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Intelligence collective : mieux évaluer l’avenir de notre monde en multi-crises (Gaël Queinnec, Movin’On)

Nous avons rencontré Gaël Queinnec, directeur général de Movin’On, Collectif d’entreprises pour la mobilité durable, originellement créer par Michelin.

Il interviendra le 1er octobre lors d’une matinée inspirante organisée par le Conseil Scientifique de l’Adetem sur le thème “Le Chaos, nouvelle boussole pour la prospective”. Il est encore temps de vous inscrire pour participer à cet évènement.

Dans cette interview, nous avons évidemment parler de Movin’On mais surtout d’intelligence collective. Comment évaluer l’avenir ? Comment, en tant qu’entreprise, se réunir, faire avancer les projets, étudier les différents scénarios possibles dans ce monde aux crises multiples ?


Qu’est-ce que Movin’On exactement ?

Movin’On est un collectif d’entreprises, principalement de grandes entreprises qui ont des enjeux de mobilité. Pour certaines comme Alstom, Michelin ou Stellantis, la mobilité est au cœur de leur modèle d’affaires. Pour d’autres comme Engie, Total ou Macif, c’est un enjeu important sans être central.

Toutes ces organisations se réunissent pour faire avancer la mobilité durable dans une philosophie de transformation par le marché – c’est-à-dire par le jeu de l’offre et de la demande, donc par l’innovation de solutions, mais aussi par le travail sur la désirabilité de ces solutions pour qu’elles rencontrent effectivement un marché.

Nous avons un corpus de 25 membres qui sont de grandes sociétés. Ils constituent des groupes de travail de 4 à 10 entreprises selon les sujets. Et nous allons chercher en plus des compétences extérieurs selon les sujets autour de la table : un banquier, un expert de certains flux, la vision de l’État, etc. Ces personnes nous rejoignent gratuitement car le sujet les intéresse. Nous avons ainsi environ 300 participants au total.


Comment arrivez-vous à articuler la partie prospective et innovation avec le passage à l’action concrète ?

Nous essayons d’identifier les verrous. Très souvent, ce qui bloque ce sont ce que j’appelle des syndromes de “la poule et l’œuf” : vous avez une offre qui attend la demande, une demande qui attend l’offre, une réglementation qui attend le marché, un marché qui attend la réglementation. Cela peut durer très longtemps.

La seule manière pour transformer ce cercle vicieux d’inertie en cercle vertueux d’action, c’est de réunir les gens autour de la table. Cette unité d’espace et de temps fait que les individus s’ajustent pratiquement en temps réel.

Je me souviens d’un exemple concret sur les camionnettes électriques vers 2018. Les constructeurs disaient : “Je ne fais pas de camionnettes électriques parce que je n’ai pas de demande”. Les transporteurs disaient : “Je ne demande pas de camionnettes électriques parce qu’il n’en existe pas”. Nous avons organisé des lettres d’engagement – pas de commande – où des acteurs majeurs indiquaient leurs besoins potentiels : 5000, 8000 ou 3200 camionnettes électriques. Cela a démontré qu’il y aurait une demande s’il y avait une offre.


Justement, quels sont les programmes ou prospectives qui ont eu un impact significatif ?

Je peux vous citer notamment 3 exemples.

Nous avons mis en place une navette autonome dans la Drôme, en milieu semi-rural. Le problème était simple : l’obstacle à la diffusion des transports en commun, c’est parfois la densité. Il faut des petits véhicules, mais le salaire du chauffeur est le même pour un petit ou un gros véhicule. Vous avez donc des frais identiques pour un bus de 50 places ou une navette de 10 places. D’où l’idée de l’autonome.

Pendant longtemps, la technologie bloquait – les véhicules allaient trop lentement. Maintenant que la technologie a progressé, nous travaillons sur l’acceptabilité psychosociale. La présence du chauffeur rassure, même s’il n’intervient que rarement. Nous testons des solutions comme une petite télévision avec un humain qui parle. Les gens savent que c’est une télé, mais cela diminue le stress.

