Thomas Faivre-Duboz est co-fondateur et Directeur associé de Converteo
Si l’on analyse froidement la qualité de l’expérience que les entreprises proposent à leurs clients, ces derniers restent majoritairement soumis à des pratiques marketing d’un autre temps :
– Lorsqu’ils parcourent le web, on leur affiche des bannières publicitaires de retargeting avec une faible compréhension de l’intention réelle d’achat, et souvent avec un très faible capping… on peut même continuer de les exposer alors qu’ils viennent de convertir !
– Lorsqu’ils visitent un site internet, on leur offre un niveau de personnalisation très faible au regard des gigantesques volumes de données collectées à leur sujet
– Lorsqu’ils appellent le call center, on leur demande de retrouver un numéro client alors qu’ils appellent justement avec… le numéro de mobile qu’ils ont saisi lors de leur dernier achat
– Lorsqu’ils passent en caisse, la seule information qu’on leur demande est souvent leur code postal, alors qu’on pourrait aisément les reconnaître et les traiter de manière plus personnalisée.
Comment faire en sorte que l’on offre vraiment une expérience client sans couture, sur tous les canaux – et qui soit surtout personnalisée ? Comment sortir de la logique centrée produit (marketing de temps forts) et surtout centré sur les canaux (une équipe par canal avec des objectifs et KPI différents) pour avoir une vraie relation et un dialogue pertinent avec un consommateur en utilisant de manière intelligente toute la palette des canaux disponibles ?
Comment apprendre à utiliser les données collectées sur un canal pour mieux servir le client sur un autre ?
Comment faire en sorte de répondre aux défis humains et technologiques sous-jacents ?
Si l’on tente de résumer l’enjeu majeur de la plupart de nos clients, il est de pouvoir orchestrer de manière hyper pertinente toutes les interactions clients (media, merchandising on-site, CRM, offline, …). En support de cet objectif, l’entreprise doit évidemment être capable de collecter des données fiables et mieux identifier ses prospects et clients – nous le verrons en deuxième partie de cette chronique.
Du marketing orienté canal à l’audience management
La mise en oeuvre d’un marketing plus smart repose surtout sur le passage d’un marketing orienté canal à un marketing orienté client. Aujourd’hui, les organisations marketing sont encore trop souvent centrées autour des canaux : les responsables CRM, liens sponsorisés, display, social… sont autant de silos qui ont mis en oeuvre leurs propres technologies, leurs propres segmentations, et se parlent malheureusement trop peu souvent. Le manque de coordination pèse lourdement sur la qualité de l’expérience que l’on offre au client (cf. les exemples du début d’article).
La mise en commun de toutes les data prospects/clients, on/off dans des Data Management Platform, Customer Data Platform et autres Datalakes ouvre une nouvelle voie : la capacité de définir une segmentation client commune à tous les leviers marketing et de conditionner l’ensemble des actions marketing (media, CRM) au statut réel du prospect/client à condition de collecter des informations qui permettent d’identifier et donc réconcilier chacun des bouts de l’expérience vécue par le consommateur à chaque touchpoint.
Pour un nouveau client, nous pourrons, par exemple, avec cette approche, décider de couper l’ensemble des expositions media pendant un mois, déclencher une suite d’e-mail personnalisés sur les 3 premières semaines suivant son achat, planifier un appel après 1 mois pour une étude de satisfaction, etc. Pour un client VIP, autoriser des enchères Adwords 3 fois supérieures aux plafonds, orienter directement les appels au call center vers un service plus qualitatif, etc.
A cet égard, il est intéressant de constater l’évolution de certaines organisations anglo-saxonnes, qui conservent bien sûr des experts levier/canal mais organisent complètement leur marketing autour des segments clients. On y crée alors des postes de responsable “prospects”, “client VIP”, “client Churner”, etc. qui ont des objectifs à atteindre pour ce groupe d’individus en utilisant potentiellement l’ensemble des canaux disponibles. A terme, la gestion des audiences devrait prévaloir sur la gestion silotée des canaux. Côté organisation, de nouveaux processus de partage et de challenge sont clairement à inventer notamment en termes de KPI et d’incentives. Côté ressources, le rôle d’opérateur de la DMP sera fondamental et rattaché directement à la Direction Marketing. La segmentation client, souvent chasse gardée du CRM, sera réinventée avec des données comportementales temps réel (fini les segmentations calculées tous les 6 mois…) et exploitée activement sur tous les canaux. Côté technologie, la DMP/CDP et le datalake deviendront des outils centraux, support à la plupart des actions marketing de l’entreprise.
De manière transversale et parce que le marketing sera plus centré client, il deviendra nécessairement beaucoup plus continu et moins dépendant de “campagnes temps fort” génériques. Au lieu de faire reposer l’ensemble de son plan marketing uniquement sur des “marronniers” (fête des Mères, vacances d’été, Noël, … selon les secteurs), pourquoi ne pas tirer profit des données CRM existantes et les enrichir avec la détection des intentions des clients tout au long de l’année ?
