Entre le défi du huis-clos quotidien et l’échappatoire digitale, « mon cœur balance »... Pur cynisme ? Si la crise actuelle rend nos vies terriblement binaires, les marques, elles, tâtonnent, peinant à (re)positionner leur marketing et leur comm : should I stay or should i go ? Le refrain de la célèbre chanson du groupe Clash est de circonstance. Une crise engendre toujours des bouleversements structurels. Observer, réfléchir avant d’agir ... Certaines mutations se dessinent déjà. On vous explique tout.
Messageries privées, eldorado des marques ... vraiment ?
Voici plusieurs années que l’on observe, avec admiration ou terreur suivant les cas, l’application chinoise WeChat : un véritable couteau suisse que les mastodontes occidentaux du social media rêveraient de retranscrire dans leurs écosystèmes. À tort ? Peut-être. On nous avait promis l’eldorado pour les marques astucieuses. Et si on s’était fourvoyé ?
Il y a d’abord eu le succès mitigé des chatbots, de l’intelligence artificielle à « l’artifice » d’intelligence comme le souligne Thomas Gouritin dans une tribune datée de 2018. Mais les incursions des marques dans ces sphères se sont aussi manifestées sous d’autres formes. Concrètement ? Des stickers de marque mis à disposition dans les messageries privées ou un billet d’avion ou de train réceptionné par ce canal.
Avec du recul, il faut reconnaître qu’on a connu mieux. D’autres exemples ? J’ai cherché, vraiment. Je me suis perdue dans les profondeurs de Google, sans grand succès. Le néant ? Pas tout à fait mais presque. On en revient toujours au même cas d’école : Adidas et ses Tango Squads. Les enseignements ? Premièrement n’est pas « Adidas » qui le veut car il n’est guère évident de retranscrire cela avec autant de succès. Secundo, si on analyse les ingrédients de l’équation, il n’y a rien de sorcier : une approche servicielle, de la micro-influence et du bon sens. A reproduire donc si vous voulez infiltrer ces sphères prisées. Mais faire simple n’est pas toujours si simple et il faut reconnaître que le digital et ses innombrables innovations brillent et provoquent souvent une cécité prématurée.
Multiplication des « feux de camps » numériques ?
Aveuglement donc. Vous trouvez le terme un peu fort ? Parlons alors de rétrécissement du champ de vision ... et l’angle mort se situe ailleurs que dans les messageries privées. L’occasion aussi de repréciser la notion de « dark social » : le partage social de contenus opéré en dehors de ce qui peut être mesuré par des outils d’analyse web. Or ce « dark social » ne concerne pas uniquement les messageries privées, il se densifie sous l’effet de la crise sanitaire. J’avance volontiers deux explications :
- La créativité se niche dans l’ennui ; le « social distancing » qu’on nous impose pousse les utilisateurs à challenger les possibilités des outils pour maintenir le lien avec leurs proches, amis, collaborateurs, parfois en délaissant certains moyens pour d’autres.
- Alors qu’on questionne, avec des pincettes, les systèmes de traquage des malades via des applications, les mesures de surveillance des algorithmes se multiplient, et les consommateurs pourraient vouloir protéger leur pré-carré via le Dark Social.
Un aperçu de ce panorama titanesque ? Voici un florilège non exhaustif :
- Les chats, Discord en tête, dixit le classement de Statista des apps les plus téléchargées pendant le confinement, des chats vidéos de groupes tels HouseParty mais aussi des outils collaboratifs, Slack, G-suite, Trello et j’en passe ou les discussions vont bon train.
- Citons également les nouveaux services de sms comme Community ou Substack pour les relations par sms one-to-one ou les services de vidéo-conferencing (Zoom, Go-to-meeting, Skype etc.) dont les ambitions sont colossales ; Sillicon valley + Hollywood. Rien que ça.
- Enfin n'oublions pas la dimension « gaming » qui explose littéralement. De nombreux services et outils se développent bien au-delà d’un « Fortnite » pourtant emblématique. Du micro-gaming collaboratif avec des interactions clés pour les utilisateurs ... et aussi des opportunités pour les marques.
- Parfois aussi tout s'entremêle et s'imbrique comme le prouve l'un des derniers live de l'influenceur Garyvee : en vidéoconférence sur Zoom, mais aussi filmé avec un mobile et retransmis sur Twitter et Instagram.
