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La grande délinéarisation (4 tendances qui refaçonnent nos vies)

D’ici 2030, la BBC ne sera plus diffusée à la télévision et à la radio. C’est du moins ce qu’a laissé entendre fin 2022, Tim Davie, le directeur général du puissant organe de diffusion. Dans un monde de choix infini, le futur du média sera uniquement digital : c’est là que sont une bonne part des usages, ils le seront de plus en plus. Le média doit préparer ce futur plutôt que de le subir et il doit se transformer à cette fin. 

Préambule

Sommes-nous à l’aube d’un nouveau grand cycle ? Plusieurs signes, faibles et forts, semblent l’indiquer. Ce qui se passe dans le monde tech, par ailleurs, est très révélateur. De grandes et moins grandes entreprises sont bousculées, tandis que de nouvelles innovations, et au premier chef l’intelligence artificielle générative, provoquent une nouvelle ruée vers l’or. Tout cela pourrait être transitoire, le temps pour les uns et pour les autres de s’adapter. Mais il pourrait tout aussi bien s’agir de mutations plus  profondes, avec une recomposition du paysage tech voire une nouvelle grande vague d’innovations et de ruptures.

Pour y voir plus clair, avons détecté 4 tendances qui refaçonnent nos vies. Nous explorons aujourd'hui la 2ème : la grande délinéarisation.

Voir la 1ère tendance : "L'impact de l'IA générative"

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Le futur du media

Le futur est, en fait, déjà là : la télévision subit les assauts des services de streaming payants et gratuits et de YouTube. D’après Médiamétrie, en 2022, 47 % des foyers sont désormais abonnés à un service de SvoD, marquant une croissance considérable de plus de 50% par rapport à 2019, juste avant le covid. Certes, les usages complémentaires (SVoD, jeux vidéo, vidéos en ligne…) ne représentent que 20% en moyenne du temps passé devant l’écran de télévision, mais 20 % c’est déjà beaucoup. La dynamique est bien là. L’audience de la télévision linéaire vieillit et tendra, de fait, à diminuer dans le temps.

Le téléspectateur est devenu un utilisateur qui choisit de consommer des contenus quand il veut, d’où il veut, par petit bout, en entier ou en binge. Dans la vision de Tim Davie, deux idées sont particulièrement intéressantes :

  • Le rôle de la marque devient d’autant plus important : l’offre est unifiée sous la bannière BBC plus que jamais affirmée.
  • Cette délinéarisation doit permettre de croître, d’atteindre de nouveaux usagers, partout dans le monde. Elle n’est pas la gestion d’un déclin. 

Cette délinéarisation de la télévision vient, en réalité, de loin. Elle prolonge le déclin de la ménagère de moins de 50 ans. Les stratégies marketing et publicitaires s’adressent depuis longtemps à des multiples catégories de consommateurs, à des persona plutôt qu’à des cibles bien établies. Et ce ne sont plus des profils-types qui fréquentent tels ou tels media mais des audiences liquides, comprises par le prisme des comportements et la probabilité que les dits comportements induisent d’autres comportements, notamment de consommation. On le voit, cette délinéarisation de la télévision et de la consommation des media s’inscrit dans une délinéarisation de la consommation tout court. 


Délinéarisation de la consommation

Le nouveau parcours d’achat est très révélateur. Prenons l’exemple de la grande enseigne française et européenne Fnac Darty : pas moins de 47% des ventes étaient issues au 3ème trimestre 2022 d’un parcours multicanal.

Pour reprendre les mots de la directrice marketing récemment interviewée par Le Monde : « Très peu de clients ne font leurs achats qu’en magasin ou uniquement sur Internet. Beaucoup démarrent en ligne et finissent en magasin, ou commencent par demander conseil à un vendeur dans le cas d’achats supérieurs à 500 euros, pour lesquels ils ont besoin d’accompagnement, puis reviennent chez eux pour comparer les prix et finir la transaction en ligne. »

La délinéarisation de la consommation est, en fait, plus profonde. Depuis une décennie, le showrooming est un phénomène de masse. Il consiste en la prise d’infos et le plus souvent de photos d’un produit en magasin pour ensuite en trouver la meilleure offre en ligne dudit produit -  le plus souvent sur le site d’une autre enseigne, le plus souvent sur Amazon. D’après une étude de l’échangeur, 30% des Français pratiquent le showrooming, une pratique en hausse année après année. L’unité de lieu en matière d’achat vole en éclat. Le magasin seul ne suffit plus. Le parcours client n’est plus linéaire, il emprunte de nombreuses voies, il est même composé de nombreux points de contacts.

Sous l’influence du digital, une tendance profonde s’accélère : une unité originelle, confortable, pour ne pas dire réconfortante vole en éclat. C’est au moins l’unité de temps dans la consommation media qui s’estompe - plus personne ne regarde plus au même moment, dans la même durée, la même chose. C’est l’unité de lieu, pour les courses, qui disparaît. L’avènement du multiple, au détriment de l’un, correspond bien sûr à une  fragmentation des comportements, et à ce que d’aucuns appellent un archipel. La délinéarisation que nous décrivons dans cet article, est une réalité plus radicale. Elle ne désigne pas seulement des phénomènes collectifs, mais plutôt, sous l’effet du digital et du covid, une attitude plus individuelle, plus intime, plus existentielle. Et peut-être plus déstabilisante.


