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Sens d’un métier ou sens d’un emploi ?

Par Romain Bendavid

Le sens occupe une place centrale dans le rapport que chaque individu entretient avec son travail. Dans une époque marquée par un repli sur la sphère individuelle, les interrogations autour du sens sont aujourd’hui très personnelles. Elles ont pour objectif d’en élaborer le récit, la raison d’être.  

Trois grandes significations du sens du travail

Le sens du travail revêt trois grandes significations : une intuition (quelle impression son travail renvoie-t-il ?), une explication (quel est le degré d’adéquation de son travail avec ses propres valeurs ?) et enfin, une direction (comment se projette-t-on dans sa carrière ?). Le concept d’utilité est souvent emprunté pour mesurer la pertinence du sens d’un travail. Il a pour avantage d’être concret et déclinable : quelle est l’utilité perçue de son travail à ses yeux, à ceux de son employeur, voire à ceux de l’ensemble de la société ? 

La conviction d’exercer un travail utile sera d’autant plus consistante que les salariés ont le sentiment de produire quelque chose de concret, d’aboutir à un résultat tangible. Les exemples de l’artisan fabriquant un objet ou de l’instituteur transmettant un savoir, viennent rapidement à l’esprit pour illustrer cette sensation. Mais même au-delà de ces cas emblématiques, beaucoup d’autres situations existent, issues de différents domaines d’activité, de l’architecte dessinant le plan d’une maison à l’agent d’entretien d’espaces verts contribuant à rendre l’environnement plus agréable…   

Depuis la crise sanitaire, la quête de sens a pris de l’ampleur. Cette période singulière a été propice à une introspection sur le sens de sa vie et, partant, de son travail. Elle a conduit beaucoup de salariés à se poser des questions existentielles : pourquoi fait-on ce métier ? Ne pourrait-on pas changer complètement de voie ? 

De la priorité accordée aux critères qualitatifs

La recherche de sens s’inscrit également dans la nouvelle priorité accordée à des critères qualitatifs, comme la recherche d’équilibre entre vie privée et personnelle ou l’aspiration à être davantage épanoui au travail. La déception envers le sens est ainsi devenue une des premières raisons avancées par les cadres pour expliquer leur envie de démissionner… En parallèle, l’analyse du vécu au travail a connu un regain d’intérêt alors qu’elle a longtemps fait figure d’impensé, dans un contexte de chômage de masse où les réflexions sur l’accès à l’emploi prévalaient. 

Au-delà d’une introspection sur le temps long, l’importance accordée au sens s’explique également par l’exigence à court terme de vivre une « expérience » singulière au travail. Cette dernière ressemble à la satisfaction procurée par la consommation d’un produit. Dans ce prolongement, le recours massif aux réseaux sociaux – LinkedIn dans le milieu professionnel – répond à une ambition narcissique de valorisation de soi. Les utilisateurs y recherchent en effet une légitimation du sens de leur activité, qui se matérialise par l’attention portée, par les membres du réseau, au récit de leurs parcours professionnels, quand bien même la mise en scène proposée est éloignée de la réalité vécue au quotidien. Il apparaît dès lors logique que les utilisateurs se montrent sensibles aux indicateurs de valorisation de leur expérience, les Vanity metrics tels que les likes, le nombre de followers …  

Une impression de délitement du sens d’un travail

Néanmoins, et sans aller jusqu’à évoquer une crise du sens, Il existe des obstacles qui conduisent à une impression de délitement du sens d’un travail. Pour appréhender ce mécanisme, il convient de dissocier le sens d’un métier, qui correspond à sa nature originelle, son « essence », de celui d’un emploi, qui renvoie à la façon dont il s’exerce au quotidien dans les entreprises. La dégradation du sens survient généralement lorsque la seconde représentation s’éloigne de la première. Sentiment d’inutilité, changements fréquents d’orientations stratégiques, organisation très verticale, lourdeurs bureaucratiques, activités automatisées… les motifs potentiels d’altération du sens du travail sont multiples 

On peut également mentionner des situations particulières, dont celles des personnes exerçant un métier comportant une forte dimension de pénibilité, à l’instar de ceux à temps partiel, subis plus que choisis, et qui permettent rarement de se projeter dans une recherche de sens. Les jeunes actifs, sans emploi, ni formation (1,4 millions en 2021 selon l’INSEE), s’inscrivent également dans cette logique, dans la mesure où ils sont plus préoccupés par les difficultés d’insertion professionnelle que par un idéal de sens. 

Des actions correctives peuvent heureusement être initiées pour faire davantage coexister sens d’un travail et sens d’un emploi. Un des principaux leviers réside dans le fait d’accorder aux salariés plus de souplesse et d’autonomie dans l’aménagement de leur travail. Il s’agit par exemple – de pérenniser – lorsque l’organisation des entreprises le permet – le recours au télétravail pour les cadres ou, celui (encore rare) de la semaine de quatre jours, pour les autres catégories de salariés. 

Perspectives d’évolution

A plus long terme, il serait judicieux d’infléchir la perception, ressentie par beaucoup de collaborateurs, de perspectives d’évolution insuffisantes au sein de leur emploi actuel. L’impact sur la dépossession du sens y est évident, étant donné que l’on remet en question une de ses principales significations, celle de fixer un cap, une direction

Par ailleurs, nous avons souligné le fait qu’une déception à l’égard du sens d’un emploi n’engendrait pas forcément de distanciation vis-à-vis de la valeur travail. Dans ce cadre, travailler en dehors du champ professionnel peut constituer une solution de repli provisoire. Le dynamisme du monde associatif nous fournit une illustration éclairante. Il montre que l’exercice d’une activité principale n’est pas incompatible avec celui d’un autre travail, effectué pendant son temps libre. Un cinquième de la population française âgée de 15 ans ou plus (21% soit 12 millions) est en effet engagé bénévolement dans une association.

En définitive, cet attachement porté à la notion de sens du travail, que l’on en soit satisfait ou déçu, témoigne de la priorité actuelle accordée à cet enjeu, que ce soit pour le faire vivre ou pour se le réapproprier. 

Romain Bendavid est expert Associé à la Fondation Jean-Jaurès et a dirigé pendant 10 ans le Pôle “Work Experience” à l’Ifop 

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