Résumons en trois mots : « Social by design » ou comment tout devient social dès la conception. Cela fait des années qu’on se questionne pour savoir qui pourrait détrôner Facebook. Vous avez la réponse : ce n’est pas un nouvel acteur mais une véritable intégration de la brique « sociale » à tous les niveaux. D’ailleurs, Facebook n’est plus seulement « social » c’est un conglomérat tech. Bref, le terme « social media » est dépassé, désuet. Dans une tribune intitulée « L’ère des médias sociaux antisociaux » parue sur Harvard Business Review, Sara Wilson, digital strategist, avance l’idée de « Feux de camps numériques », qu’elle décline en trois grandes catégories : les messageries privées, les micro-communautés ; des genres de forums, de groupes où les utilisateurs se réunissent autour d’intérêts ou de passions et enfin les expériences partagées. Si la réflexion et l’approche sont intéressantes, ce concept ne retranscrit pas à sa juste mesure l’ampleur de cette mutation.
Metasocial : des micro-mondes sociaux greffés partout
J’ai d’abord pensé aux métaverses telles que décrites dans le roman Snow Crash de Neal Stephenson (Le Samouraï virtuel), paru en 1992 (eh oui, certains sont plus visionnaires que d’autres !). Sauf que deux points me chiffonnent : 1. ce concept ne traduit pas l’élément essentiel, à savoir le lien social qui demeure le fondement. 2. Le terme « métaverse » représente UN monde, qui plus est virtuel. Ici on assiste à une atomisation et si pour l’heure ces communautés, ces micro-mondes sont confinés en ligne, ils vont se phygitaliser. Des technologies comme la réalité augmentée vont passer un nouveau cap grâce à la 5G et aux solutions de réalité augmentée « persistantes » dans le Cloud ; cela va encourager la création l’accès et surtout le partage d’expériences en RA entre de multiples utilisateurs.
Comme l’explique le consultant américain en RA / RV, Charlie Fink, auteur de deux livres sur le sujet, le monde est sur le point d’être peint de données. Dans tous les endroits. Partout. Des micro-mondes sociaux greffés absolument partout et qui vont se phygitaliser encore, toujours plus. Chaque personne. Retenez donc ce terme « métasocial », il va devenir incontournable, fondateur même. Mais pour l'heure, que faut-il retenir pour s’adapter à cette nouvelle atomisation du social ? De manière très pragmatique, voici une liste non-exhaustive :
- L’importance de la veille : ne vous contentez pas du mainstream, pour garder une longueur d’avance, allez à la source. Première piste : regardez les équipes derrière tous ces nouveaux services, Scott Wharton par exemple, Vice Président et directeur général de la branche vidéo collaborative de Logitech. Absent sur Twitter... mais actif sur Linkedin. Suivez-le. Next ? À vous de jouer et ainsi de suite.
- Impossible de tout tracker. La bonne nouvelle ? Les « vanity metrics » qui ne font que flatter l’égo de ceux qui les présentent vont mourir de leur belle mort. Revenons aux fondamentaux : une stratégie, des objectifs et quelques KPIs communément mesurables sur votre bottom-line.
- Pour infiltrer ces micro-mondes il faut des marques communautaires. Oui, communautaires. Avec une vraie stratégie d’influence à 360°, des porte-parole dotés d’une valise de contenus contextuellement utiles. J’ajoute « contextuellement » car avec la crise Covid-19, toutes les marques se sont mises à faire de l’utile. Le défi maintenant n’est pas juste d’être « utile» mais d’être indispensablement utile. Et là c’est une autre affaire.
- Les consommateurs vont exiger des marques qu’elles soient rassurantes. La raison d’être et les valeurs ne suffisent pas. S’engager ? Oui, mais encore ? L’authenticité et le bien-fondé de ses actions ne devraient pas se démontrer, elles doivent couler de source. Là aussi il ne s’agit pas d’une mince affaire.
- Plus que jamais, misez sur des profils créatifs, prêts à pivoter, pour renforcer votre marque à la sortie de la crise, quand il faudra tout reconstruire. Ça tombe bien, la créativité se niche dans l’ennui et des créatifs, on n’en a jamais vu autant sur les plateformes sociales. Veillez donc … admirez selon les cas et décelez l’opportunité.