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Pierre Bisseuil (Peclers) : Qu’est-ce que la diversion ?

Pierre Bisseuil, ancien de Givaudan, et Directeur de recherche chez Peclers a travaillé dans la beauté et la parfumerie fine pendant plus de 15 ans.

La dernière livraison des cahiers de Tendances de Peclers qui détectent les signaux émergents parmi la sociologie, l’ art contemporain, la technologie, les rapports homme nature, la sémiologie et les nouveaux imaginaires a révélé la montée en puissance de la diversion une notion qui nous a fortement intrigué.

Pierre Bisseuil nous en dit plus sur cette tendance de fond qu’il suit depuis trois ans.

Viuz : Qu’est ce que la diversion ?

Pierre Bisseuil : Faire diversion est une tendance particulièrement marquée depuis 2008 depuis que les grandes économies occidentales se sont installées dans la crise. Elle se pose en rupture par rapport à la norme avec une forte volonté de changer le système de le réinventer.

Face à ce mur, des attitudes et aspirations sont nées pour dépasser un système défaillant.La diversion est à la fois un appel à la révolte et un appel à l’aide comme l’illustre le mouvement Podemos en Espagne. Depuis 2011 nous détectons des individus qui reprennent en main leur destin avec ce qui leur tombe sous la main.

Viuz : Comment ce phénomène se traduit-il ?

Par plusieurs choses. Le premier niveau est la mobilisation de l’humour, du cynisme voire de l’absurdité chez les populations les plus jeunes pour réinventer l’avenir, entreprendre, prendre leur destin en main et pour dénoncer le carcan de nos sociétés et de nos institutions.

Je pense notamment à des produits comme le changement d’usage de vernis à ongle pour un usage parfum, l’émergence du trompe l’œil et le jeu sur les dimensions en architecture jusqu’à l’utilisation de l’absurde dans le luxe et la publicité notamment chez Lanvin , chez les Etats libre d’Orange depuis 2008 ou encore l’ Uncarriable Bag by Mother London pour dénoncer l’usage des sacs plastiques)

Le deuxième niveau est la résilience. En gros, la capacité de retour à l’état normal. Elle se traduit par l’utilisation des échecs professionnels et personnels pour essayer de créer une nouvelle dynamique («divorce parties au Japon » reprise par Kate Perry, le Funemployement en Angleterre, les Failcon dans le digital) elles procurent à la fois un contrepoint à la souffrance au travail et aussi un mode d’apprentissage plus positif.

Il y a un troisième volet plus noir et ambigu sur les pratiques cathartiques de libération des pulsions (zombies, rapport à la mort, à l’amour et à la sexualité dans la séries et au cinéma) qui sont des pulsions de libération de l’angoisse et du stress.

J’insiste néanmoins sur le fait que la diversion représente, pour la première fois une volonté de s’en sortir car on a pas le choix. C’est un mouvement beaucoup plus profond que la simple dénonciation du mouvement Punk et cela va beaucoup plus loin qu’une posture esthétique. J’y vois clairement une sortie par le haut.

Viuz : Qu’est ce que cela change en tant qu’attitudes de consommation ?

Premièrement, la diversion traduit une tentative de dépassement du traumatisme dans toutes les dimensions sociales digitales et physiques. Elle constitue une dénonciation des normes sociales : mariage, travail, croyances mais c’est aussi une porte de sortie tournée vers l’action et le dépassement de soi.

La deuxième chose c’est l’utilisation du collaboratif et du collectif pour rentrer en communication. L’action ne se fait pas seul mais «avec», en réseau. Elle se traduit par un retour aux «Agoras festives» qui sont une résonance de la joie et de l’optimisme retrouvé. Cela se traduit par le retour du live, des proximités et de l’être ensemble et marque le retour à des réseaux locaux de proximité réelle.

Troisième grand mouvement comportemental, la rupture des archétypes et stéréotypes traditionnels qui créent une tension sociale entre les tenants des valeurs traditionnelles et une autre frange qui casse les codes (nouveaux archétypes féminins autour de l’empowerement, la prise de pouvoir et la célébration des genres et nouvelles législations reconnaissant les identités neutres ou transgenre). C’est une nouvelle dynamique d’acceptation de l’autre.

Dernière idée, l’augmentation du moment. Pratiquée seule et souvent à plusieurs, elle vise à amplifier l’ expérience émotionnelle du moment. Une pratique très présente sur les réseaux sociaux et qui aura une conséquence forte sur la communication des marques.

Viuz : Que peuvent faire les marques ?

Il y a trois pistes d’activation de ces phénomènes par les marques.

La première consiste à casser les codes publicitaires autour de l’absurde, de l’insolence de l’humour et se singulariser sur la communauté avec un effet surprise et décalage (Cf. la publicité virale Taco Bell avec l’utilisation de seniors qui se font des virées ou en France La communication de Bagelstein face aux géants du Fast food).

La deuxième vise à casser les codes de son marché en coupant les références traditionnelles des usages avec la notion de trompe l’œil ou de bug sensoriels ( We rot by Satin, l’utilisation du Glitch Art : Good vivration de F.Laviani, le soft cabinet de High par studio D, l’ Hula Washer de Sang-Song Lee, le fondant au chocolat à réaliser soi même avec une bougie par FujiSan ) qui amènent de nouveaux usages et fonctions aux objets.

La dernière piste à la fois actuelle et sulfureuse consiste à réinventer les archétypes. Elle offre la possibilité de casser les frontières entre moderne et ancien, nature et techno. C’est le cas d’un pan du secteur de la beauté qui réinvente la notion de mixité autour des aspérités masculine et féminine pour les réinterpréter dans le sens opposé (Notion d’Interzone, Raf Simons, la communication des Barneys Stores aux US ou celle de la marque d’H&M : & other stories).

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