Beaucoup de théories ont déjà été publiées sur le métavers, ce monde virtuel où nous pourrions demain jouer, vivre et travailler. Nous nous intéressons aujourd’hui à l’approche de Niantic, éditeur de Pokémon Go qui vient de lever 300 millions de dollars. Sa vision orientée vers la Réalité Augmentée amène un éclairage différent de ceux d’acteurs comme Facebook ou Microsoft, qui communiquent sur des univers synthétiques dans une Réalité Virtuelle. Car ce que cherche à bâtir Niantic c’est un « métavers du monde réel » (Real-World Metaverse).
La ruée vers le métavers
Précisons le tout de suite, le terme métavers (méta-univers) n’est pas récent. Le mot « metaverse » apparait pour la première fois en 1992 avec l’auteur de science-fiction américain Neal Stephenson dans son roman post-cyberpunk « Snow Crash » (« le samouraï virtuel »). Avant cela, le jeu vidéo et la littérature de science-fiction exploraient déjà les implications futures de la technologie internet et du concept d’interconnexion.
Certains d’entre nous se souviennent peut être du jeu Habitat, de LucasArts, sorti en 1985, où déjà les joueurs étaient représentés par des avatars et évoluaient dans un univers virtuel. Dès 1997, les français de Cryo Interactive et Canal Plus Multimédia lançaient aussi « Le deuxième monde ». Ce logiciel d’immersion dans une réalité virtuelle était « à la frontière entre le jeu vidéo et l’espace de rencontre en ligne » (détails Cairn.info), et fermera en 2001.
Enfin, en 2003 les Américains de Linden Lab lançaient Second Life. Cet univers virtuel en 3D étaient alors devenu un phénomène de société. Avant d’être rattrapé au tournant des années 2010 par la crise financière et l’arrivée d’un autre phénomène social planétaire : Facebook.
Facebook qui lui aussi lors de son évènement Connect 21 a désormais clairement annoncé ses ambitions autour du métavers, « la prochaine évolution des relations sociales ». Avec son changement de nom en Meta. Mais d’autres acteurs proposent leur propre vision de ce que pourraient être ces univers persistants en ligne. Comme Microsoft ou encore les asiatiques Alibaba et Tencent. Et un acteur majeur du jeu vidéo qui propose une approche bien différente du métavers : Niantic, éditeur de Pokémon Go.
La vision du métavers selon Niantic est liée à son ADN cartographique
L’interconnexion entre le monde réel et le monde virtuel est un des éléments pour comprendre la vision du métavers à la Niantic/Pokémon Go. Car Niantic ne cherche pas à remplacer le monde réel mais à proposer une réalité augmentée par l’apparition dans le quotidien de contenu ludique et informatif.
Le 10 août 2021, le fondateur et CEO de Niantic, John Hanke a même tenu à préciser sa pensée en publiant un manifesto intitulé : « The Metaverse is a Dystopian Nightmare. Let’s Build a Better Reality » (le métavers est un cauchemar dystopique, construisons une meilleure réalité).
Un extrait : « Nous pensons que nous pouvons utiliser la technologie pour nous rapprocher de la "réalité" de la réalité augmentée - en encourageant tout le monde, nous y compris, à se lever, à marcher dehors et à se connecter avec les gens et le monde qui nous entoure. C'est ce que nous, les humains, sommes nés pour faire, le résultat de deux millions d'années d'évolution humaine, et ce sont les choses qui nous rendent le plus heureux. La technologie devrait être utilisée pour améliorer ces expériences humaines fondamentales, et non pour les remplacer. » (…)
« Pour nous, cela commence par une technologie qui relie le monde réel (les atomes) au monde numérique (les bits). On pourrait l'appeler le "métavers du monde réel" pour le distinguer de la version virtuelle des jeux vidéo, mais honnêtement, je pense que nous allons simplement le vivre comme une réalité améliorée : une réalité imprégnée de données, d'informations, de services et de créations interactives. »
Des challenges technologiques pour des possibilités infinies
Enfin John Hanke précise les challenges technologiques à relever pour construire cette réalité améliorée : « La construction du métavers du monde réel se situe à l'intersection de deux entreprises techniques majeures : synchroniser l'état de centaines de millions d'utilisateurs dans le monde (ainsi que les objets virtuels avec lesquels ils interagissent), et relier précisément ces utilisateurs et ces objets au monde physique ». Deux défis que relève déjà Niantic depuis sa création mais qui peuvent être développée autour d’autres licences et univers. Et prendre une nouvelle dimension avec des objets connectés et autres « wearables » comme des lunettes de réalité augmentée.
Dans une interview accordée à Wired, John Hanke est revenu sur cette vision du métavers et esquisse déjà des pistes qui vont au-delà de l’univers du jeu. Avec la superposition sur notre quotidien d’informations, commerciales, historiques, ou artistiques. Comme des informations persistantes au-dessus d’objets physiques pour indiquer des directions ou encore vérifier des produits d’origine éthique.
300 millions de dollars pour soutenir le Real-World Metaverse de Niantic
Les investisseurs soutiennent cette vision de Niantic qui vient d’annoncer le 22 novembre dernier une nouvelle levée de fonds (Série D) de 300 millions de dollars. Elle est financée par Coatue, un investisseur américain qui avait déjà très tôt misé sur des pépites comme Spotify, Snowflake, Instacart, DoorDash ou encore Anaplan. La valorisation de Niantic est désormais de 9 milliards de dollars.
