E-Commerce

Nos clients nous rejoignent pour le prix, et restent pour la praticité et l’engagement (Lucas Lefebvre, La Fourche)

Nous avons eu le plaisir d’interviewer Lucas Lefebvre. Il a co-fondé en 2018 La Fourche, magasin bio solidaire en ligne, aux côtés de Simon. Il est en charge de la croissance, de la tech, du produit ainsi que de la communication et de la data.

Aujourd’hui, La Fourche c’est 300 employés et 150 000 clients répartis sur toute la France, avec une antenne en Allemagne qui dessert le marché allemand et autrichien, et de fortes ambitions de développement national et international.

Justement, ils viennent d’annoncer une levée de fonds de 31,5 Millions d’euros. On en discute avec lui.


La Fourche se présente comme “magasin bio solidaire en ligne”. Comment vous positionnez-vous par rapport aux grandes surfaces qui proposent du bio, aux distributeurs bio traditionnels et aux attentes des consommateurs d’aujourd’hui ?

Nous nous considérons plutôt comme un sélectionneur qu’un distributeur. Nous avons un cahier des charges très exigeant pour la sélection de nos produits : 90% des marques que vous trouvez chez La Fourche ne sont pas présentes en supermarché. Ce sont des marques de distribution spécialisée avec des niveaux d’engagement et de qualité bien supérieurs à ce que vous trouverez en grande surface.

Nous ne sommes pas vraiment un concurrent des distributeurs bio traditionnels non plus car, grâce à notre positionnement prix très compétitif et notre accessibilité géographique, 80% de nos adhérents faisaient leurs courses bio dans des supermarchés avant de nous rejoindre. Nous représentons donc plutôt une alternative pour les consommateurs de grande distribution qui ne sont plus satisfaits par l’offre présente, qui est moins qualitative tant au niveau organoleptique qu’en termes d’engagement.

Pour nous, le bio est un minimum. Les produits que nous proposons sont sélectionnés auprès des producteurs les plus engagés qui vont au-delà du bio, avec des labels plus exigeants comme Nature et Progrès, Bio Cohérence ou Demeter. Nous privilégions les producteurs qui pratiquent le commerce équitable, y compris en France, et nous excluons les additifs, les produits trop sucrés ou trop salés. Nous favorisons le made in France avec plus de 1000 produits d’origine française aujourd’hui. Donc, il y a une vraie réflexion dans notre catalogue à chaque fois sur : quel est le meilleur producteur, quel est le meilleur produit.


Le marché du bio est en ralentissement depuis quelques années. Comment analysez-vous cette situation ?

Effectivement, il y a une baisse des aides, une diminution de l’intérêt pour le secteur du bio depuis des années, qui s’est accentuée récemment. La loi sur les néonicotinoïdes en est un exemple parfait, mais il y a eu aussi de nombreux reculs sur l’interdiction des pesticides. Ces mesures, prises sous la pression de lobbies avec une vision très court-termiste, ne servent que 0,1% des agriculteurs.

Paradoxalement, ces attaques contre le bio ont un effet éducatif pour les consommateurs. Quand ils voient dans les médias que tel ou tel produit contiennent des pesticides dangereux pour l’environnement et leur santé, ils se tournent naturellement vers le bio. Après 30 ans de croissance continue, parfois à deux chiffres, le marché du bio a effectivement connu une baisse en 2022 et 2023. Les distributeurs bio ont réduit leur nombre de magasins et les rayons bio dans les supermarchés ont été réduits. Le nombre d’agriculteurs qui font leur transition vers le bio a aussi croit plus faiblement que par le passé, dû à la baisse des aides.


Pourtant, contrairement à cette tendance, vous maintenez une croissance régulière ?

Exactement ! En 2022, nous avons réalisé 40% de croissance, 76% en 2023 et 43% en 2024. Notre modèle est contre-cyclique et s’adapte aussi bien aux périodes de croissance qu’aux périodes de recul du bio. Nous sommes le magasin bio le moins cher de France – pas 5% moins cher, mais 25% à 50% moins cher sur certains produits. Cette différence de prix significative rend notre offre d’autant plus attractive en période de crise.

Notre modèle 100% en ligne demande un changement d’habitudes, mais l’argument prix facilite le passage à l’acte. Une fois que les clients nous ont rejoints et ont changé leurs habitudes, ils restent.


Justement, parlons engagement et fidélisation. Quels sont vos atouts ?

Les clients nous rejoignent pour le prix – ils économisent 400€ par an en moyenne, jusqu’à 600€ dans les zones où nous proposons aussi du frais (Paris, Île-de-France, Lille, Lyon…). Mais ils restent pour l’engagement. Progressivement, ils découvrent tout ce que nous faisons autour de la sélection des produits et de la pédagogie.

