L’équipementier sportif Nike a lourdement creusé l’écart avec son rival historique Adidas, avec une différence de chiffre d’affaires de 24,2 Milliards de Dollars en 2022. Le volet numérique n’est qu’une partie de la guerre que se livre les deux géants depuis des décennies. Pour le comprendre, éclairage sur 4 différences entre les stratégies de Nike et Adidas, dont le marketing numérique et l’influence sur les réseaux sociaux (et sur les écrans de cinéma).
Un écart de 24.2 Milliards de Dollars de CA
Nike : 46.7 Milliards de $ de CA mondial en 2022. Adidas : 22.5 Milliards de $.
Depuis 2016 le chiffre d’affaires de Nike a augmenté de 15.4% alors que celui d’Adidas n’a augmenté que de 7.4%. Le CA de Nike dépasse celui de ses deux plus gros concurrents Adidas et Puma réunis. (CA Puma : 8.47 Milliards de $ en 2022). (source Statista)
#1 : Football versus basketball
Depuis leur création, Nike et Adidas investissent auprès de nombreux athlètes et fédérations sportives. Il serait donc réducteur de résumer leurs différences à « Football » pour l’européen Adidas et « Basketball » pour l’américain Nike. C’est cependant un indice pour comprendre les approches de ces marques, en partie liées à leurs origines.
Ainsi Nike et Adidas auraient investi plus de 3 milliards de dollars (2,5 Mds d’euros) dans le sponsoring sportif à elles deux en 2021. Nike aurait dépensé 1,673 Milliard de dollars contre 1,405 pour Adidas (Source : rapport GlobalData Sport Intelligence de KMPG).
L’écart de près de 270 millions entre les budgets de sponsoring sportif des deux marques est lié au fait que Nike soutient trois des principales fédérations sportives américaines (NFL - football américain, NBA - basket et MLB - baseball), tandis qu’Adidas se concentre sur la NHL (Hockey) et les compétitions de football de la FIFA (Adidas est partenaire de la coupe du monde jusqu’en 2030) et de l’UEFA.
Si on se concentre sur le football, Nike lui aurait consacré la moitié de son budget sponsoring en 2021 (834 millions de dollars soit 679 millions d'euros). Pour Adidas cet engagement envers le football est encore plus fort puisqu’il y concentre les trois quarts (73%) de ses ressources de sponsoring, soit 1,026 milliards de dollars (836 millions d'euros). Son contrat avec le Real Madrid est estimé à environ 120 millions d'euros par saison.
Parmi les sponsorings d’athlètes de légende, Adidas parraine depuis plus de 15 ans le footballeur argentin Lionel Messi. Le récent transfert de Messi vers l’équipe de l’Inter Miami aurait été rendu possible grâce aux négociations avec le club mais aussi avec Adidas et Apple (qui détient les droits de streaming des matchs de la MLS – Major League Soccer). Détails dans le Figaro.
#2 : Briques et mortier versus e-commerce
Nike et Adidas ont tous les deux des modèles de vente omni-channel avec des magasins en propre, du e-commerce et des réseaux de revendeurs.
Mais Adidas se distingue de son rival historique par l’étendue de son réseau de magasins, avec 1990 magasins dans le monde en 2022, contre 1000 pour Nike. (source Statista)
Nike et Adidas ont également deux relations bien différentes avec le géant du ecommerce Amazon. En effet, Adidas vend en direct ses équipements sur Amazon, tandis que Nike a mis fin à son contrat de « first party reseller » Amazon en 2019.