Niantic utilisera les fonds pour investir dans les jeux actuels et les nouvelles applications, étendre sa plateforme de développeurs Lightship (lancée début novembre) et développer sa vision du « métavers du monde réel » («Real-World Metaverse »).
John Hanke, fondateur et PDG de Niantic a ainsi déclaré : « Nous construisons un avenir où le monde réel est superposé à des créations numériques, du divertissement et des informations, ce qui le rend plus magique, plus amusant et plus instructif. »
Matt Mazzeo, General Partner de Coatue, croit en les forces de Niantic pour façonner ce métavers. Il explique que « Niantic construit une plateforme de RA basée sur une carte du monde en 3D qui, selon nous, jouera un rôle essentiel dans la prochaine transition de l'informatique. Nous sommes ravis de nous associer à Niantic car nous voyons cette infrastructure soutenir un métavers pour le monde réel et contribuer à alimenter la prochaine évolution de l'Internet. »
De nombreuses marques partenaires ont soutenu le lancement de Lightship, qui permettra à des développeurs du monde entier de bénéficier des années d’expérience de Niantic pour développer des applications en réalité augmentée. On peut citer le festival Coachella, les Historic Royal Palaces, le groupe japonais immobilier Lifull, l’association de Golf PGA of America, le Science Museum Group, Shueisha, SoftBank, l'artiste JR et Superblue, la startup de méditation en réalité virtuelle TRIPP, Universal Pictures et Warner Music Group. Niantic a également annoncé Niantic Ventures, un fonds de 20 millions de dollars pour aider à identifier et à financer les leaders de la Réalité Augmentée de demain.
Retour sur l’histoire de Niantic pour comprendre sa vision du métavers
A sa création en 2010, Niantic Labs est une startup interne de Google et que son fondateur John Hanke avait créé notamment Google Earth. La première application développée par Niantic labs en 2012, Field Trip, était une application mobile pour signaler des points d’intérêts à proximité de l’utilisateur. L’élément de cartographie, basé sur Google Maps, est donc dans l’ADN de Niantic. En 2012, le studio sortait aussi Ingress, son premier jeu en « réalité alternée » mêlant le monde réel et un monde virtuel.
2015 marque ensuit un tournant historique pour Niantic puisque l’entreprise devient indépendante, à la suite de la réorganisation de Google pour créer son conglomérat Alphabet. The Pokémon Company, Nintendo et Google entrent également au capital de Niantic, pour un montant de 20 millions de dollars. Un partenariat qui mènera à la sortie du jeu phénomène planétaire Pokémon Go en juillet 2016.
Des millions de joueurs de Pokémon Go sont déjà présents quotidiennement dans son univers
Le 12 juillet 2016, Pokémon Go devenait le jeu mobile le plus actif à l’époque avec 21 millions de joueurs actifs, devant le phénomène Candy Crush. Et enregistrait plus de 250 millions de téléchargements au 3ème trimestre 2016 (source Statista).
Même si le phénomène mondial s’est depuis considérablement ralenti, le volume de joueurs actifs dans Pokémon Go reste impressionnant. Ainsi en janvier 2021 plus de 827 000 joueurs actifs quotidiens étaient répertoriés rien qu’aux Etats-Unis (et uniquement sur iPhone, source Statista). Et surtout les revenus générés par l’application sont au rendez-vous, avec un chiffres d’affaires 2020 de 1.92 milliards de dollars. Pokémon Go est ainsi le 5ème jeu Free To play mondial en termes de chiffre d’affaires, derrière « Free Fire » de l’éditeur singapourien Garena ($2.13 Milliards), l’américain « Roblox », un autre acteur intéressant à suivre pour les évolutions du métavers et ses liens avec le monde de l’éducation ($2.29 Mds), et deux jeux édité par le chinois Tencent Games : « PeaceKeeper Elite » ($2.32 Mds) et « Honour of kings » ($2.45 Mds).
Les mécaniques évènementielles dans Pokémon Go
Le défi de Niantic est désormais de proposer régulièrement des évènements originaux pour toujours susciter l’engouement des joueurs « vétérans » et en attirer de nouveaux.
Ainsi en 2020 nous vous parlions des liens qu’entretient Niantic/Pokémon Go avec le monde de la mode depuis sa création en 2016. Parmi les derniers exemples marquants, à l’occasion de la Fashion Week Paris 2020, la marque de maroquinerie française Longchamp avait ainsi lancé une collaboration dans le jeu et en boutique. Avec des sacs décorés des personnages du jeu comme Pikachu, et des vêtements et accessoires virtuels Longchamp pour les avatars des joueurs dans Pokémon Go.
Autre exemple dans le monde de la musique. Ainsi cette fin novembre le chanteur Ed Sheeran a partagé des chansons de son dernier album avec la communauté Pokémon Go. Un concert préenregistré est accessible pour les joueurs entre le 22 et le 30 novembre. Et Carapuce, le Pokémon préféré d’Ed Sheeran, est mis en avant dans le jeu.
Des opérations marketing originales qui pourront donner envie à d’autres marques et institutions de développer des expériences en réalité augmentée pour le métavers Niantic. Au-delà de Pokémon Go.
Séverine Godet