Le phénomène du Byod et l’irruption des nouveaux outils technologiques et des communications électroniques, modifient et perturbent fondamentalement les organisations et les rapports humains dans les entreprises.
Accélération du temps, injonctions paradoxales (sois autonome/n'oublie pas ton reporting), sécheresse de la communication, contrôle électronique exacerbé, enjeux de pouvoir dans les chaînes d’email, de plus en plus de salariés sont confrontés aux effets secondaires des nouvelles technologies.
Dans son nouvel ouvrage : Comment Manager les E-comportements, Jean-Michel Rolland, docteur en Sciences de l'Information et de la Communication et consultant-formateur tente de décrypter les différentes typologies d’utilisateurs et partage, pour les managers et les utilisateurs ses conseils pour mieux gérer ces nouveaux outils technologiques.
VIUZ : Quels impacts constatez-vous, en termes humains dans l’utilisation des nouvelles technologies ?
Comme disait Alex Pentland du MIT : « L’informatique se dissout dans les comportements », et la dissolution est plus ou moins réussie en fonction des personnes et de leurs responsabilités e-communicationnelles.
Du côté des impacts à opportunités : développement des systèmes collaboratifs et des réseaux sociaux, accroissement des échanges d’informations, optimisation de la gestion de projets et d’activités à distance, apparition de nouveaux métiers rendus possibles par le nomadisme et le télétravail, partage des savoirs et savoir-faire, ouverture de l’apprentissage à distance pour tous …
Du côté des impacts à risques : développement du fantasme d’ubiquité (répondre de suite à tous + être tout le temps présent pour les autres), surcharge d’informations et surcharge cognitive, accroissement des burn-out, addictions plus ou moins fortes en fonction des TIC dont on fait l’usage, jeux de pouvoir qui se cachent derrière les outils d’e-communication (ex. : jeu de la mise en copie dans les mails), problématiques du contrôle et de la confiance à distance…
Que l’on soit en rejet ou attiré par les TIC, nous prenons naturellement ce que je nomme une tendance e-comportementale (comportement induit par l’usage des TIC) qui nous parait être la plus performante à un moment, pour répondre à nos besoins et à nos objectifs. Ce qui ne signifie pas toujours que le e-comportement choisi est la meilleure réponse à apporter.
VIUZ : Vous parlez de remettre l’humain et de l’émotion dans les communications électroniques ?
Oui, malgré les TIC, nous restons (heureusement) des Hommes avec des sentiments et une rationalité limitée. Par exemple, l’usage des mails est devenu tellement facile et courant que nous avons parfois tendance à oublier qu’écrire n’est pas parler, que le mail ne permet pas de gérer toutes les situations (notamment les conflits) et que nos écrits sont sujets à interprétation, car manquant justement de repères émotionnels.
Suivant notre disposition et la situation que nous vivons au moment où nous recevons un mail, nous risquons de donner un sens qui n’est pas celui souhaité par son émetteur avec les conséquences que l’on peut imaginer. Un point d’exclamation, une écriture en capitale et en gras, un mail envoyé dans la nuit peuvent être les traductions d’une émotion (colère ?) qui s’amplifie à distance en fonction de l’état du lecteur. Ce dernier risque alors d’envoyer une réponse que l’on peut imaginer. Il est important de faire le lien quand nous e-communiquons entre le message que l’on veut transmettre, la personne à qui on l’envoie et la TIC la plus adaptée pour réussir à se faire comprendre (émotions comprises). Et parfois, la seule véritable solution pour traiter la séquence émotion est de se rencontrer physiquement.
VIUZ : Que conseillez-vous aux utilisateurs ?
Cette question est passionnante et complexe et nous impose de l’humilité dans les réponses, car de nombreux facteurs influencent notre façon de nous e-comporter. La question que l’on devrait se poser est : comment être sûr que nous avons choisi la bonne façon de e-communiquer :
Vis-à-vis des TIC : quel est l’usage que nous en faisons, est-ce utile et utilisable pour remplir nos missions et atteindre nos objectifs. Par exemple : utiliser son smartphone durant les réunions, est-ce adapté ?
