E-commerce & handicap : 94 % des parcours d’achat inaccessibles en 2025 (Étude Contentsquare Foundation)

À l’heure où 77 % des Européens achètent en ligne, près de 100 millions d’entre eux ne peuvent pourtant pas finaliser un achat s’ils utilisent des technologies d’assistance. Selon l’étude 2025 de l’accessibilité numérique dans le e-commerce, révélée par la Contentsquare Foundation (en collaboration avec  Ipedis, Numerik ea, Temesis et Razorfish) , 94 % des sites audités  présentent des obstacles majeurs empêchant une navigation ou un paiement accessibles.

Alors que la directive européenne sur l’accessibilité (EAA) est entrée en vigueur en juin 2025, un double constat d’échec s’impose : social, avec plus de 100 millions d’Européens en situation de handicap exclus des pratiques de consommation en ligne les plus courantes, et économique avec de nombreuses entreprises qui se privent d’une part croissante de consommateurs.

Pour Marion Ranvier, Directrice de la Contentsquare Foundation : “ Si un utilisateur ne peut pas acheter, l’entreprise ne peut pas vendre. L’exclusion numérique a un coût réel : elle limite la portée des services, réduit les ventes et érode la confiance. Derrière la question de l’accessibilité numérique, il y a un impératif de citoyenneté ou enjeu d’inclusion, mais aussi de performance économique. L’inaccessibilité n’est pas un bug marginal : c’est un frein massif à la croissance et à la confiance. “


Les 10 chiffres à retenir de cette étude

  • 94 % des sites audités obtiennent un score inférieur à 7,5/10 sur les critères d’accessibilité
  • Aucun pays européen ne dépasse 50 % de conformité aux critères WCAG 2.2 analysés dans le cadre de l’étude
  • Allemagne (4,7/10*) et Royaume-Uni (4,6/10*) en tête, France (3,6/10*) et Italie (3/100 *) en queue de peloton
  • Les pages produit sont les plus excluantes avec un score de 3,6/10*, contre 5,1/10* pour les pages de paiement. Ce qui montre que l’inaccessibilité impacte l’ensemble du parcours client ; de la découverte à l’achat.
  • Les formulaires (pour créer un compte ou s’inscrire à une newsletter par exemple) affichent un taux d’échec moyen de 68 %*, faute de labels, d’autocomplétion et d’indication d’erreurs
  • 59 % des pages ne respectent pas les contrastes minimaux, rendant le parcours illisible pour de nombreux utilisateurs malvoyants ou DYS par exemple.
  • Les sites publiant une déclaration d’accessibilité obtiennent 8 points de plus en moyenne que les autres (45 % vs 37 %)

Une analyse de Razorfish démontre également que l’idée reçue, selon laquelle les pré-requis d’accessibilité limiteraient la créativité digitale, persiste. Pour déconstruire ce mythe, nous avons ajouté des exemples qui montrent que l’on peut être créatif et accessible.

Pour Jonathan Cherki, Fondateur et CEO de Contentsquare : « L’accessibilité n’est plus un sujet à part, c’est un pilier de l’expérience client. Les marques qui s’y engagent ne cochent pas une case, elles créent de la valeur — pour tous. L’étude de la Contentsquare Foundation le montre bien : derrière chaque interaction inaccessible, c’est une expérience perdue. Le moment est venu d’agir ensemble pour rendre le Web réellement accessible à tous. »


Une exclusion numérique systémique


Les obstacles se multiplient à chaque étape du parcours d’achat, du premier clic à la confirmation de paiement. L’étude, menée sur 250 pages issues des 50 sites e-commerce les plus visités en Europe, montre que les barrières apparaissent dès la recherche produit.

Les pages de liste produit (PLP) et de détail produit (PDP) sont les plus excluantes, avec des scores respectifs de 3,6/10* et 3,4/10* seulement — et parfois 2,4/10* en France. Ces pages, pourtant premières portes d’entrée du parcours, sont souvent illisibles pour les personnes malvoyantes ou incompréhensibles pour les lecteurs d’écran. Résultat : une part significative des consommateurs ne parvient même pas jusqu’au panier.

