Le phénomène s’était amorcé avant la pandémie ; sans nul doute cette dernière l’a exacerbé : le web devient de plus en plus intimiste tandis que le « social » entame une mue en profondeur. Et les marques dans tout ça ? Elles vont devoir changer leur fusil d’épaule. Décryptage.
Des jardins digitaux pour se mettre à nu
Voici plusieurs semaines qu’on perçoit un signal faible dans les profondeurs du web, chez certains « early adopteurs » : il s’agit des jardins numériques, terme français pour « digital gardens ». Adepte du format, Joel Hooks nous en expose le principe : « C'est un endroit où je peux afficher des idées, des bribes, des ressources, des pensées, des collections et d'autres éléments que je trouve intéressants et utiles. C'est pour les grandes choses, mais c'est surtout pour les petites choses. C'est un blog, bien sûr, mais c'est aussi un wiki ».
Le jardin numérique se charge d'idées et d'informations interconnectées que vous collectez, que vous conservez, dont vous vous occupez pour tirer des enseignements au fil du temps, puis que vous partagez. Cela, vous semble un peu abstrait ? Voici quelques exemples pour vous aider à y voir plus clair :
- Citons le site du consultant digital américain Tom Critchlow, site qu’il qualifie de « jardin sauvage. » Comme il l’explique lui-même, on y retrouve ses brouillons, ses idées ou plutôt des fragments d’idées qu’il a baptisées « des expérimentations en pensée hypertexte ».
- Autre exemple, le site du product designer Gordon Brander, consultable ici, et qu’il définit comme son « sac de tours » - modèles, règles empiriques, outils, fiches de contrôle, astuces, points de levier, questions, risques et inconnus.
Le « social » devient plus social
Vous pensez peut-être qu’il s’agit là de cas isolés ? Justement non, et pour une raison bien simple : on assiste actuellement à une démocratisation des outils qui permettent de cultiver son propre « jardin numérique. » Je pense notamment à des services comme Notion. De véritables fenêtres de l’âme, avec une façon très pertinente de se livrer, émotionnellement forte, qui amène presque naturellement le lecteur à s’engager comme le ferait un confident.
Alors qu’on assiste depuis plusieurs années à une migration des internautes vers le dark social, on constate que leur quête de socialisation les pousse à tester de nouveaux espaces d’expression … d’où la croissance insolente de plateformes de gaming, où on peut désormais assister à des spectacles, faire du shopping … cet été, on pourra même voir le dernier film de Christopher Nolan gratuitement sur Fortnite.
En parallèle, on observe une explosion de services qui entendent rendre le web plus social, justement en reproduisant des usages de la vie réelle qui étaient jusqu'alors difficiles à retranscrire dans l’univers digital. Ainsi Azlen Elza compense les manques des outils en ligne en permettant apartés, chuchotements, clins d’oeils … toutes ces attitudes, ces réactions qui disparaissent en ligne alors qu’elles sont précieuses.
Sa solution ? Un chat audio spatial appelé Cozyroom qui donne l'impression que les réunions en ligne se déroulent dans un espace physique. Ce service évoque dans une certaine mesure celui de theonline.town, un espace d'appels vidéo où on se promène pour croiser d’autres usagers pour des discussions informelles.
Quelles opportunités pour les marques ?
Et les marques dans tout ça ? Elles qui cherchaient des moyens optimaux de toucher les consommateurs au-delà des canaux classiques, en infiltrant le dark social notamment, elles se retrouvent déboussolées face à cette atomisation du social. Des conseils pour tracer son chemin dans cette foisonnante jungle ? En voici quelques-uns.
1- Plus question de faire l’impasse sur une bonne stratégie d’influence marketing à 360° ! Ne négligez aucun de vos touchpoints et surtout pas vos employés ni votre top management. Ces ambassadeurs potentiels, nourris et éduqués par votre marque, doivent aller prêcher la bonne parole dans ces sphères ... mais ils ne pourront le faire convenablement que si ils en sont elles-mêmes convaincus. Retenez cette phrase ô combien pertinente de Richard Branson : “si vous prenez soin de vos employés, ils prendront soin de votre entreprise.”
2- Pour s’infiltrer dans ces conversations sociales, qu’elles aient lieu sur un Zoom ou un Fortnite, voire même un Whatsapp, il va vous falloir des « assets » digitaux. Les marques possèdent souvent une bibliothèque d’images destinées aux relations presse avec logo et charte graphique ; eh bien elles auront à terme un catalogue dédié aux usages digitaux : gifs, stickers, filtres, background pour outils de video conferencing, voire habits et babioles digitales dédiés aux jeux en ligne. Réfléchissez à des solutions ludiques, pourquoi pas pédagogiques si vous êtes une marque B2B, afin de créer des assets intangibles en lien avec votre marque … mais point trop “brandés” pour ne pas dissuader les utilisateurs d’y recourir. Pensez avant tout à l’utilisateur !
3- Si les contenus restent précieux, il va falloir retravailler la manière d’y accéder. Ecrire un livre blanc ? Scénariser une diffusion privée bouche à oreille ? Faire le buzz grâce à l’exclusivité avant tout le monde ? Exclusivité que les lecteurs s’empresseront de partager dans les canaux privés ? Logique, c’est le mécanisme de la devise sociale qui opère : si vous pensez être porteur d’un contenu ou d’un élément en avant-première avant tout le monde, vous serez plus susceptible de le partager en exclusivité à vos amis via ces canaux dark social.
4- Cette même logique peut d’ailleurs s’appliquer à des ventes privées par canal, ou via des influenceurs spécifiques. Exemple : Allbirds, la marque de chaussures confortables a fêté son deuxième anniversaire en lançant une collection en édition limitée ... uniquement disponible à l’achat sur Instagram. Autre dicton à retenir : “plus c’est rare, plus c’est précieux”. C’est n’est d’ailleurs pas pour rien que la Chine plébiscite les live-streams avec un nombre de produits limités … qui reprennent le même mécanisme que les télé-achats des 80’s !
Enfin, on ne le répétera jamais assez : l’avenir appartient aux défricheurs de tendances, aux veilleurs et autres curieux à l'affût de chaque soubresaut. Si vous n’êtes pas de ceux-là, repérez ceux qui feront le travail à votre place et le partageront avec générosité.
MD