Le financement participatif s’installe comme une pratique durable pour le lancement de produits mais aussi d’entreprises via le crowd equity. Un phénomène mondial qui évolue en se frottant aux pratiques d’autres pays. Nous nous intéressons donc aujourd’hui au marché du financement participatif en Chine. La première plateforme chinoise de financement participatif, Demohour avait été lancée 2011. Depuis, les grands acteurs du e-commerce chinois y développaient de nouvelles approches, avant que l’état chinois ne vienne réguler sévèrement le marché.
Le marché chinois du crowdfunding
Le marché chinois du crowdfunding est en fait le plus gros au niveau mondial, avec 99% des 320.9 Milliards d’Euros de volumes de transactions de la région Asie Pacifique en 2017 (étude Ziegler 2019 par The Cambridge Centre for Alternative Finance.) Sur la même année 2017, la zone Amériques (96% Etats-Unis) représentait 39.54 Milliards d’Euros de volumes de transactions et l’Europe 10.44 Milliards d’Euros.
La première plateforme de crowdfunding chinoise, Demohour, avait été lancée en 2011 puis absorbée en 2016 par le groupe 91JinRong spécialisé dans les services financiers et les guides d’achat. Depuis, ces pratiques de financement ont gagné en popularité mais restent à un stade précoce si on les compare aux marché américains et européens. En fait, après une période d’effervescence entre 2014 et 2015 qui a vu de nombreuses plateformes se lancer, le marché chinois du crowdfunding connait depuis 2016 un ralentissement.
Coup de vis étatique sur le crowfunding chinois
Ce ralentissement est lié au manque de cadre législatif, et à de nombreuses fraudes, en particulier par manque d’un système de notation financière pour les investisseurs. On notera également le durcissement de la déjà forte supervision étatique sur la finance alternative. (source : Zhao L., Li Y. (2020) Crowdfunding in China: Turmoil of Global Leadership. In: Shneor R., Zhao L., Flåten BT. (eds) Advances in Crowdfunding. Palgrave Macmillan, Cham. https://doi.org/10.1007/978-3-030-46309-0_12)
Ainsi, le leader de l’ecommerce chinois, Alibaba, qui est aussi un des principaux acteurs du crowfunding, est actuellement soumis à un forte pression du gouvernement chinois. Il vient de lui infliger une amende record de 2.8 milliards de dollars pour soupçon d’abus de position dominante (Détails Business Insider). Fin 2020 son fondateur, Jack Ma, avait vivement critiqué les autorités de régulation financières chinoises qui avaient alors interdit in extremis l’introduction en Bourse d’Ant Group, la filiale de paiements en ligne d’Alibaba, sur les places de Shanghai et Hong Kong (détails Le Temps).
Crowdfunding contre récompenses : la culture de la pré-commande
D’après le « China Crowdfunding Industry Development Research », le pays comptait en 2018 plus de 90 plateformes de financement participatif opérant sur le modèle classique du financement contre récompense (contrepartie). Les catégories de projets les plus représentées étaient alors les technologies (3558 projets), suivi par l’agriculture (3351 projets), et la musique (806 projets), ces 3 catégories représentant 42% de l’ensemble des projets.
Le financement participatif contre récompenses s’apparente en fait en Chine à une démarche de pré-commande, souvent associée à du couponing, et moins à une démarche de co-création de produits. De grands e-commerçants comme Alibaba, JD et Xaomi font également appel au crowfunding, via les plateformes dans lesquelles elles ont investi, pour lancer leurs propres produits et réaliser des études de marché.
On constate en fait qu’une grand part du financement participatif chinois est porté par ces grands acteurs comme Yulebao (Taobao Crowdfunding, qui appartient à Alibaba) et JD Crowdfunding ( Avec la plateforme Coufenzi, lancée en 2015 par le 2ème plus grand e-commerçant chinois, dont le focus est financement de startups). Enfin, les plateformes ne facturent généralement pas de frais de commission mais se rémunèrent sur les opérations de marketing et de publicité.
Equity crowdfunding : pour les magasins, technologies et films
En 2017, la Chine comptait également 89 plateformes d’investissement participatif, située principalement dans les zones économiques les plus développées, près des côtes. Le financement de magasins physiques représentait alors 562 projets, suivi par les technologies (137 projets) et les films et productions télévisuelles 585 projets). En 2017, plus de 41900 projets avaient ainsi été soutenu par des investisseurs. 42% des projets réussis avaient levée moins de 1 million de RMB (environ 0.14 millions de dollars US); 91% moins de 10 millions de RMB (environ 1.4 millions de dollars US), seuls 69 projet avaient levé plus (soit 9% des projets).
Mais le marché chinois de l’equity-crowdfunding est très surveillé par le gouvernement, et ses conditions réglementaires sont complexes. Notons également que les citoyens chinois ne sont pas autorisés à investir sur les marchés étrangers et doivent donc faire appel aux plates-formes locales (source). Le marché semble d’ailleurs s’être encore concentré puisqu’en 2020 le Cambridge Center for Alternative Finance ne listait plus que 5 plateformes chinoises et 7 plateformes étrangères présentes sur le marché (source). Même les grand acteurs comme JD doivent aussi revoir leurs plans face au durcissement réglementaire sur le marché Chinois de la finance. JD Technology, sa branche Fintech, a ainsi annoncé début mars repousser son IPO initialement prévue pour lever 3 Milliards de dollars.
Le prêt participatif, soutenu par les entreprises d’état
Le loan-based Crowdfunding ou peer-to-peer lending qui consiste en du prêt entre particuliers est aussi présent en Chine. En 2017, 1931 plateformes de prêt participatif opéraient en Chine, pour un total de transactions de 2805 milliards de RMB (environ 400.33 milliards de dollars US) avec un taux rendement moyen de 9.45%. On notera que les organismes public et d’institutions Chinoises participent à ces transactions, puisque 212 plateformes avaient en 2017 reçu du financement d’entreprises d’état chinoises.
Un marché chinois qui attire les plateformes américaines
Les grandes plateformes de crowdfunding américaines sont en fait déjà en train de s’attaquer au marché chinois. Elles ont en effet besoin d’attirer des entrepreneurs internationaux pour maintenir leur rythme de croissance. En 2019 le CEO d’Indiegogo, Andy Yang citait ainsi spécifiquement la Chine dans ses plans d’expansion, alors que la plateforme était déjà le plus gros acteur américain de crowdfunding présent sur ce marché. Ainsi en 2019, 29 entrepreneurs Chinois avaient déjà levé plus d’un million de dollars via Indiegogo (source The verge). Dans les faits, de plus en plus d’entrepreneurs Chinois pensent en priorité à de futurs clients américains dès la conception de leurs produits. Ils souhaitent donc pouvoir eux aussi bénéficier de la force de frappe des grandes plateformes américaines pour commercialiser leurs produits et trouver de futurs investisseurs.
On s’attend donc à une riposte des plateformes chinoises, et du régulateur local, pour garder leur part de ce gâteau mondial du crowdfunding.
Séverine Godet