Attendue ou redoutée dans le monde de l’adtech, la fin des cookies tiers est proche. Le 4 janvier dernier, Chrome, le navigateur de Google, a commencé à désactiver les cookies tiers. En vue, le passage à la privacy sandbox, prévu au second semestre 2024.
Cette désactivation intervient après moult atermoiements alors que Safari et Firefox ont déjà supprimé les cookies tiers depuis quelques années déjà.
Quels impacts, quelles alternatives ? Nous avons posé la question à six experts :
- Geoffroy Martin, CEO d’Ogury
- Damien Mora, VP Operations & Tech de Biggie Group
- Guilhem Bodin, Partner chez Converteo
- Pauline Boedels, Directrice générale de 79 et Camille Quiqueret, Head Of Programmatic & Social Ads de l’agence
- Stéphane Gendrel, CMO, Commanders Act
- Liveramp
Geoffroy Martin, CEO d'Ogury
“La publicité sans cookie et sans ID est la seule alternative permettant d’articuler scalabilité, mondialisation, respect des utilisateurs et performances pour les marques”.
Dans l’open web, la seule solution alternative face à la désactivation des cookies tiers est sans cookies et sans identifiant.
Nous ne croyons pas aux alternatives avec identifiant car ces derniers ont toujours besoin du consentement de l’utilisateur, consentement qui baisse chaque fois un peu plus. Pour que la solution de l'identifiant marche, il faudrait de plus que l'industrie se mette d’accord sur un standard, or il y a trop de concurrence en la matière. Dans le meilleur des cas, le marché devra composer avec plusieurs identifiants. Ce qui veut dire qu’un annonceur ou son agence devront gérer une campagne avec autant d’ID. C'est-à-dire autant de freins à la scalabilité et à la mesure des performances…
Les solutions reposant seulement sur le ciblage contextuel ou sémantique, présentent de nombreuses limites elles aussi. La quantité de sites contextuellement pertinents pour une campagne est réduite. Dès que tout le monde se mettra au contextuel, l’inventaire sera saturé, ce qui entraînera une hausse des CPM, une baisse des performances, et au final une dégradation du ROI.
La publicité sans cookie et sans ID développée par Ogury permet quant à elle d’articuler scalabilité, mondialisation, respect des utilisateurs et performances pour les marques. C’est une approche probabiliste qui cible des persona. Elle repose sur des bases de données alimentées par des milliards et des milliards de points signaux. Ces bases des données se nourrissent du sémantique, du contextuel, d’une grande quantité de sondages, de l’analyse des résultats de campagne. Elles intègrent des modèles prédictifs qui permettent de savoir exactement sur quelle page une publicité doit être diffusée, de prédire ses performances.
En général, cette approche offre de meilleures performances ou des performances similaires à des campagnes qui utilisent toujours les cookies tiers ou les identifiants.
Liveramp
“Une opportunité et non une menace. L’avenir qui se dessine est gagnant-gagnant pour les parties prenantes : les utilisateurs, les éditeurs, les annonceurs”.
Nous avons toujours envisagé la suppression des cookies tiers comme une opportunité et non comme une menace. La fin des cookies tiers est la conséquence logique de la préoccupation croissante des utilisateurs pour le respect de leur vie privée et de la confidentialité de leurs données. Du reste, nous l’avions anticipée de longue date et avons été en mesure de proposer dès 2021, avec notre solution de trafic authentifié ATS, une alternative vertueuse et efficace reposant sur les data « first-party ».
Son impact doit être appréhendé à l’aune de ses effets sur trois types de « stakeholders » : les utilisateurs, les éditeurs et les annonceurs. Notre conviction est que l’avenir qui se dessine est « win-win » pour chacun d’eux.
- Les utilisateurs reprendront confiance dans un écosystème numérique plus respectueux de leur consentement
- Les éditeurs sont incités à renforcer leur relation « first-party » avec leurs utilisateurs pour tirer le meilleur parti de leur inventaire publicitaire
- Les annonceurs pourront déployer des solutions éthiques et responsables qui sont tout aussi efficaces voire plus efficaces en termes d'adressabilité.
Aux États-Unis, par exemple, plus de 92% du temps passé en ligne par les utilisateurs se déroule sur des sites et des plateformes partenaires de la Solution ATS de LiveRamp. Un annonceur pourra ainsi atteindre plus de 95% de la population américaine via nos intégrations, et ce, sans cookies tiers, sans identifiants de dispositifs mobiles ou d'adresses IP.
