Depuis son lancement en 2004, la marque française de baskets VEJA est devenue une référence de la mode et du textile. Son projet repose sur de forts engagements environnementaux et sociaux (ESG) et un refus de la publicité et du marketing « classique » afin de réduire ses coûts. Alors on a voulu comprendre comment Veja séduit ses clients, anonymes et célèbres. Avec un éclairage sur trois leviers utilisés par Veja pour rendre l’écoresponsabilité virale sur les réseaux sociaux.
Rappel sur les engagements ESG de Veja
Veja est un pionnier du commerce équitable et du sourcing durable. Nous en parlions dans cet article de 2021 sur les startups responsables. Sa démarche l’amène à sélectionner des matériaux durables. Comme du caoutchouc bio-sourcé ou encore du cuir aux méthodes de tannage moins polluantes.
Sur le volet social, Veja s’engage pour la réinsertion avec plus de 430 salariés accompagnés depuis 2004. On vous recommande cette vidéo qui résume l’histoire de Veja. Car les fondateurs y racontent un moment déclic. En 2003, lors de leur visite d’une usine textile chinoise pour l’audit social d’une grande marque de mode.
Pas d’égéries ou d’influenceurs payés, mais des célébrités fans
Conséquence de son sourcing écoresponsables et éthiques, les baskets Veja coûtent 5 à 7 fois plus cher à produire que d’autres marques moins scrupuleuses pour choisir leurs matériaux et fournisseurs (estimation Veja). Pour maintenir un prix de vente comparable à ses concurrents, la marque a décidé d’éliminer les coûts publicitaires. Car selon Veja « 70 % du coût d'une basket de grande marque est alloué à la publicité. ». Veja ne fait donc pas de publicité classique, n’a pas d’égéries / influenceurs payés, et ne fait pas d’affichage. Elle préfère une stratégie de bouche à oreille, sur le terrain et via les réseaux sociaux.
Et ça marche. Ces baskets au look épuré et au V bien reconnaissable sont désormais adoptées par des stars et influenceurs (non payés par Veja) qui souhaitent afficher leurs choix responsables.
Levier #1 : l’effet Meghan et la conscience environnementale des stars
Ce qui nous amène à un premier levier viral utilisé par Veja. Devenir la marque préférée des stars et fashionistas soucieuses de l’environnement. Avec la chance d’apparaître aux pied de Meghan Markle à l’automne 2018. Elle était photographiée pendant les Invictus Games à Sydney avec ses baskets V-10 noirs et blanches. Un parfait accessoire pour un look sportif mais chic. (détails et photos via Vogue.fr)
Une surprise pour les fondateurs de Veja qui avouent alors ne pas suivre ce que font les célébrités et ne pas savoir qui est Meghan (!) (source Footwearnews). Mais ils peuvent remercier leur équipe en charge des partenariats avec de grands noms de la mode qui ont contribué à faire connaître Veja par toutes les fashionistas de la planète. Comme Agnès B., Jacadi et plus récemment Marni.
Résultat immédiat de l’effet Meghan : une augmentation de 113% des recherches pour la marque Veja (source Settingmind.com). 58% d’augmentation des recherche entre 2017 et 2018 (source classement Lyst, Year in fashion 2018). Et une explosion des engagements sur Instagram (20 000 likes pour la photo de Meghan contre 1000 à 3000 likes habituellement.
Depuis, d’autres stars « écolos » et habituées des défilés de mode, comme Emma Watson et Marion Cotillard, ont aussi été photographiées avec des Veja aux pieds. Les sneakers Veja font aussi partie du look « Frenchtech » d’Emmanuel Macron.
Levier #2 : pas d’affichage publicitaire, mais un « affichage » publique de la contrefaçon
Découvrir une photo de Meghan Markle portant une paire de Veja est une belle surprise pour la marque. Mais la rançon du succès a été de voir ensuite arriver sur les réseaux sociaux des baskets au design étrangement familier.
Exemple en mars 2019, avec ce modèle Primark repéré par le compte Instagram de Nu Wardrobe @Wearenuw. Photo relayée par Eco-age.com qui rappelle que « It’s not cool to copy ». C’est le 2ème levier que nous avons choisi de souligner dans cet article. Car il montre l’importance de la veille sur les réseaux sociaux et de la prise de parole directe pour défendre les valeurs de la marque.
L’irlandais Primark est la 3ème enseigne de prêt à porter au monde derrière H&M et Zara. Elle est décriée pour sa politique de « fast fashion » ou mode jetable à petit prix. L’enseigne aurait donc copié un modèle Veja mais sans copier sa politique d’approvisionnement responsable. C’est en résumé ce que leur a répondu sur Instagram Sébastien Kopp, cofondateur de Veja, en donnant rendez-vous à Primark devant les tribunaux pour une explication (commentaire ci-dessous).
Levier #3 : miser sur le design et les services en magasins
Les tactiques virales de Veja sont aussi renforcées par sa présence sur le terrain. La marque opère trois magasins en France (deux à Paris, un à Bordeaux), un magasins à NY (depuis 2020) et un à Berlin (depuis 2022).
Le design « instagrammable » de ces points de vente joue un rôle important pour mettre en valeur la marque. Veja fait ainsi appel à des cabinets d’architectes d’avant-garde et des artistes contemporains. Comme le brésilien Kleber Matheus et ses sculptures en néon.
Le magasin Veja de Berlin se distingue aussi par la présence d’un « cobbler workshop ». Ce service de cordonnerie nettoie et répare les baskets Veja, mais aussi celles d’autres marques.
La réparation et la revente de vêtements ne se cachent plus
Comme Veja, de plus en plus de marques offrent désormais des services de réparation. Limités cependant à leurs propres produits.
On peut citer le pionnier de la mode durable Patagonia avec son programme « Worn Wear » (depuis 1973 aux Etats-Unis). Il comprend des services de réparation, revente et upcycling de vêtements. Patagonia opère actuellement 72 centres de réparation dans le monde et a réparé 100 000 articles en 2022 (Source The Guardian).
Cette tendance au « repair wear » gagne désormais le monde du luxe. LVMH a ainsi promis à ses actionnaires de lancer en 2023 un service « sophistiqué » de réparation. En attendant, le 15 juin dernier durant Viva Technology à Paris, le groupe décernait le grand prix des LVMH innovation awards à la startup anglaise « Save your wardrobe ». Cette plateforme met en relation les représentants des magasins avec des tailleurs, des cordonniers et des restaurateurs pour réparer les vêtements, les chaussures, les bijoux et les sacs.
Hugo Boss devrait aussi proposer la réparation dans le cadre de sa plateforme « pre-loved » lancée en avant-première en France depuis septembre 2022. Tommy Hilfiger, Arc’teryx, Barbour, Ganni, et Uniqlo ont également déjà mis en place des services de réparation et d’autres marques devraient leur emboiter le pas en 2023. (détails dans The Economist)
Séverine Godet