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Michaël Nathan (SIG) – Savoir parler à tous : la communication publique à l’heure de l’expérience utilisateur

Placée sous l’autorité directe du premier ministre, le Service d’information du Gouvernement (SIG) informe notamment le grand public des actions du Gouvernement et coordonne la communication des ministères.

C’est un acteur majeur : le marché mutualisé d’achat média coordonné par le SIG place l’Etat dans le Top 10 des annonceurs en France. Par ses spécificités, notamment l’impératif de parler à tous les publics, le SIG a de quoi inspirer les professionnels de la communication, y compris du monde privé. 

Nous avons voulu en savoir plus, et avons interviewé Michaël Nathan, directeur du SIG.

Nous sommes heureux, par ailleurs, d’accueillir Michaël au Grand Jury de la Nuit des Rois 2024

Photographie de Delphine Perrin/Hans Lucas.

Pouvez-vous présenter le SIG ? 

Le SIG, qui compte 93 ETP, est organisé autour de quelques activités spécifiques. :

  • L’analyse de l'opinion : avec une équipe chargée de la veille et de l'analyse de divers sondages et la surveillance des médias et des réseaux sociaux.

  • La coordination interministérielle : ainsi, le SIG a un rôle d’animateur. En lien, notamment, avec les directions de la communication des ministères et les conseillers en communication, afin de construire des dispositifs de communication. Pour nous accompagner, le service coordonne plusieurs marchés mutualisés dont celui d’achat média, création des campagnes, production de contenus, études et sondages, etc. 

  • La communication directe du Gouvernement, particulièrement dans le digital à savoir les réseaux sociaux et Gouvernement.fr. Ainsi, au cours des cinq dernières années, cette activité a été industrialisée, puisque nous comptons actuellement 2,6 millions de followers soit une des plus grosses audiences parmi les sites institutionnels.

  • Communication intermédiée : nous avons également une mission d’amplification qui passe par les sphères institutionnelles des services déconcentrés et le relais par des tiers de la société civile: C’est un aspect essentiel, car  la structure de l'État est certes complexe, mais elle est très puissante et présente partout. En plus de ces relais institutionnels, nous mettons également en place des partenariats avec des acteurs de la société civile. Aujourd'hui, nous comptons plus d'une centaine de partenariats privés

Pourquoi être passé du privé au public ? Et quel a été votre “rapport d’étonnement” ?

Le SIG a été une opportunité. Je suis toujours allé vers des projets compliqués. J’ai travaillé dans le luxe, quand ce secteur entamait sa transformation, puis dans le B to B lorsqu’il n’avait pas encore commencé sa transformation, puis dans le public. Ce furent à chaque fois des environnements dotés d’un potentiel très élevé et nécessitant une transformation extrêmement profonde.

La structure de la communication gouvernementale ressemble à ce qui se passe dans les grandes entreprises : c'est une structure matricielle avec des entrées verticales et horizontales, très ramifiée, avec beaucoup de potentiel, mais qui n'était pas organisée du point de vue de la communication. Il y avait un enjeu de modélisation. Il fallait chercher, théoriser et modéliser une approche. 

Enfin il y a la question du sens : la communication est nécessaire pour informer les citoyens de la mise en œuvre des politiques publiques et donc restaurer le lien de confiance de l’usager vis-à-vis de l’action de l’Etat. Assez vite, j’ai compris que je ne m'étais pas trompé sur le potentiel mais que le défi serait plus difficile que prévu. Je suis arrivé dans un monde que je ne connaissais pas bien, et dont le processus de transformation serait long. En cinq ans, je pense que nous avons franchi de véritables étapes. Cela a été un peu plus long que prévu en raison de certains imprévus auxquels toute entreprise a pu être confrontée. Je pense notamment à la crise des Gilets Jaunes, puis à la réforme des retraites et, au milieu de tout cela, la méta-crise ultime du COVID. 

Qu'est ce que le privé peut apprendre du public ?

Toutes les entreprises sont confrontées à la problématique de la responsabilité sociétale et se demandent comment aborder le sujet du point de vue de la communication et du marketing.  Elles aspirent à définir et clarifier leur raison d'être. Le public est en avance sur le privé en la matière. Ce que le secteur public peut leur apprendre, c’est comment communiquer en mettant en avant l’intérêt général. 

La singularité de la communication publique, c’est qu’elle doit s’adresser à tout le monde, vraiment à tout le monde. Peu d'organisations, en dehors du secteur public, partagent cet impératif. Cela nécessite une créativité particulière, d’une certaine manière un peu comme les entreprises privées qui doivent penser "global local" : combiner des messages universels et des messages spécifiques à chaque région.

Si on veut toucher tout le monde, le risque est de ne toucher personne. Il faut donc savoir être à la fois général et précis. Nous le faisons de manière sophistiquée. Nous nous efforçons constamment à trouver des solutions adaptées à ce défi.