Damien Mora, VP Operations & Tech de Biggie Group
“Des alternatives pour des solutions fonctionnelles, pour la personnalisation, pour le retargeting, pour la mesure”
En termes de ciblage, il existe déjà des solutions alternatives fonctionnelles : le contextuel, la data first party des publishers, le retail media, ou encore les identifiants uniques (LiverampID, UID, Utiq, First ID…).
En matière de personnalisation, on pourrait imaginer se baser sur les identifiants uniques ou le contexte. Mais ce cas d’usage est pour l’instant très mal adressé, d’autant que, les internautes ne sont pas forcément contre une publicité si elle est adaptée et pertinente.
Concernant le retargeting, la solution proposée (protected audience) ne fonctionne que sur Chrome et oblige donc à gérer les cas de retargeting de manière différente selon l’environnement. Elle délègue d’ailleurs complètement la gestion de retargeting au navigateur et plus du tout aux plateformes d’achat, ce qui interroge sur l’opérabilité de ces campagnes.
Pour ce qui est de la mesure, le tracking server side (S2S) permet de contourner une partie des contraintes, en tout cas sur les walled garden et les réseaux sociaux. Ces derniers sont cependant à des niveaux de maturité différents concernant ces solutions. Par ailleurs, les API de mesure d’attribution vont devoir être intégrées aux Adtechs, ce qui n’est pas encore opérationnel. Enfin, les identifiants uniques, souvent mis en exergue comme alternatives, ne fonctionnent que s’ils sont également implémentés sur le site de l’annonceur.
Guilhem Bodin, Partner chez Converteo
“Le cookie, un bout de code qui n’en demandait pas tant”
A quelques mois de la dépréciation des cookies tiers, pas une journée ne s’écoule sans que nous les évoquions, cela illustre parfaitement l’impact de cette évolution majeure du marketing digital qui touche de très nombreuses fonctions d’un site internet et des canaux marketing : du media à l’acquisition, en passant par le marketing relationnel, mais aussi l’analytics et la personnalisation sont touchés par cette dépréciation.
Ce petit fichier est cependant très imparfait, sa fonction est de permettre une liaison entre un navigateur et un domaine avec une durée de vie limitée.
Avec un peu de recul, nous ne pouvons que constater aujourd’hui que ce cookie a de très gros défauts : des capacités très limitées voir inexistantes sur le cross navigateur, cross device, cross-domaine, très anonyme et en même temps totalement détourné pour permettre d’essayer de pister le potentiel consommateur qui est en nous.
Les impacts de la disparition sont multiples et touchent l’ensemble des nombreuses fonctions “vitales” du marketing digital :
- Le ciblage est très probablement la thématique qui fait couler le plus d’encre, le cookie permettait jusqu’alors de cibler et recibler des internautes en fonction de comportement identifié et “sauvegardé” dans les cookies. Les alternatives sont nombreuses mais n’ont à date pas encore fait leurs preuves, on parle ici principalement des solutions proposées par Google dans la Privacy Sandbox, aux ID publicitaires et au retour du ciblage contextuel.
Des indicateurs de diffusion dans les plateformes publicitaires comme le reach et la fréquence sont complétées par des statistiques. - L’attribution et le multi-touch attribution perdent petit à petit leurs moyens, rendant ainsi impossible de comparer les évolutions d’une période à l’autre et rendant pratiquement impossible la reconstitution déterministe d’un parcours cross canal. La modélisation semble alors la seule hypothèse pour piloter ses activations.
- Enfin la perte de signal dans les plateformes et sur les parcours digitaux limitent les algorithmes à optimiser et nécessite de repenser la collecte de la data en contournant les navigateurs en faisant communiquer les serveurs entre eux directement, à cela s’associe le partage d’informations sensibles comme les data CRM.
Cette évolution offre en réalité de très nombreuses opportunités de se réapproprier les activations et le pilotage du marketing digital. Il permet également de repenser les organisations en rapprochant des équipes qui avaient parfois oublié qu’elles faisaient le même métier : du marketing
Pauline Boedels, Directrice générale et Camille Quiqueret Head Of Programmatic et Social Ads de 79
“Nous sommes déjà dans un monde sans cookie tiers en partie”
Le cookie tiers permet de répondre à plusieurs usages : qualification et ciblage, scénarisation, pression publicitaire et mesure. Aujourd’hui, plus de 50% des publicités servies en France n’ont pas de cookies associés (ex : Safari).
