Redbull, la publicité en tant que contenu divertissant connaît un succès croissant chez les annonceurs et les agences. En 2013 on ne compte pas moins de 1100 campagnes orientées branded entertainement (le branded content poussé au bout de sa logique) réalisées dans le monde – une croissance de 22% sur un an.

 

Avec ce paysage en tête, on comprend mieux pourquoi les MCN représentent le graal pour l’industrie des médias :

- L’audience des MCN est composée essentiellement de Millennials (80% en moyenne)

- Les contenus sont des vidéos, le plus souvent courtes et consommées sur mobile

- Les YouTubers et leurs MCN savent produire des contenus à très forte audience pour des coûts presque nuls

- Les données de visionnage génèrent beaucoup de data, facilement exploitables

- Les revenus des MCN proviennent essentiellement de branded entertainements, par nature immunisés contre la lassitude des internautes

 

En substance, la vague actuelle de fusions & acquisitions stratégiques chez les multi-channel networks se comprend aisément. Les MCN sont des entités ayant réussi la où la majorité des groupes médias se cassent encore les dents : à savoir la maitrise des nouveaux standards en termes de production, de distribution, de marketing et de monétisation de contenus.

 

 

Sources

 

 

Fondée en 2011, eCap Partner est une banque d’affaires spécialiste du numérique. Elle accompagne les entrepreneurs et leurs actionnaires sur des opérations de cession d’entreprise, de croissance externe et de levée de fonds. Depuis sa création, eCap Partner a accompagné plus de 30 transactions, pour un montant cumulé de 150M€.

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