Nous avons, par exemple, co-créé le Green Score, le premier système d’affichage de l’impact environnemental des produits.

Nous avons aussi développé notre marque propre avec nos adhérents : chaque fois qu’un nouveau produit sort, nous envoyons un questionnaire sur les éléments variables du cahier des charges – types d’emballages, région de production, recette, origine des ingrédients. Les clients voient le prix et l’impact carbone varier selon leurs choix, ce qui les sensibilise à l’impact de leurs décisions.

Cette démarche participative crée un sentiment d’engagement très fort. Aujourd’hui, notre marque propre représente plus de 50% de nos ventes alors qu’elle constitue moins de 10% de nos produits. Les 1500 produits de la marque La Fourche ont été créés de cette manière collaborative.

Notre catalogue est aussi pensé pour les économies : nous privilégions les gros formats (bidons de 3 litres d’huile d’olive, sacs de 5 kilos de pâtes), nous avons une offre anti-gaspi qui représente 5 à 10% de nos ventes avec des réductions jusqu’à 70%, et nous sommes le plus gros ensacheur de vrac bio en France avec plus de 300 références.

Les clients restent chez nous pour deux raisons : la praticité et l’engagement. Une fois qu’on a pris l’habitude de faire ses courses en ligne, retourner en supermarché devient difficile. C’est un véritable confort de vie.


Comment fonctionne votre système d’adhésion ?

Nous échangeons du pouvoir d’achat contre de la fidélité. Le système d’adhésion nous apporte une fidélité précieuse : une fois l’adhésion prise, les clients commandent pendant au moins un an, et généralement ils restent trois ou quatre ans, en moyenne. Pendant toute cette période, nous n’avons plus besoin de dépenser en publicité.

Quand vous achetez sur Internet, 10 à 30% du prix va directement dans les poches de Meta ou Google – c’est “l’impôt” de la publicité digitale, équivalent aux loyers des magasins physiques. Nous réduisons cette dépense de 20% à 3-4%, et la différence est reversée directement aux consommateurs sous forme d’économies. C’est en quelque sorte un transfert de richesse.

Cette adhésion peut représenter un frein financier même si elle génère des économies. Nous avons donc une politique d’aide aux personnes en difficulté : nous offrons des adhésions gratuites aux chômeurs, bénéficiaires du RSA, personnes handicapées, et tous ceux avec des coefficients CAF inférieurs à certains seuils. Il suffit de présenter un justificatif.


Vous venez d’annoncer une jolie levée de fonds. Quels sont vos objectifs ?

C’est la dernière levée avant la rentabilité – nous serons rentables fin 2024. L’objectif est de passer de 75 à 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. Le retail est un jeu de volume : plus nous grossissons, mieux nous négocions, notamment avec nos transporteurs qui représentent une grosse partie de nos coûts.

Nous voulons continuer à créer le meilleur service possible pour nos adhérents : extension des services frais à d’autres régions, développements techniques pour améliorer l’expérience utilisateur, travail avec plus de livreurs régionalisés, et modernisation de l’entreprise avec des technologies qui facilitent le travail de nos opérateurs.

Nous avons ouvert l’Autriche cette année depuis l’Allemagne. Avec la France, l’Allemagne et l’Autriche, nous couvrons les deux tiers du marché du bio en Europe. Si nous ajoutons la Suisse – que nous développerons plus tard – ce sera une couverture très satisfaisante. La France et l’Allemagne sont les deux plus gros marchés, tandis que l’Autriche et la Suisse, bien que plus petits, consomment 2 à 3 fois plus de bio en proportion. Ce sont des pays riches et éduqués avec une forte sensibilité à ces thématiques.


Comment envisagez-vous l’avenir du e-commerce ?

Je vois un grand potentiel dans la personnalisation grâce à la data. Contrairement aux magasins physiques, nous avons l’historique de tous les achats de nos clients, anonymisé bien entendu. L’objectif n’est pas d’envahir leur vie privée, mais de les aider à faire leurs courses plus facilement.

Il y a ceux qui aiment flâner dans les allées, et ceux qui préféreraient être au café ou au cinéma. Pour ces derniers, nous pouvons utiliser nos données pour faciliter leurs achats : recommandations basées sur leurs habitudes, rappels quand ils arrivent probablement à la fin de leur huile d’olive… L’idée est de devenir l’allié du quotidien.

Aujourd’hui, environ un quart de nos ajouts au panier proviennent de nos blocs de recommandations. Nous pouvons anticiper les besoins et communiquer au bon moment, pas pour pousser à la consommation, mais pour faciliter la vie de nos clients.


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