Quelles transformations ont été menées ces dernières années ?

Notre but principal a été d'améliorer l'efficacité et l'impact de la communication gouvernementale, en adéquation avec les attentes des différentes audiences.

Notre parcours de transformation des cinq dernières années s'est articulé autour de trois étapes principales : la création d'un cadre commun, l'adoption d'une vision partagée, et finalement, la mise en œuvre concrète d'un modèle commun.

Nous avons commencé par un audit pour identifier les faiblesses de notre communication. La première étape a concerné l’ubiquité de la marque. Nous avons donc établi un cadre commun pour les référentiels d'identification. L'objectif était de s'assurer que, quel que soit l’émetteur, nous soyons reconnus de manière uniforme. Nous avons donc entrepris un important travail de normalisation, incluant la création d'une charte graphique commune, adaptable aux différents environnements digitaux. La marque de l’Etat créée, nous l’avons ensuite accompagnée d’un volet accessibilité, pour garantir à chaque usager un égal accès à l’information, ainsi que la mise en place du Design system, permettant d’améliorer la qualité, l’accessibilité, le design, le coût et la rapidité de développement des sites.

La transition vers une vision partagée a marqué la deuxième étape de notre processus. Cela a impliqué une stratégie de communication cohérente pour tout l'écosystème gouvernemental, avec une coordination interministérielle spécifique.

L’objectif principal est de gagner en visibilité et lisibilité tout en continuant de partager le cadre commun dont nous sommes garants. Cela nécessite de passer par un travail coordonné avec les Ministères afin d’adresser nos cibles plus spécifiquement pour gagner en efficacité. Par exemple comment nous pouvons nous inspirer des bonnes pratiques des campagnes de communication opérées par la sécurité routière sur les changements de comportement pour les appliquer à des campagnes de santé publique. 

Cette approche de mise en résonnance de nos communications pour les rendre plus impactantes est la troisième étape majeure de notre transformation et notamment sa déclinaison opérationnelle qui est en cours de déploiement. 

Pour y remédier nous avons mis en place le cadre commun de la marque, la vision commune et nous devons maintenant mutualiser nos efforts et coordonner nos actions pour que les politiques publiques prioritaires soient mieux perçues et mieux comprises par les usagers.

Comment s’insère votre communication dans le parcours de l’utilisateur qu’est le citoyen ?

Comme partout ailleurs, il est essentiel de se placer du point de vue du récepteur plutôt que de l'émetteur. La sphère institutionnelle, souvent jugée trop technique, a tendance à utiliser un jargon peu accessible pour les citoyens. Pour corriger cela, nous avons adopté une approche centrée sur le citoyen.

Cela implique de penser à la formulation de nos messages en fonction de ce que les gens se demandent réellement. Quand nous préparons des supports pour communiquer sur les politiques publiques, nous analysons toujours les termes recherchés sur Google et comment la presse et les journalistes en parlent. 

Si l'enjeu est de toucher un large public, nous devons considérer l'approche sur le terrain dans le quotidien de l'utilisateur, du citoyen. Il ne suffit pas de se limiter aux médias à large spectre. Si nous nous concentrons uniquement sur les médias traditionnels tels que la télévision et la radio, une partie des audiences échappera toujours à notre portée. Je fais référence, notamment à la dimension territoriale, aux personnes qui se trouvent en situation de déficience cognitive ou de difficulté de compréhension.

Il est impératif de trouver les voies et les moyens de toucher tous les segments de la population, en réfléchissant aux différents parcours, aux étapes et chemins empruntés par ces audiences. 

Expérience utilisateur / citoyen : pouvez-vous nous donner un exemple concret ?

Notre communication sur la vaccination et les tests pendant la crise sanitaire du Covid-19 est un cas intéressant. Pour les tests, nous avons choisi une approche promotionnelle, soulignant l'importance de se faire tester.

Cependant, des messages généraux comme "Il faut se tester" pouvaient être mal interprétés, et des détails importants, tels que l'isolement en cas de test positif, n'étaient pas toujours bien compris. Pour améliorer la communication, nous avons adopté une approche axée sur le parcours type de l'utilisateur. Par exemple, pour la campagne de tests, le moment d'attente des résultats était clé. Nous avons créé des supports spécifiques à ce contexte, comme des dépliants simples à distribuer dans les pharmacies ou les cabinets médicaux. Ces dépliants, clairs et avec trois options à cocher selon le résultat du test, guidaient les individus sur les mesures à prendre. Ce dispositif a prouvé que des stratégies ciblées peuvent être plus efficaces que des publicités génériques à la télévision.

Quels KPIS pour quels dispositifs ?

Nous avons trois objectifs de communication, que nous mesurons de manière spécifique : informer, recruter et changer les comportements.

