par Youmna Ovazza
Le titre de cet article est délibérément provocateur en sous-entendant que la réponse est loin d'être automatiquement "oui", alors que la tendance générale aujourd'hui est à la construction de plans massifs de "digital learning" s'appuyant fortement sur des ressources en ligne.
Si la question se pose, c'est que le sujet est plus que d'actualité dans les entreprises : passées les premières vagues de digitalisation qui ont essentiellement mobilisé les plus motivés ou les plus à risque (secteurs ou métiers), il faut maintenant accompagner le gros des troupes, managers et dirigeants compris, vers une transformation qui devient permanente, et qui en est d'autant plus complexe qu'elle ne recouvre pas que des définitions à apprendre : le "digital" recouvre autant des usages, que des savoir-faire techniques, que des manières de travailler ou de collaborer ... c'est véritablement une acculturation qu'il s'agit d'opérer.
Cette acculturation peut-elle passer par la formation ? A quelles conditions ?
Si c'était un pays ?
Si c'était un pays, tout le monde saurait, expérience oblige, quelles sont les véritables conditions de l'acculturation, par rapport au simple tourisme de passage.
L'acculturation à un nouveau pays signifierait le visiter régulièrement, y séjourner plus ou moins longuement et plus ou moins régulièrement, communiquer et échanger avec ses habitants, vivre avec eux et/ou comme eux, parler la langue, intégrer les us et coutumes locales ... Il y a divers degrés d'acculturation entre le visiteur averti et l'immigré intégré, voire l'anthropologue, mais les notions d'expérience, de pratique, de durée, voire de transformation personnelle grâce à ces acquis, y sont toujours induites et présentes.
Le touriste, lui, vient et repart sans être véritablement influencé par ce qu'il a vu : il a transporté son mode de vie momentanément ailleurs, a observé, apprécié, critiqué, il a éventuellement appris quelques mots de vocabulaire, a fait du shopping et est rentré chez lui. Sa vie ne change nullement, et dans de nombreux cas, les choses vues sont interprétées selon son prisme d'étranger, c'est-à-dire avec de nombreux préjugés et risques d'incompréhension ou de malentendu.
Entre le tourisme numérique et l'acculturation, y a-t-il des points de passage ?
Le tourisme numérique n'est pas forcément inutile, il diffuse l'information et constitue un premier pas vers la découverte d'autres usages. Mais pratiquer le tourisme à haute dose ne présage guère d'une acculturation à terme ! On peut rester éternellement touriste dans un pays qu'on visite tous les ans, le passage à l'acculturation est d'un autre ordre.
Comment passer de l'un à l'autre ?
Dans la vraie vie, c'est d'abord un changement de point de vue, qui progressivement amène tout le reste : s'acculturer consiste à prendre le point de vue de l'habitant, du local, une vision de l'intérieur, à une échelle quotidienne, ordinaire ; par opposition au point de vue de l'étranger, de l'extérieur vers l'intérieur, qui se situe à une échelle ponctuelle, extra-ordinaire par essence.
Prendre le point de vue de l'habitant, c'est se mettre dans ses pas, vivre à son rythme, vivre ses contraintes, adopter son langage, sa nourriture ... c'est donc une expérience aussi de "sensations" différentes, à une échelle de temps différente, qui ne se découvre véritablement que par paliers progressifs, et dans la durée.
On passe donc de l'un à l'autre par une entreprise de démystification, qui inverse l'ordre des valeurs : c'est à partir de l'expérience ordinaire, quotidienne, et dans la durée, que s'acquière la véritable acculturation.
L'acculturation peut-elle dans ce cas passer par la formation ?
La formation peut jouer ce rôle de point de passage, entre un point de vue de touriste, et une volonté d'acculturation, à condition qu'elle en adopte les conditions de succès : réussir à faire changer le touriste de point de vue !
C'est en partant de cette clé que peuvent se construire des formations d'acculturation numérique qui peuvent réellement avoir un impact. On pressent intuitivement qu'elles doivent donc forcément comporter une forte dimension présentielle, une forte dimension pratique et empirique, partir d'usages quotidiens et de besoins ordinaires, avoir une forte dimension opérationnelle, et réussir à motiver ou inspirer les personnes concernées, au-delà du simple moment de la formation.
Tout un programme, me direz-vous ? Pas possible, pas les budgets, pas le temps... ? Préjugés, car le tourisme de charters coûte globalement cher sous couvert d'économie de coûts ; et qui confierait en connaissance de cause la conduite de son économie locale à un touriste débarqué d'un vol low cost ?
Tous les moyens sont aujourd'hui disponibles pour associer créativité et compétences opérationnelles dans des formations intelligentes et motivantes, si on en confie les clés un peu plus aux "régionaux" de l'étape plutôt qu'à des fonctions transverses peu opérationnelles par nature. Initier à de véritables compétences techniques, comme la programmation par exemple, peut participer de cette acculturation qui ne peut produire de valeur qu'à condition d'y avoir investi autant.
Youmna Ovazza
Fondatrice, Executive-Code
(www.executive-code.com)