Difficile d’y échapper car la news fait rage dans les hautes sphères sociales : Instagram serait en train d’effectuer des tests pour rendre le compteur de sa métrique phare, le « like », invisible. Le premier d’une longue série ? Décryptage.
Le Far West des métriques sociales
Le ROI des actions menées sur les plateformes sociales est une réalité à laquelle tout « social media manager » qui se respecte est confronté. Parmi ces mercenaires de la toile, il y a les bons et les moins bons, ceux qui par exemple opèrent le distinguo fondamental mais un peu complexe entre « métriques » et « KPIs» : pour mémoire, une métrique est un chiffre, un KPI est un indicateur clé de performance, c’est-à-dire une métrique clé positionnée par rapport à un objectif … bref, on retrouve ici la notion du business propre à chaque stratégie de marque.
Et lorsqu’on parle de business, il s’agit en l’état de faire preuve de discernement en disant stop aux métriques de vanité qui ne se traduisent pas en valeur commerciale tangible. A cela s’ajoutent deux points essentiels :
- toutes les métriques ne se valent pas puisque chaque plateforme dispose de ses propres méthodes de calcul ; exemple le plus connu, la comptabilisation des vidéos, considérées comme « vues » au bout de 30 secondes sur Youtube alors qu’il faut compter trois secondes sur la plupart des autres plateformes sociales.
- D’autant que, deuxième point, la plupart des réseaux sociaux ne sont toujours pas audités par des instituts d’études neutres.
En résumé, les métriques sociales, c’est un peu le Far West.
La tyrannie du « like »
Et parmi ces métriques, le « like », ce pouce vers le haut, figure de proue du système social, symbole fort et pourtant qui interroge et dérange … parfois futile, parfois engagé, parfois fake ou truqué, parfois intéressé … Suivant les cas, il ne revêt pas la même signification. Force est de constater que ces dernières années, il est pointé du doigt, notamment en raison de la course effrénée qu’il engendre, aussi il tend de facto à être incriminé de tous les maux. Une étude de la Royal Society for public health publiée en 2017 a ainsi tenté de cerner l’impact négatif de la « dictature du like » sur la santé mentale des jeunes.
Kevin Systrom, le patron d’Instagram, a du reste reconnu dans une interview donnée au Wall Street Journal à l’occasion du lancement du format « Stories », que le « like » avait des effets pervers, tuant d’une certaine façon le partage sur Internet. C’est donc finalement sans surprise que nous apprenions fin avril qu’Instagram explore désormais la possibilité de « masquer » le compteur de like des publications en permettant uniquement à l’auteur de la dite publication de voir dans son « back office » le nombre de likes. Officiellement, une façon de réduire « la pression sociale »…
Démocratiser l’invisible ?
… doublée d’une responsabilité qui semble inquiéter en hauts lieux. Instagram n’est pas le seul à se « soucier » de ses utilisateurs et à vouloir faire de sa plateforme un espace plus sain. En février 2019, les équipes techniques de Youtube annonçaient déjà réfléchir à masquer les likes, voire à les supprimer, même si cette deuxième option semble plus complexe à mettre en œuvre puisqu’elle impliquerait de repenser les algorithmes de recommandations, où le like est pris en compte même si son importance tend à décroître. Twitter et Instagram suggèrent l’existence de dizaines de métriques cachées par défaut. Si nos flux sont déjà assemblés sur la base d’indices provenant d’innombrables métriques secrètes, pourquoi ne pas en cacher quelques autres ?
D’autant que le « like » n’est pas le seul concerné. Youtube a annoncé il y a quelques jours un changement substantiel dans la manière dont le nombre d’abonnés s’affiche, le rendant moins visible et moins précis : « Si une chaîne a 4 227 abonnés, le compteur public affichera 4,2K, jusqu’à ce que la chaîne atteigne les 4 300 abonnés » est-il précisé dans le communiqué de presse. Une déclaration qui n’est pas sans évoquer celle annonçant la mise à jour du design il y a quelques mois sur Twitter, insistant sur le nom et la bio du Twittos pour reléguer au second plan le nombre de followers. Une manière détournée de démocratiser l’invisible ?
Un business bien concret à la clé ?
Ces signaux faibles anticipent-ils des changements majeurs ? Créer plus de qualité fait partie des missions revendiquées par les géants sociaux. Les Facebook et consort ont pour objectif d’impliquer leurs audiences bien au-delà d’un pouce levé : sondages, stickers à réactions, commentaires témoignent de cette volonté d’engager, voire de sur-engager leurs audiences. Mais ce qui est ici intéressant, c’est bien de sous-tendre les enjeux que cette démarche implique. En l’espèce, plus d’engagement qualitatif permettrait de collecter une donnée avec un niveau de granularité bien plus fine … et donc potentiellement plus chère !
Cela permettrait également de mettre l’accent sur des services annexes à forte valeur ajoutée, comme du consulting. A l’heure où les plateformes sociales doivent redoubler d’attention quant aux applications tierces qui se greffent sur leurs services, quoi de mieux que de proposer soi-même des services complémentaires ? L’idée n’est pas si incongrue : Linkedin n’a-t-il pas investi dans une armada de journalistes et autres experts en contenus pour faire rayonner la stratégie éditoriale premium de la marque ? Instagram n’a-t-il pas annoncé le lancement de Shop, un compte auquel les utilisateurs peuvent s’abonner pour visualiser les produits shoppables sélectionnés par une équipe d’éditeurs d’Instagram ?
A quand une légion de spécialistes en influence marketing sélectionnant les bons experts en fonction des bonnes métriques, à savoir celles accessibles par ces mêmes experts des plateformes ? Une nouvelle déclinaison de la Main invisible d’Adam Smith est-elle en train de voir le jour ? L’égoïsme pousse chaque individu à améliorer sa situation économique, ce qui engendre des effets bénéfiques en favorisant l’intérêt général … comme si les individus étaient “conduits” à leur insu par une “main invisible”, véritable mécanisme autorégulateur du marché. Les mutations à l’œuvre dans les réseaux sociaux, cette manière de repenser les métriques tend à confirmer la mise en place d’une logique de cet ordre. L’avenir nous le dira.
MD