Tribune de Stéphane Bernal, Directeur associé en charge de l’acquisition, Agence Dékuple — membre du Club CX de l’AACC
Parler Retail Media, ce n’est pas seulement parler technologie, c’est parler commerce, simplement : qui avons-nous touché, qu’ont-ils acheté, qu’est-ce qui a vraiment changé ? En 2025, la bascule ne vient pas d’un nouveau format ou d’une promesse algorithmique, elle vient du raccord direct entre exposition et achat réel. Dès lors que l’on relie les campagnes aux paniers (e-commerce comme magasins), la publicité cesse d’être une dépense “probable” pour devenir un investissement mesurable. Autrement dit : on ne chasse plus l’audience la plus large, on rencontre les acheteurs au moment utile.
De l’inventaire à la valeur : la donnée prend le volant
Pendant des années, les distributeurs ont monétisé des espaces. Désormais, ce sont leurs données propriétaires qui guident l’activation : segments intentionnistes, historiques d’achats, appétences fines. La nouveauté n’est pas seulement le ciblage, c’est l’orchestration contrôlée : activer en propre, en co-marketing, ou alimenter des campagnes hors plateformes retail dans un cadre contractualisé et consentement-first. Mon retour d’expérience auprès de grandes enseignes que j’accompagne depuis des années est clair : les gagnants traitent la donnée comme un actif vivant, traçable, gouverné, négocié, pas comme une matière première à extraire sans règles.
Le bon message, au bon pas de porte
Le Retail Media fonctionne parce qu’il s’exprime dans le tempo de l’achat : avant le rayon, dans l’app, au retrait, au passage en caisse ou juste après. On n’est plus dans la persuasion à distance : on est au bord du panier ! Là, la création compte autant que la précision du ciblage : une recommandation pertinente, un cross-sell intelligent, un rappel d’usage utile.
L’incrémentalité comme juge de paix
Dans un écosystème fragmenté, l’incrémentalité remet de l’ordre. Elle répond à la seule question qui vaille : qu’est-ce que la campagne a ajouté qui n’existait pas sans elle ? Cela suppose des protocoles exigeants (groupes témoins, split tests, rapprochements exposition / caisse…), mais c’est le prix de la crédibilité. Quand l’annonceur, le retailer et l’agence signent la méthode de mesure avant la créa, tout le monde gagne du temps… et du budget.
Walled gardens : obstacle ou cadre de jeu ?
Chaque plateforme a ses règles, ses métriques, ses API. C’est frustrant si l’on rêve d’un tableau de bord universel. Plutôt que d’attendre une normalisation miraculeuse, je défends un pragmatisme organisé : accepter les spécificités, centraliser la gouvernance data côté marque, et bâtir un tronc commun de KPIs : exposition qualifiée, couverture utile, incrémentalité, coûts réellement complets. Les initiatives d’harmonisation progressent, comme l’illustrent régulièrement les échanges publiés par VIUZ, mais elles ne remplaceront pas à court terme la discipline interne et la clarté contractuelle.
Partage de valeur : la vraie négociation n’est pas que média
Qui capte quoi ? Accès aux données, usage des segments, facturation de la mesure, bonus de performance… Tout doit être expliqué et documenté. La transparence n’est pas un slogan : c’est une condition d’investissement pour les marques et une protection pour le client final. Ma règle simple : si l’on ne peut pas expliquer une ligne de coût à un directeur financier en deux phrases, c’est qu’elle n’est pas claire.
L’éthique comme accélérateur, pas comme frein
On entend encore que la conformité briderait l’efficacité. C’est l’inverse. Un cadre RGPD solide, des consentements lisibles, des durées de conservation maîtrisées : voilà ce qui autorise l’industrialisation. Les parcours d’audit, la certification des flux et la séparation stricte des usages data évitent les discussions sans fin au moment de scaler. L’écosystème médias, annonceurs, distributeurs, rappelle d’ailleurs constamment l’importance de la gouvernance et du respect du consentement.
Trois priorités très concrètes pour 2025-2026
Pour les marques que nous accompagnons, la feuille de route tient en trois mouvements : unifier la mesure autour de l’incrémental avec un protocole commun accepté par tous ; penser la création “au bord du panier”, avec des formats courts, utiles, contextualisés et testés en continu ; sécuriser la donnée par des contrats-cadres avec chaque retailer (droits, usages, SLA de reporting, partage de valeur aligné sur la performance). Ce sont ces fondations qui transforment la donnée en croissance durable.
Le Retail Media n’est pas une mode, c’est une nouvelle colonne vertébrale du mix. Quand la donnée transactionnelle devient un instrument de pilotage, la publicité redevient un levier de commerce. Exigeant, oui. Mais c’est précisément ce qui fait la différence entre une dépense et une croissance rentable.
Tribune de Stéphane Bernal, Directeur associé en charge de l’acquisition, Agence Dékuple — membre du Club CX de l’AACC