En effet Nike tente depuis des années de lutter contre la contrefaçon et c’est pourquoi en 2017 la marque avait lancé un partenariat avec Amazon pour vendre en direct sur la plateforme e-commerce. L’idée était aussi de permettre à Nike de mieux maîtriser ses données de ventes en ligne. Mais l’opération s’était soldée par un échec dès les 6 premiers mois d’expérimentation et l’accord avait été rompu en 2019. Car invisibiliser tous les petits vendeurs intermédiaire du « marché gris » de Nike n’avait pas permis à la marque Nike de bénéficier d’une visibilité accrue sur Amazon. Bien au contraire même puisque Nike bénéficiait de moins de vues de références en ligne et générait moins de commentaires clients sur Amazon. (détails Forbes)
#3 : Deux fois plus d’engagements sur les réseaux sociaux pour Nike
Sur le terrain des réseaux sociaux encore une fois l’écart se creuse entre Nike et Adidas. Pour le comprendre, regardons une étude originale réalisée par KORE Software (outils d’analytique social media) avec le media spécialisé SportsPro. Leur classement « Battle of the brands » publié en février 2023 liste 50 marques qui investissement dans le sponsoring sportif avec un calcul du retour sur leurs investissements numériques. Cette étude mesure les impacts de la publicité mais aussi les impacts d’actions orchestrées et organiques sur les réseaux sociaux. (Etude réalisée entre septembre 2021 et septembre 2022).
Les 4 marques ayant généré le plus de ROI numérique sont Nike, Adidas, Emirates et Red Bull. Avec Nike générant plus de 527 millions de $ en valeur publicitaire, Adidas 331 Millions de $ et Emirates 290 Millions de $.
(Source : Battle of the brands – Kore Software – SportsPro)
Le ROI numérique (AAV - Adjusted Ad Value) est basée sur le calcul du coût de l'engagement (visites, vues, interactions) avec un paramètre de qualité de l'exposition de la marque.
Les posts sur les réseaux sociaux pour promouvoir Nike ont enregistré plus de 18 Milliards de vues et 8 milliards d’engagements (Likes, commentaires, partages), et représentent 6.1% du ROI numérique (AAV) des 50 marques du classement.
Adidas enregistre de son côté 9,4 Milliards de vues, 3,9 Milliards d’engagements et représente 3,8% du ROI numérique du classement.
En termes de sport, c’est encore une fois le football qui domine ce classement du ROI des investissements de sponsoring sportif. Le football représente en effet 49% du ROI généré par toutes les marques dans le classement Battle of the brands, pour une valeur de 4.2 Milliards de $.
En termes de plateforme, celle qui génère le plus de valeur pour les 50 marques étudiées est Instagram. Avec un ROI (AAV) de 5,3 Milliards de $, soit 62% du ROI.
#4 : Softpower et storytelling, Nike fier de son histoire
Nous pénétrons sur le terrain de la perception et de la réputation de marque en parlant du softpower (l’influence culturelle) de Nike et d’Adidas.
Dernier fait d’arme de Nike : la sortie du film Air, dédiée à l’histoire du partenariat historique entre Nike et Michael Jordan. Le film est distribué par Amazon Studios et disponible en streaming sur Amazon Prime depuis mai 2023. C’est un succès commercial pour la plateforme qui a réussi à rembourser le budget de production du film, 90 Millions de dollars, avec un petit mois d’exploitation en salle à l’international avant la disponibilité en streaming.
Pour Nike c’est une superbe opération de com’ qui surfe sur la vague de nostalgie pour les années 80 et la popularité toujours forte de Michael Jordan pour tous les amateurs de basketball et de basket wear.
Pour l’anecdote, Adidas se fait tacler dans une scène jouée par Matt Damon qui incarne Sonny Vaccaro responsable du marketing sportif qui a convaincu Jordan de signer avec Nike. Vaccaro aurait ainsi rappelé à l’agent de Jordan que le vrai prénom de Adi Dassler, fondateur d’Adidas, est Adolf et qu’il était dans les jeunesses Hitlériennes. On pardonnera cette tactique dans un film par ailleurs émouvant et inspirant. Tous ceux qui s’intéressent à ce qui fait l’ADN d’une marque et les valeurs d’un entrepreneur pourront aussi s’inspirer des répliques de Phil Knight, fondateur de Nike, incarné Ben Affleck en superbes tenues de running fluo.
On attend donc la réplique d’Adidas sur le volet du softpower. Mais la marque tente plutôt de supprimer les bruits négatifs, notamment en mettant fin au partenariat avec le rappeur Kanye West suite à ses propos antisémites. Adidas dispose donc désormais d’un stock de 1.3 Milliards de marchandises de la marque « Ye » qu’il pourrait décider de vendre au profit d’associations représentant des populations blessées par les propos de Kanye West. (détails dans Billboard) Peut être de quoi regagner un peu de Softpower…
Séverine Godet