En synthèse, nous pouvons prendre l’exemple d’une marque de bijoux :
- Niveau 0 – Approche marronnier / Marketing générique : Envoyer un email à la Saint Valentin
- Niveau 1 – Approche CRM : Demander via un formulaire la date de la rencontre et ou du mariage pour envoyer un email à la date déclarée
- Niveau 2 – Approche comportementale et CRM : Détecter qu’un client est revenu 4 fois sur la boutique en ligne en 2 jours en se concentrant sur des colliers de 500 à 1000€ et lui envoyer le 3ème jour un email contenant les produits qu’il a vu et les meilleurs produits de la catégorie avec une offre associé
Mettre en oeuvre un marketing 1to1 continu basé sur la data n’est en rien de la science fiction, mais il ne peut faire l’économie d’une collecte fiable de la data !
Collecte de data client et identification : produire du pétrole, c’est bien, le raffiner, c’est mieux.
La capacité de personnalisation doit d’abord nécessairement reposer sur une collecte fiable de la data prospect et client sur tous les canaux.
Côté données digitales (cookies/web), la problématique se résume souvent à définir un data layer fiable et exhaustif grâce aux outils de tag management et de webanalytics. On constate à cet égard des différentiels très importants entre les annonceurs qui ont compris la nécessité de disposer d’un “pétrole bien raffiné” par rapport à ceux qui se contentent d’une collecte minimaliste et sans valeur. Il est important de se faire accompagner pour choisir le meilleur écosystème de collecte Tag Management (Google Tag Manager, TagCommander, Tealium, …) et Analytics (Google Analytics Premium, Adobe Analytics, AT Internet…) pour disposer de données brutes exploitables.
Côté données clients (transactionnelles/CRM), la problématique de la définition d’un référentiel client unique est majeure : les bases clients sont souvent éparpillées et doublonnées. Unifier et centraliser les données CRM est souvent un préalable important à la mise en oeuvre d’une stratégie data marketing efficace. Leur mise à disposition pour l’activation est un deuxième présupposé : la mise en place d’outils type ETL (Extract, Transform, Load) permet d’aspirer ces données souvent hébergées dans des systèmes anciens et de les déverser dans un entrepôt de données agile – le plus souvent un Datalake, une Data Management Platform et/ou une Customer Data Platform, qui réconcilieront données online et offline. Les directeurs marketing chanceux qui auront su convaincre leur DG de basculer vers un CRM dans le cloud (Salesforce ou Microsoft Dynamics par exemple) seront très avantagés : les connexions temps réel entre les outils se développent à vitesse grand V ! Une fois les données croisées dans un même entrepôt et avoir passé la difficile phase de data engineering, vos data scientists pourront enfin s’amuser : scoring plus ou moins complexe, machine learning, détection de patterns prospects et clients, etc.
Mais attention aux fausses promesses du data marketing ! En parallèle de la mise en oeuvre de l’écosystème data marketing doit nécessairement être initiée une réflexion sur l’identification prospect et client. En effet, la plupart des entreprises disposent par défaut d’un taux d’identification très faible : dans la plupart des cas, on ne peut reconnaître le visiteur d’un site internet qu’à partir du moment où il s’authentifie à l’occasion d’une commande ou d’une consultation d’un espace client. Autant dire que, sans effort particulier, on parle seulement de maximum 10% de visiteurs identifiés sur Internet. Sur les autres canaux, même problématique : en point de vente, de nombreux retailers disposent d’un embasement faible à leurs programmes CRM ; dans les call centers, on sous-exploite aujourd’hui totalement le numéro de téléphone utilisé par le client pour appeler.
Il convient donc d’augmenter drastiquement ce taux d’identification à chaque touchpoint entre la marque et le consommateur sur tous les canaux par des mécaniques de data catching efficaces : par exemple, élaborer des services et des offres permettant d’incentiver fortement le prospect à laisser des informations personnelles (e-mail, téléphone), le plus tôt possible dans son cycle d’achat, permettant de croiser ses points de contacts sur tous les canaux. Autre exemple simple : inciter les clients offline à ouvrir et cliquer sur des e-mails trackés pour les cookifier online. On peut ainsi recibler en media et sur les dispositifs web ces clients existants qui ne s’étaient jamais identifiés sur notre site !
Avec une stratégie pertinente et volontariste, on peut tout à fait imaginer viser des taux d’identification de 40 à 50% qui ouvrent la voie à une expérience client beaucoup plus personnalisée. La création d’un actif pérenne de prospects/clients identifiés permettra à l’entreprise de réduire à long terme sa dépendance aux GAFA et aux CRM Onboarders, qui apportent bien sûr des solutions hyper pertinentes et activables rapidement.
Profitons de la fin de cette chronique pour briser le mythe de la pureté de la data et du ciblage : nous ne serons jamais en mesure de réconcilier 100% des données on/off; le marketeur de demain devra se contenter de travailler sur des audiences hétérogènes, des data nécessairement parcellaires… mais sa capacité à réconcilier au mieux ces informations disparates fera clairement la différence pour offrir la meilleure expérience client possible et pour concentrer ses moyens sur ses cibles prioritaires (efficience/rentabilité).
La feuille de route est écrite : alors qu’attendons-nous pour mettre en oeuvre un marketing plus smart ? 😉