Les pages de panier, livraison et paiement affichent des scores légèrement supérieurs (respectivement 4,3/10, 4,4/10 et 5,1/10), mais restent loin d’une conformité totale aux standards internationaux d’accessibilité (WCAG 2.2). Ces chiffres confirment que le problème n’est pas localisé, mais bien structurel. Quel que soit le pays ou la marque, les mêmes erreurs reviennent, avec entre autres : boutons non lisibles, contrastes faibles, formulaires inexploitables.

Fait encourageant : certaines grandes marketplaces mondiales, souvent d’origine américaine, frôlent des scores supérieurs à 9/10*. Une preuve qu’à grande échelle, l’accessibilité est non seulement possible, mais rentable, lorsque les standards sont intégrés dès la conception.



Des fondations techniques manquantes

Les causes de cette exclusion se nichent dans les fondations du code, souvent invisibles pour les utilisateurs. L’audit révèle que quatre grandes familles de critères échouent massivement :

  1. Compatibilité avec les lecteurs d’écran : 76 % d’échecs*. De nombreux boutons ou champs essentiels ne sont pas correctement identifiés dans le code, ce qui les rend invisibles aux lecteurs d’écran. Résultat: un utilisateur aveugle entend simplement “bouton” sans savoir s’il s’agit de “Valider la commande” ou “Supprimer un article”.
  2. Formulaires et champs de saisie : 68 % d’échecs* De nombreux boutons ou champs essentiels ne sont pas correctement identifiés dans le code ; ce qui impossible la saisie correcte d’informations. 77 % des formulaires n’autorisent pas l’auto-remplissage des champs (adresse, carte bancaire…), forçant les utilisateurs à tout ressaisir manuellement — un frein majeur pour les personnes souffrant de handicaps visuels, cognitifs ou moteurs.
  3. Accessibilité visuelle : 59 % d’échecs*. Les contrastes de couleur insuffisants empêchent de distinguer les textes et boutons sur près de deux tiers des pages.      66 % des pages de paiement utilisent un texte trop clair sur fond clair ou se contentent d’un code couleur (rouge/vert) pour signaler une erreur, excluant ainsi les utilisateurs daltoniens ou malvoyants.
  4. Navigation clavier : 42 % d’échecs*. Dans de nombreux cas, les utilisateurs se retrouvent “piégés” dans une fenêtre ou une pop-up, incapables de poursuivre leur parcours sans souris. Les focus disparaissent, sautent d’un champ à l’autre, ou omettent le bouton “Commander”.
     

Ces failles ne sont pas esthétiques : elles bloquent littéralement l’accès à la transaction. Même les sites visuellement modernes et ergonomiques sont, dans le code, inutilisables pour des millions d’internautes.



Un risque triple pour les entreprises

Ce déficit d’accessibilité crée un risque global pour les entreprises, à la fois financier, légal et réputationnel.

  • Financier, d’abord : un parcours inaccessible équivaut à un panier abandonné. Dans un contexte où la conversion moyenne stagne autour de 2 à 3 %, l’impact des utilisateurs bloqués par un checkout illisible se traduit par des centaines de millions d’euros de manque à gagner chaque année.
  • Légal, ensuite : depuis juin 2025, la directive européenne sur l’accessibilité (EAA) impose la conformité des parcours d’achat et de paiement. Les entreprises qui ne respectent pas ces obligations s’exposent à des amendes, des actions collectives, voire une exclusion de certains marchés publics.
  • Réputationnel, enfin : à l’ère de la RSE et de la transparence, exclure des consommateurs pour des raisons de conception devient une faute morale et d’image. Les marques inaccessibles risquent de se voir publiquement pointées du doigt — une situation déjà observée aux États-Unis avec des plaintes déposées contre des leaders du e-commerce.

En somme, l’accessibilité n’est plus un sujet exclusivement lié à l’expérience utilisateur, mais un levier stratégique de croissance.



Des signaux positifs émergent

Tout n’est pas si sombre. L’entrée en vigueur de la directive EAA a déclenché un véritable sursaut d’action puisque 62 % des sites étudiés disposent désormais d’une déclaration d’accessibilitépublique (un chiffre en hausse de 30 % en un an) et 76 % d’entre elles ont été publiées depuis juin 2025, preuve d’une réaction directe à la réglementation.

