Selon une étude de Mozilla et de CheckFirst publiée aujourd'hui, aucun des 11 outils de transparence publicitaire créés par les plus grandes plateformes technologiques du monde pour aider les organismes de surveillance à contrôler la publicité ne fonctionne aussi efficacement qu’il devrait, laissant les électeurs du monde entier vulnérables à la désinformation et à la manipulation.
Ces outils, prévus par l'article 39 du Digital Services Act (DSA) de l'Union européenne, permettraient aux chercheurs de surveiller un large éventail de sujets – tels que la désinformation électorale – en contrôlant le contenu des publicités, les critères de ciblage et la portée. En mars, l'UE a adopté des règles de transparence supplémentaires axées sur la publicité politique, afin de freiner la désinformation sur les élections, les référendums et autres processus législatifs. Cette réglementation entrera toutefois en vigueur à la fin de l'année prochaine, manquant ainsi le moment décisif du mois de juin, à savoir les élections européennes.
Le rapport intitulé "Full Disclosure : Stress-testing tech platforms' ad repositories" a révélé que ces référentiels sont entachés de données manquantes, de bugs, de caractéristiques médiocres ainsi que de lacunes inacceptables. Étant donné que les acteurs mondiaux de la tech apportent souvent des modifications à leurs plateformes pour se conformer aux réglementations internationales, les réglementations de l'UE pourraient avoir un effet considérable dans les pays non membres de l'UE qui organisent des élections importantes cette année – à l’instar des États-Unis, du Mexique ou encore de l'Inde – ce qui aurait des répercussions sur la façon dont la publicité est gérée et contrôlée sur ces plateformes aux quatre coins du monde. Plus important encore, les référentiels laisseraient environ la moitié de la population mondiale, dont on estime qu'elle participera aux élections de 2024, dans l'incertitude quant à l'identité de l'auteur des contenus publicitaires qu'elle consomme.
Mozilla et CheckFirst ont enquêté sur AliExpress, Apple App Store, Bing, Booking.com, Alphabet (Google Search et YouTube), LinkedIn, Meta, Pinterest, Snapchat, TikTok, X et Zalando. Les chercheurs ont testé les outils de transparence à l'aide de plus de 20 paramètres, notamment la fonctionnalité, l'accessibilité des données et la précision. Ces paramètres s'appuient sur la DSA ainsi que sur les lignes directrices de la bibliothèque publicitaire de Mozilla.
Les référentiels laissent souvent planer une grande incertitude quant à l'identité de l'annonceur, et le système peut facilement être détourné. Meta indique le bénéficiaire et le payeur, tandis que la plupart des plateformes indiquent l'"annonceur" ou le "sponsor" sans autre contexte. TikTok, Bing et Google, par exemple, indiquent le lieu d'enregistrement de l’entreprise qui paie la publicité.
« Les outils de transparence de X sont une véritable déception » déclare Claire Pershan, responsable de la défense des intérêts de l'UE chez Mozilla. Son référentiel n'offre aucune capacité de filtrage et de tri ; les publicités ne sont accessibles que par le biais d'un fichier d'exportation CSV encombrant ; le contenu des publicités n'est pas divulgué (seulement une URL vers les publicités), et il y a des lacunes dans les paramètres de ciblage et les données sur les destinataires. De plus, la recherche de contenu historique est pratiquement impossible. C'est peut-être pour toutes ces raisons que la Commission européenne a inclus le dépôt d'annonces de X dans la procédure formelle qu'elle a engagée contre la plateforme en vertu du DSA.
Apple, LinkedIn et TikTok s'en sortent modérément mieux, mais seulement par comparaison - ils présentent également de grandes lacunes en termes de données et de fonctionnalités. La plupart des outils sont entravés par des limites de taux de recherche, des fonctions de tri et de filtrage médiocres, une accessibilité limitée, et plus encore.
Selon M. Pershan : « Les outils de transparence publicitaire sont essentiels pour la responsabilité des plateformes – c’est une première ligne de défense, comme les détecteurs de fumée. Néanmoins, nos recherches montrent que la plupart des plus grandes plateformes mondiales ne proposent pas de référentiels publicitaires fonctionnellement utiles. Les outils actuels existent, certes, mais dans certains cas, c'est à peu près tout ce que l'on peut en dire. »
Amaury Lesplingart, CTO et cofondateur de CheckFirst, ajoute : « Il est essentiel de savoir qui paie les publicités et comment elles sont ciblées pour aider les organismes de surveillance à défendre l'intérêt public, qu'il s'agisse d'élections équitables, de santé publique ou de justice sociale. En bref, si vous voyez une publicité qui vous dit que le réchauffement climatique n’existe pas, vous pourriez être intéressé de savoir si cette publicité a été payée par l'industrie des combustibles fossiles. »
Outre l'évaluation des outils, les chercheurs de Mozilla formulent plusieurs recommandations à l'intention des plateformes et des décideurs politiques. Parmi celles-ci : les plateformes devraient améliorer les fonctionnalités de recherche et de filtrage, ainsi que fournir une meilleure documentation et des fonctions d'aide. Les décideurs politiques devraient quant à eux exiger la normalisation des API entre les plateformes afin d'améliorer la convivialité, de faciliter la recherche cross-plateforme et renforcer les exigences en matière de contenu de marque.
Les chercheurs de Mozilla et de CheckFirst ont également proposé une recommandation pour un format de publicité numérique normalisé (SDAF – Standardized Digital Advertising Format), une norme permettant d'offrir une vue d'ensemble des campagnes publicitaires numériques.
Ce rapport vient en complément des autres travaux de Mozilla sur les élections de 2024, tels que l'examen des politiques d'intégrité électorale des plateformes et l'évaluation des techniques de détection des contenus synthétiques.
Le rapport complet est disponible au lien suivant.