Nous sommes également fiers que notre concept de “voiture populaire électrique” ait été repris par Ursula von der Leyen, le patron de Stellantis et celui de Renault. Nous n’avons pas seulement fait le constat qu’elle manquait – c’est dommage de ne pas avoir de voiture électrique made in Europe à moins de 30 000 euros – mais nous avons ouvert des pistes pour qu’elle existe, en travaillant sur les réglementations plus souples nécessaires à ce modèle économique.

À Marseille, enfin, nous testons une application pour les personnes à mobilité réduite. C’est un humain sur cinq qui a une barrière à la mobilité – pas seulement les personnes en fauteuil roulant. L’application qualifie réellement l’accessibilité des lieux avec des témoignages, car les labels existants manquent de précision. Un lieu “accessible aux handicapés” peut avoir une marche qui le rend inaccessible en pratique.


Ces dix dernières années, nous enchaînons crise sur crise. Voyez-vous une différence dans la manière d’aborder les sujets ?

Nous sommes dans un changement de civilisation – j’emploie ce terme parce que je suis optimiste, les pessimistes diraient effondrement.

En tant qu’ancien consultant en prospective, je peux confirmer que quelque chose a disparu : l’objection “le futur est écrit, on n’a pas besoin d’y réfléchir, c’est évident”. Le Covid et l’Ukraine ont fait rentrer cette attitude au placard.

La question qui mérite débat maintenant est plutôt : “si tout est tellement imprévisible, pourquoi perdre du temps à essayer de le prévoir ?”

Nous sommes entrés dans une transition qui fait bouger tellement de facteurs qu’elle génère de nombreuses crises. C’est comme un mouvement tectonique : les plaques continuent de bouger, donc il y aura d’autres tremblements de terre.

Les think tanks et les entreprises ont désormais une conscience bien plus claire et une expérience vécue de l’incertitude et de l’imprévisibilité. Il y a deux réactions possibles : essayer de prévoir en étant conscient que c’est difficile, ou se dire “je ne sais pas et je m’adapterai quand cela tombera dessus”.


Comment penser le long terme dans un monde en perpétuel changement ?

On essaie d’identifier les constantes et les variables. On bâtit des scénarios plausibles. Il y a des scénarios quasi impossibles, donc on réduit l’entonnoir d’incertitude. Ce n’est pas du chaos absolu : il y a des humains qui restent des êtres biologiques, des données démographiques et physiques qui cadrent la réflexion, des enchaînements de causalité.

Ce que je dis aux marketeurs, c’est qu’ils doivent prendre une décision en ayant conscience qu’ils prennent un point de cet entonnoir. S’ils se trompent mais qu’ils ont réfléchi au reste de l’entonnoir, ils s’en rendent compte vite, alors que sinon ils s’entêtent. La clé est de parier, mais de manière mesurée.


Quel impact de l’IA ?

C’est une de nos questions : en quoi l’IA va-t-elle aider à faire vraiment du développement durable ? L’IA est un outil formidable pour constater les problèmes – nous allons gagner beaucoup de temps.

Le digital a déjà apporté des bénéfices sur l’accès à l’information et l’interaction. J’ai tendance à y croire énormément en tant qu’outil. Je pars de l’idée simple qu’aujourd’hui, l’humanité a plus des problèmes de manque d’intelligence que d’excès d’intelligence. J’ai plus peur du manque d’intelligence que de l’excès.

L’IA va nous aider à être intelligents, mais il faut un humain qui sait pourquoi il pose une question. Ces machines vont nous aider à naviguer dans la complexité. On ne peut plus raisonner sur une matrice à deux variables – il y a trop d’autres variables qui ne sont pas “égales par ailleurs”. Le cerveau humain ne peut pas gérer douze dimensions simultanément, il faut des machines qui arrivent à synthétiser du multi-variable.

J’espère que cette puissance de calcul va nous aider à franchir de nouveaux paliers, mais conceptuellement, cela manque encore un peu d’exemples concrets.

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