La fin des cookies tiers bouscule, mais elle pousse le marché à innover : identifier les bonnes solutions, les tester, mettre en place des protocoles… Pour accompagner nos clients, nous avons mis en place un projet ambitieux qui rassemble plusieurs d’entre eux autour du cookieless. Nous avons présélectionné des acteurs sur la base d’une grille d’évaluation et constitué des one pager de chaque solution pour les présenter à nos clients. Ensuite, nous avons identifié les différents use cases par annonceur avec les protocoles de tests associés. Enfin, nous avons mis en place une roadmap de test cross-annonceurs. A date, nous avons rassemblé 9 annonceurs, testé 11 solutions pour pouvoir établir de premiers enseignements tout en continuant de veiller, conseiller et tester.
Par ailleurs, l’impact de la fin des cookies tiers n’est pas le même entre open web et walled garden. La capacité de ciblage des walled garden, tels que les réseaux sociaux, se voit faiblement impactée car nous sommes dans des environnements logués. Il y a également peu d’impact sur la mesure et l’optimisation, hors conversions post view, qui peuvent être redressées via les solutions « Conversion API » sur les différentes plateformes. Tandis que l’open web doit se confronter à davantage de challenges pour se réinventer et pouvoir continuer à répondre aux attentes des annonceurs.
Aujourd’hui, les alternatives sont nombreuses.
Dans un premier temps, il est important de rappeler que la fin des cookies ne concerne que les cookies tiers. Les cookies first party demeurent tant que les navigateurs l’autorisent, ce qui permet de maintenir la mesure des conversions post click pour une grande majorité des outils.
Ensuite, les alternatives se structurent autour de plusieurs typologies de solutions : celles autour des individus via les données CRM de nos annonceurs, les solutions de cookies 1st party cross domain avec First ID ou les Universal ID. Le principal enjeu des solutions d’Universal ID réside dans l’intégration côté éditeurs mais aussi annonceurs pour la mesure ainsi que le reach proposé.
Nous avons également les solutions contextuelles à disposition et nous attendons, bien entendu, beaucoup de la solution Privacy Sandbox de Google.
Les alternatives peuvent également résider dans une manière d’aborder la mesure différemment en intégrant des notions de qualité média via des indicateurs comme l’attention ou la brand suitability. Ces nouveaux indicateurs peuvent nous permettre d’identifier l’impact et la performance de nos campagnes tout en étant cookieless.
Stéphane Gendrel, CMO, Commanders Act
“Il y aura un avant et un après. Nous estimons que moins de 5% des cookies tiers seront acceptés”
Autant dire qu'il y aura un avant et un après. Nous estimons chez Commanders Act qu'après 2024, moins de 5% des cookies tiers resteront acceptés. Cette disparition va affecter les plateformes publicitaires, d’abord dans leur capacité à suivre les utilisateurs dans leurs visites sur différents sites, ensuite sur l'attribution des conversions en cassant le lien entre les publicités vues ou cliquées et les achats. Or le modèle de rémunération de certains adtech dépend de leur capacité à revendiquer des ventes après exposition publicitaire ou visite du site.
Quant aux canaux publicitaires, les plus affectés sont le Display, l’affiliation, les native ads… ce qu’on qualifie d’Open Web. Les réseaux sociaux seront les moins touchés car évoluant dans des environnements logués et Google tire aussi son épingle du jeu car son modèle publicitaire repose peu sur la constitution d’audiences. On peut estimer qu'un maximum de 20% de dépenses média sera très fortement affecté (données d'audiences + attribution perdues), 50% affecté uniquement pour les audiences et 30% peu affecté. L'impact est réel, mais dans certains cas limité.
Alors comment s'en prémunir ? Sur le terrain des cookies tiers, les alternatives proposées restent peu adoptées. Les systèmes de partage d’identifiants entre sites sont séduisants mais leur reach est bien trop limité, la Privacy Sandbox de Google fait plus peur qu’elle n’attire et le ciblage contextuel a du mal à séduire des marketeurs très appétant aux innovations. Ça et là, ces alternatives aideront néanmoins à limiter la perte des informations de profilage.
Concernant l’attribution des conversions, l’alternative la plus solide est la collecte de données first-party. Pour les annonceurs, cela requiert quelques adaptations sur leurs sites et surtout l’utilisation d’outils de Tag Management de nouvelle génération (first party et server-side). A titre d'illustration, Commanders Act a anticipé le mouvement en proposant ce type de nouveauté dès la mi-2022. À fin 2023, les deux tiers des 500 clients européens avaient déjà migré. Preuve que l'enjeu est de taille car il s'agit ni plus ni moins que de conserver la capacité à mesurer l'efficacité publicitaire globale.