Ces déclarations, même imparfaites, traduisent un engagement croissant. Les sites qui en possèdent une affichent en moyenne 8 % de conformité en plus que ceux qui n’en ont pas, signe qu’un pilotage conscient de l’accessibilité améliore la qualité globale. Cette corrélation n’est pas anodine : publier une déclaration d’accessibilité traduit une gouvernance plus consciente et structurée du sujet. Les entreprises qui mesurent, pilotent et communiquent sur leur accessibilité ont une propension plus forte à améliorer la qualité globale de leurs parcours clients.

Plusieurs acteurs prouvent également que l’accessibilité peut rimer avec créativité selon l’analyse de Razorfish :

  • Le site Magic Spoon combine palettes vives et lisibilité exemplaire grâce à un contraste étudié.
  • Purely Elizabeth a conçu des vidéos et galeries totalement contrôlables au clavier.
  • Somewhere Good Studio utilise des “skip links” discrets mais efficaces pour faciliter la navigation.

Pour Jean-Baptiste Burdin, Directeur de la Création de Razorfish : « Trop souvent, l’accessibilité est perçue comme une contrainte esthétique. C’est tout l’inverse : quand elle est pensée dès le design, elle devient un moteur de créativité et d’innovation. L’accessibilité n’appauvrit pas l’expérience, elle la rend universelle. ».

L’étude envoie un message clair : l’inclusion numérique est devenue un impératif légal, sociétal et économique. Alors que la directive européenne s’applique désormais à tous les acteurs du e-commerce, les entreprises n’ont plus le choix : rendre leur parcours d’achat accessible, c’est à la fois respecter la loi, gagner des clients et restaurer la confiance.

« L’accessibilité ne doit pas être un correctif ajouté en fin de chaîne. Elle doit être pensée comme un pilier du design et de l’expérience utilisateur. Les entreprises n’ont pas besoin de tout reconstruire : elles doivent simplement commencer par corriger ce qui bloque, et intégrer durablement l’accessibilité dans leurs process. » ajoute Marion Ranvier.

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Méthodologie :

Menée entre le 30 juin et le 31 juillet 2025, l’édition 2025 de l’étude de l’accessibilité numérique dans le e-commerce a été conduite par la Contentsquare Foundation en collaboration avec 4 acteurs de référence de l’accessibilité numérique : Temesis, Numerik-ea, Ipedis et Razorfish. Les équipes ont audité 250 pages issues des 50 sites e-commerce les plus visités en Europe — répartis entre la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni, ainsi que cinq marketplaces mondiales (Amazon, eBay, AliExpress, Temu, Etsy). Chaque parcours a été évalué sur les cinq étapes clés du tunnel d’achat :

  • Listing produit (PLP) : recherche et filtres dans la liste des produits
  • Fiche produit (PDP) : consultation des informations sur un produit et ajout au panier
  • Panier : récapitulatif des articles sélectionnés
  • Livraison : saisie des coordonnées et choix du mode de livraison
  • Paiement : validation et confirmation de la commande

L’analyse s’appuie sur 15 critères du référentiel international WCAG 2.2, regroupés en quatre grandes familles :

  • Compatibilité avec les lecteurs d’écran (structure du code, nommage des boutons et champs interactifs)
  • Formulaires et champs de saisie (présence de labels, auto-remplissage, gestion des erreurs)
  • Navigation clavier et focus (logique de tabulation, absence de “pièges” clavier)
  • Accessibilité visuelle (contraste, lisibilité, signaux visuels autres que la couleur)

Chaque page a été notée sur 10 points, selon le ratio entre critères conformes et critères défaillants. Les scores ont ensuite été agrégés par type de page, puis moyennés par site afin d’obtenir un indice global d’accessibilité du parcours d’achat.

Cette étude constitue une photographie représentative du niveau d’accessibilité du e-commerce européen en 2025. Elle ne remplace pas un audit de conformité complet, mais fournit une évaluation comparative solide des sites les plus fréquentés par les consommateurs.