Identité et vérité : distorsions

Que l’on nous permette ici un saut qualitatif dans l’analyse de la délinéarisation. Il semble, en effet, que l’on assiste à une délinéarisation également de l’identité et de la vérité. 

Le digital par définition permet un découplement entre la vie réelle et la vie en ligne.  C’est à partir des années 2010 qu’une dynamique puissante en la matière s’est déclenchée avec l'avènement des réseaux sociaux de masse. Instagram permet de présenter une version déformée de soi au reste du monde. Facebook, Twitter, TikTok et YouTube peuvent nourrir des visions alternatives, voire très alternatives, des faits et du monde. Elles peuvent être d’autant plus dommageables qu’elles sont massivement partagées. Les dégâts sont connus : montée des extrêmes, croyance répandue en des thèses complotistes....  

Une étude très récente (Janvier 2023) menée par l’Ifop pour la Fondation Jean Jaurès révèle une évolution inquiétante parmi les jeunes (18-24 ans). La science connaît auprès d’eux un net recul : 33% seulement d’entre eux pensent que “ la science apporte à l’homme plus de bien que de mal » alors qu’ils contre 55% en 1972.

Corrélativement, 69% des jeunes croit au moins à l’une des nombreuses vérités alternatives qui ont cours sur les réseaux sociaux, oui 69% ! Parmi ces thèses pseudo-scientifiques, on peut compter le platisme, les pyramides égyptiennes bâties par des extraterrestres, les Américains n'étant jamais allés sur la Lune, les fake news médicales…

Ces thèses sont d’autant plus crue que la consommation des réseaux sociaux est forte. Ceux qui suspectent qu’on nous ment sur la forme de la Terre se retrouvent naturellement surreprésentés chez les jeunes potentiellement les plus exposés à ces thèses sur Internet, à savoir les gros utilisateurs de services de vidéos en ligne comme YouTube (21%), d’applications de messagerie comme Telegram (28%) ou de TikTok comme moteur de recherche (29%).

Comme le dit très bien Jean-Dubrulle dans étude pour la Fondation Jean Jaurès :on assiste à « la sécession d’une partie importante de la population avec le consensus scientifique ».

Métaverse et intelligence artificielle générative : une autre dimension

Cette délinéarisation pourrait être renforcée par l'avènement de deux innovations majeures et très récentes : l’intelligence artificielle générative et le metaverse.

L’intelligence artificielle non seulement parce qu’un ChatGPT peut être utilisé pour fabriquer des fake news et même très fortement doper leur production à l’échelle industrielle, mais aussi et surtout parce que Chat GPT ne dit pas la vérité. C’est une intelligence artificielle très aboutie, et elle est  pleinement artificielle dans la mesure où elle mime statistiquement la vérité. Mais ChatGPT ne comprend pas ce qu’il déclare et de ce faut ne peut en réalité en vérifier la vérité. 

La délinéarisation de l'identité (Source de l'illustration : Loom AI)

Le metaverse parce que même si son usage ne s’est pas encore banalisé, c’est le moins qu’on puisse dire, sa promesse est bien de créer un monde parallèle virtuel. On mesure mal quelle consistance prendra ce monde parallèle, quelle importance il occupera dans nos vies. Si l’on en juge par l’univers du gaming, et que l’on pense notamment à une plateforme comme Roblox, on en saisit le pouvoir immersif et très addictif auprès des jeunes populations -  déjà fin 2021, sur 49 millions d'utilisateurs actifs mensuels de Roblox, la moitié avaient 13 ans ou moins ! De jeunes adolescents s’y investissent intensément au point d’y développer une vie parallèle assez déconnectée de leur quotidien réel et banal.

Les avatars occupent en place centrale dans cette autre vie et Roblox fait tout pour leur donner chaque fois plus d’épaisseur. L’acquisition de la startup Loom AI par Roblox en décembre 2020 laisse présager à quoi le futur du métavers pourrait ressembler, puisque Loom AI est spécialisé dans la création d’avatars de nouvelle génération. Ces avatars personnalisés en 3D, à partir de photos 2D, peuvent être animés en temps réel grâce à une technologie de vision par ordinateur (analyse d’image en temps réel par l’intelligence artificielle) . Ils peuvent ainsi être utilisés dans différentes plateformes de jeu mais aussi des applications de messagerie et collaboration comme Slack ou WhatsApp.

David Baszucki, PDG de Roblox déclarait au moment de l’acquisition :

« Loom.ai va accélérer le fait de rendre les expériences collectives humaines plus immersives et personnelles, en ajoutant une technologie d'animation faciale de classe mondiale. Cela s’inscrit dans les efforts de Roblox pour fournir des actions émotives expressives aux avatars qui permettront des connexions plus profondes pour notre communauté. »


Prochaine tendance : Comme un besoin de ré-incarnation


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Photo de Ryan Stone sur Unsplash

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