En matière d’information, nous mesurons  l'efficacité, la rétention du message, et la réattribution à l'émetteur. Nous avons une approche complète : nous mesurons l'impact de l'information sur une politique publique à travers des post-tests, des études, mais aussi concrètement par exemple en observant le recul du non-recours aux droits. Ces indicateurs reflètent à la fois la notoriété et l'influence réelle des politiques publiques.

A titre d’exemple, nous avons pu mesurer le niveau de connaissance de la prime rénov et en même temps l’augmentation de son niveau d'utilisation. 

L'objectif est d'être utile. L'idée est de s'assurer que l'utilisateur trouve facilement ce dont il a besoin, que ce soit une information ou un service, sans avoir à le chercher. Cela semble simple, mais c'est un défi. Nous devons être présents partout : sur Google, les réseaux sociaux, et les sites administratifs. Notre but est de fournir l'information et le service au bon moment dans le cycle de vie de l'utilisateur. Pour y parvenir, nous segmentons les audiences, analysons le cycle de vie des usagers, et interagissons avec l'écosystème des partenaires.

Deuxième axe :  le recrutement. Dans la sphère institutionnelle, il y a de grandes campagnes de recrutement, en particulier pour les métiers régaliens comme l'armée, la gendarmerie, la police, mais aussi de plus en plus dans les métiers du service à la personne, notamment dans le domaine de la santé. Le processus de recrutement suit un entonnoir classique, allant de la notoriété à la conversion des suspects en prospects puis en leads. Aujourd'hui, le recrutement est un enjeu majeur, 

Le troisième axe est le changement des comportements, notamment dans la lutte contre les maladies sexuellement transmissibles et la sécurité routière. Ces domaines ont connu beaucoup d'innovation et de créativité, avec un rôle important joué par les agences sur plusieurs années. Bien que l'activité ait ralenti dans la dernière décennie, elle a repris ces dernières années.

La communication ne fait pas tout mais elle  est essentielle. Ce qui compte c'est de mesurer l'efficacité en termes de compréhension des sujets et concrètement l’évolution des comportements. 

Pouvez-nous nous partager des exemples de dispositifs ?

Un cas exemple est la Grande cause du quinquennat : Egalité Femmes / Hommes. Nous avons suivi un véritable « fil rouge », incarné par une identité commune « Toutes et Tous Egaux » pour permettre une meilleure réattribution à l’Etat.  Notre activité s’appuie sur la mobilisation au long cours de la société civile pour étendre la portée des messages, et s’articule autour des quatre piliers identifiés lors de la présentation du Plan le 08 mars 2023 : l'action contre les violences faites aux femmes, la santé des femmes, l’égalité professionnelle et économique et la culture l’égalité.

Un autre cas est la Lutte contre le Harcèlement à l’école coordonnée avec le cabinet du Premier ministre et de la ministre de l’Education nationale et de la jeunesse. Nous avons mis en place Un dispositif de communication et de sensibilisation inédit, intitulé « NE MINIMISONS PAS », qui met en lumière le décalage qui persiste entre la perception des adultes et la violence psychologique et physique vécue par les enfants.

Ce dans une approche plurimédia pour toucher largement la cible des adultes : Affichage, spot TV, digital, évènementiel.

Nous avons produit des contenus pour accompagner le dispositif média notamment la vidéo témoignage avec Christophe Beaugrand 

Enfin l’approche partenariale, du 30 novembre au 3 décembre le SIG était associé de la Famzone d’Instagram (Meta) de la gare Saint-Lazare pour sensibiliser petits et grands au bons usages des réseaux sociaux. 

Quelle lutte contre la désinformation ? 

Le SIG a eu un rôle important dans la lutte contre la manipulation de l’information au sens large (car confronté de par la nature même de ses activités) mais cette mission spécifique est désormais de la responsabilité de VIGINUM créée en 2021.

Aujourd’hui le Viginum, rattaché au Secrétariat général pour la défense et la sécurité nationale (SGDSN), joue un rôle clé. Il se concentre sur les tentatives d'ingérence de puissances étrangères par la manipulation de l'information en vue de déstabiliser un État.

Les plateformes en ligne et leurs algorithmes de recommandation contribuent largement à la diffusion de la désinformation.

En raison de nos relations commerciales avec des acteurs comme Google, Facebook, TikTok,  notre rôle prend une dimension particulière. Notre mission n'est certes pas de réguler les algorithmes des plateformes ou de réaliser des audits de cybersécurité. Toutefois, nous encourageons ces plateformes à collaborer avec nous pour mieux diffuser l'information officielle et lutter contre la désinformation. 

Ces plateformes font partie des partenaires tiers dont je parlais plus haut. Sans résoudre complètement les problèmes liés aux algorithmes et à la désinformation, ces partenariats contribuent à rétablir un équilibre, particulièrement en ce qui concerne les grandes causes d'intérêt général.

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