Snapchat qui envisage d’ouvrir un bureau en France réalise une levée de fonds de 1,8 milliards de dollars pour une valorisation de 20 milliards de dollars. L’occasion de faire le point sur le media social qui monte.
D’après les documents révélés à l’occasion par la levée de fonds, Snapchat aurait réalisé 59 millions de dollars de revenus en 2015.
La société d’Evan Spiegel projette, toujours selon la présentation remise aux investisseurs, des revenus de 250 millions à 350 millions de dollars pour 2016 et entre 500 millions et 1 milliards en 2017.
Avec 110 millions d’utilisateurs actifs journaliers (contre 74 millions en 2014), une pénétration sans pareille auprès d’un public jeune (86% de ses utilisateurs américains ont de 13 à 34 ans) et 10 milliards de vidéos vues chaque jour (chiffres publiés par l’entreprise), Snapchat attire de plus en plus d’éditeurs et de marques, qui veulent tirer profit d’une audience rêvée et d’un réseau désormais consacré par sa capacité d’influencer. En parallèle à sa levée de fonds, l’application de partage d’images et de messages éphémères met la publicité au cœur de son modèle économique.
Les essais de mise en place de produits payants par les membres, comme des filtres spécifiques ou la possibilité de récupérer des snaps détruits, ont été laissés de côté tandis que la professionnalisation des équipes chargées de la monétisation est plus que jamais en marche. L’embauche de trois spécialistes reconnus à de postes clés illustre bien la place centrale que la publicité prend au sein de l’entreprise (il s’agit d’Ali Rana, vétéran de Millward Brown, spécialiste du groupe WPP en analyse d’audiences et d’impact de campagnes publicitaires, de Gunnard Johnson, ex-directeur d’études publicitaires à Google et de Sriram Krishnan, ex-Facebook où il s’occupait de monétisation mobile).
Snapchat a également fait appel à des entreprises spécialistes de l’analytique et de l’attribution comme Datalogix (Oracle) et Millward Brown tout comme de la vérification de la diffusion publicitaire, comme Nielsen, comme le rapporte adexchanger. Des observateurs s’attendent par conséquent à ce que ses points faibles – l’analytique et l’attribution – soient améliorés, ce qui est essentiel pour rassurer les marques et pour permettre aux éditeurs utilisateurs du réseau de mieux s’y situer.
Des exploits auprès d’éditeurs, de la performance aux annonceurs
Le réseau social continue en effet de réaliser des exploits auprès d’éditeurs et de chaînes télé. Tout récemment, sa plateforme d’informations Discover a été choisie par la chaîne américaine NBC pour distribuer des vidéos sur les faits et les moments les plus marquants des Jeux Olympiques à Rio. C’est ainsi la première fois que la NBC autorise la distribution de son contenu en-dehors de ses propriétés, ce qui est une reconnaissance considérable de la force d’attraction de Snapchat pour le contenu le plus valorisé par les annonceurs, la vidéo.
Discover distribue le contenu de grands médias (essentiellement anglo-saxons pour le moment), comme The New York Times, Cosmopolitan, CNN, Fox, Buzzfeed et National Geographic et sert d’importante base pour l’attraction des budgets publicitaires. En France, Snapchat accueille les comptes et les « stories » (compilations de snaps qui génèrent une histoire) de médias français, comme Le Figaro, 20 Minutes ou Le Parisien.
En face, les annonceurs se voient progressivement offrir de nouvelles opportunités et fonctionnalités au sein du réseau, notamment vers une publicité axée de plus en plus vers la performance et la personnalisation des messages. Snapchat s’ouvre à des publicités plus interactives, intégrant des messages du type « call to action » comme le téléchargement d’applications ou la présentation de produits permettant aux utilisateurs de les acheter, le clic sur l’image les dirigeant directement vers des sites d’e-commerçants. La marque Lancôme et le distributeur nord-américain Target en ont fait l’expérience fin avril aux États-Unis dans des articles attribués à Cosmopolitan au sein de Discover, comme le rapporte Adweek.
Politique de la vie privée revue : des données pour la pub de manière explicite
Snapchat a aussi mis à jour sa politique de la vie privée, fin mars, laissant entendre pour la toute première fois qu’il s’ouvre davantage à une logique de publicité personnalisée basée sur les données pour proposer des messages bâtis en fonction des profils de ses membres. Dans le nouveau texte de sa politique de respect de la vie privée, il est clairement indiqué que les données des membres pourront être utilisées pour permettre à Snapchat de « personnaliser des services en suggérant des amis ou des informations de profils ou en personnalisant le contenu que nous vous affichons, y compris des publicités » (voir ici). La version précédente ne faisait pas d’allusion aux publicités.
Les données que Snapchat collecte sont exhaustives, comme le propre réseau l’indique : des données personnelles que ses membres lui communiquent, des données au sujet de tout contenu (photo, vidéo, texte) qui y est partagé, de toute activité réalisée, par exemple de ce qui est lu dans le site web de l’application, les identifiants des appareils (mobile, tablette, PC) utilisés par les membres pour s’y connecter, des données de géolocalisation…
Cette ouverture vers un ciblage pointu en vue de « personnaliser des services (…) y compris des publicités » ne constitue pas pour l’instant cependant une rupture avec la politique de communication traditionnellement prudente du réseau social. Dans le site de Snapchat, on véhicule l’idée d’une quête perpétuelle d’équilibre afin que la personnalisation des messages publicitaires fasse sens et ne gêne pas les membres. Ces derniers sont même invités à donner leur avis sur leur expérience publicitaire : « Nous souhaitons comprendre ce qui compte pour vous et pour votre vie et nous souhaitons vous montrer des choses qui vous intéressent. En même temps, nous ne souhaitons pas vous servir de publicités personnalisées au point de devenir invasives ou gênantes. C’est un équilibre difficile que nous ne saurons pas toujours préserver, c’est pourquoi nous comptons sur les retours des Snapchatters. »
Pour le moment, les annonceurs peuvent configurer le ciblage de leurs campagnes sur la base de segments classiques de type sociodémographique, de données de géolocalisation, de type d’appareil et de système d’exploitation ainsi que du type de contenu où la publicité sera diffusée (soit-il un contenu sponsorisé au sein d’un média de Discover, un contenu spécifique de Live Story, qui s’affiche au milieu des snaps partagés par les contacts, ou un filtre de snap). Mais la pression des annonceurs vers une segmentation encore plus poussée tout comme les capacités de collecte de données dont se dote le réseau risquent fort de changer la donne bientôt.