Vis-à-vis du message : comment le rendre efficace et efficient ? Par exemple : je dois transmettre une consigne à un collaborateur qui travaille à distance, quelle TIC utiliser pour donner l’information, qu’elle soit comprise, que mon interlocuteur puisse se l’approprier en fonction de son travail afin de pouvoir agir de la meilleure façon ?
Vis-à-vis du collaborateur : comment trouver le bon équilibre entre ses tendances e-comportementales et les nôtres ? Comment s’adapter à sa culture, ses compétences (notamment dans la maîtrise des TIC) et ses motivations. Préfère-t-il l’information visuelle, auditive, est-il plus dans les faits, dans l’émotion ? Questions d’autant plus importantes dans le cas de recrutement de collaborateurs qui vont être amenés à travailler à distance.
VIUZ : Que conseillez-vous au managers ?
Transposer son management de proximité vers le management à distance sans rien changer à son mode de fonctionnement comporte des risques. La distance transforme la relation et s’appuie sur d’autres critères de réussites que ceux de la rencontre physique. 3 points clés me semblent utiles à suivre :
Parler d’abord d’E.-communication avec ses collaborateurs. De la même façon que nous aurions à échanger avec quelqu’un qui ne parle pas notre langue, nous devons définir un langage, des méthodes et outils, des process et des règles de communication rendant compatibles et performants les échanges à distance.
S’interroger sur le sens que l’on donne au couple Contrôle et Confiance : la distance amplifie l’interprétation des actes et des intentions. Trouver le bon équilibre entre les raisons du contrôle, la fréquence et la durée, clarifier les délégations et accepter de se centrer plus sur des résultats que sur la façon de les atteindre doivent permettre de faire vivre le contrôle plus comme une aide que comme un instrument de pression et donc montrer le niveau de confiance que nous offrons à nos e-collaborateurs.
Accepter le fait que nous ne sommes pas tous formatés pour le travail à distance : L’e-manager comme l'e-collaborateur n’ont pas été toujours formés et ne sont pas toujours motivés pour travailler à distance. Savoir utiliser les TIC au bon niveau d’usage, savoir s’adapter aux us et coutumes de nos e-interlocuteurs, savoir formuler un message avec la TIC la plus performante fait partie des points que nous avons à développer pour rester dans la course. La direction et la motivation des technophobes, des technopathes et des technophiles deviennent un challenge au quotidien pour tous les e-managers.
VIUZ : Comment gérer les e-comportements de la génération Y ?
Nous ne sommes pas tous égaux dans l’usage des TIC. La génération née après les années 80 et d’autant plus celle née après 2000, ont été éduqués, formés (souvent en autoformation) et vivent leur quotidien avec les TIC. Aujourd’hui des décalages existent dans les usages des TIC, le personnel se mélange avec le professionnel, les réseaux sociaux pénètrent les entreprises, parfois même l’entreprise est en retard technologique avec les nouvelles générations adeptes des dernières TIC sortis dans le commerce ou plutôt l'e-commerce.
Comment faire le pont entre ses e-mondes ? En management, nous devons rester vigilants sur les objectifs attendus, sur la conscience voire l’acceptation des différences e-comportementales, sur la responsabilisation de nos e-collaborateurs, sur les formes de travail en collaboration plus qu’en exécution.
Par exemple :
- mettre en place de règles consensuelles d’e-communication,
- suivre l’évolution du respect de ces dernières,
- pratiquer un management situationnel qui s’appuie sur l’intelligence collaborative,
- intégrer dans les échanges à distance des dimensions émotionnelles et relationnelles,
- savoir exprimer ses ressentis sur l’excès d’usage des TIC …
Enfin, gardons à l’esprit qu’à ce jour, les TIC ne résolvent pas tout et que le contact direct fait encore partie des modalités relationnelles les plus performantes, car faisant appel à tous nos sens pour mieux comprendre et se faire comprendre.
Jean-Michel ROLLAND est Consultant-Formateur en Management de Proximité et à Distance pour les Hommes, les Equipes et les Projets et également enseignant-Chercheur à l’Institut Supérieur de l’Electronique et du Numérique de Toulon.
Site : www.jm-rolland.fr