Du 11 au 13 mars s’est tenu à Monaco One to One Retail E-commerce. Ce fut cette fois encore un succès massif. Trois jours parfaitement organisés Sonia Mamin et ses équipes, avec une vue dégagée sur la grande bleue…
A cette occasion, nous avons rencontré Cédric Dufour, CEO de Rakuten France.
Il nous a parlé des spécificités de l’entreprise sur le marché français. Il a abordé quelques-uns des sujets phares de retail et les réponses que la plateforme apporte, entre autres : le pouvoir d’achat, la pub video, le retail media, l’intelligence artificielle.
Rakuten France aujourd’hui, en quelques mots ?
Depuis 24 ans, notre philosophie a toujours été de nous adapter aux évolutions du commerce, particulièrement du e-commerce en France. J’ai une perspective intéressante sur cette évolution puisque j’ai d’abord travaillé chez Rakuten de 2016 à 2019, puis après avoir exploré d’autres horizons, je suis revenu en octobre 2024. En seulement cinq ans, j’ai été frappé par l’ampleur des changements dans notre environnement.
Le marché s’est profondément transformé avec l’arrivée de nouveaux acteurs. La pandémie de Covid a également bouleversé les habitudes de consommation, et le marché de la seconde main a connu une croissance exceptionnelle. Ce qui fait notre force chez Rakuten, et ce depuis l’époque où nous étions encore PriceMinister, c’est justement notre capacité à anticiper ces évolutions et à nous y adapter rapidement.
Quelques chiffres ?
Chaque mois, nous comptons entre 10 et 15 millions de visiteurs uniques sur notre plateforme.
Notre programme de fidélité, qui est probablement l’un des plus généreux du commerce en France, compte quant à lui aujourd’hui 13 millions de membres. C’est un programme gratuit basé sur le principe du cashback.
Nous collaborons avec 12 000 vendeurs sur notre marketplace. En comptant ces vendeurs et nos affiliés, nous proposons environ 200 millions de références, ce qui nous permet d’offrir une diversité exceptionnelle : produits neufs, d’occasion et reconditionnés. Cette variété constitue l’une de nos principales différenciations sur le marché.
Quelles spécificités vous différencient des autres plateformes ?
Nous affirmons trois spécificités majeures qui nous distinguent sur le marché.
Tout d’abord, notre offre diversifiée : nous proposons à la fois des produits neufs, d’occasion et reconditionnés. Cette complémentarité est fondamentale dans notre approche, car nous savons qu’un même client peut vouloir acheter un produit neuf un jour, puis se tourner vers l’occasion la semaine suivante pour un livre, par exemple.
Ce qui est essentiel pour nous, c’est d’offrir une expérience d’achat de qualité constante, quel que soit le type de produit. Nous partons du principe que ce n’est pas parce qu’un client achète un produit d’occasion que son expérience doit être dégradée. C’est pourquoi nous offrons des garanties “satisfait ou remboursé” même sur les produits d’occasion.
Notre deuxième spécificité est notre programme de fidélité particulièrement généreux. Il s’agit d’un système de cashback qui permet à nos clients de récupérer entre 5% et 20% de leurs achats sous forme de points utilisables sur la plateforme. Le taux de base est de 5% pour tous les membres du club sur l’ensemble des achats, et ce pourcentage peut monter jusqu’à 20 ou 30% pendant les périodes promotionnelles.
C’est aussi un outil que nos marchands peuvent utiliser en abondant au-delà de la générosité de Rakuten, afin de mettre en avant certains produits. C’est un engagement important pour nous puisque nous finançons ce cashback sur nos propres deniers, à partir des commissions que nous prélevons. L’objectif est évidemment de créer de la répétition d’achat et de fidéliser notre clientèle.
Notre troisième spécificité est notre modèle partenarial. Nous travaillons avec environ 10 000 marchands marketplace sans jamais les concurrencer avec des produits que nous vendrions en direct. Notre mission est de connecter ces marchands à nos clients et de les aider à se développer. La notion d’”empowerment” est centrale dans la philosophie du groupe.
Grâce à ce positionnement, nous nouons des relations avec un spectre très large de vendeurs, du petit libraire indépendant qui propose des livres neufs et d’occasion jusqu’à des géants comme Carrefour.
Nous sommes particulièrement fiers des partenariats récemment conclus avec des acteurs majeurs du retail comme Darty ou Boulanger.
Qu’est-ce qui attire ces grandes enseignes sur votre plateforme ?
Ces acteurs sont présents sur Rakuten parce que nous leur apportons un trafic de qualité avec nos 10 à 15 millions de visiteurs uniques mensuels. Nos études montrent régulièrement que la grande majorité de ce trafic est additionnel pour eux, avec peu de chevauchement de clientèle. De plus, leurs clients bénéficient de notre programme de cashback, créant ainsi une véritable relation gagnant-gagnant avec nos partenaires.
Cette approche partenariale est profondément ancrée dans l’ADN de Rakuten. Lorsque Hiroshi Mikitani a créé l’entreprise en 1997, son objectif n’était pas de disrupter le marché ou d’éliminer la concurrence, mais au contraire de connecter les marchands du nord-est du Japon avec les clients du sud-ouest grâce à Internet. C’est une démarche de construction positive.
D’ailleurs, dans notre jargon interne, les consommateurs sont appelés “customers” et les marchands sont nos “clients”. Il y a trois ans, nous avons lancé une offre logistique, Rakuten Fulfillment Network, qui s’inscrit dans cette dynamique de service à nos marchands.
L’inflation semble s’atténuer, mais la question du pouvoir d’achat reste préoccupante pour beaucoup de Français. Comment Rakuten y répond-elle ?
Le problème du pouvoir d’achat demeure en effet, et nous y apportons deux réponses principales.
D’abord, notre programme de cashback que j’ai évoqué. En tant que marketplace qui ne vend rien directement, nous n’avons pas la main sur les prix de vente fixés par les marchands. Notre façon d’aider les consommateurs est donc de redonner du pouvoir d’achat via ce programme.
Parallèlement, nous menons tout un travail d’accompagnement et d’éducation auprès de nos marchands, les encourageant à abonder notre programme en offrant des points supplémentaires. Nous leur expliquons que cette démarche leur permettra d’augmenter leurs ventes tout en favorisant le client, qui paiera effectivement moins cher.
Est-ce simplement une question de prix bas ?
À mon sens, il ne s’agit pas uniquement de vendre toujours moins cher. Pour qu’un modèle soit pérenne, il est nécessaire de respecter une juste répartition de la valeur entre tous les acteurs : marchands, marketplace, opérateurs et logisticiens.
Il est également primordial que l’achat reste un achat sûr, sans produits contrefaits ou dangereux. Le vrai pouvoir d’achat doit s’inscrire dans une démarche responsable et durable pour l’ensemble de l’écosystème.
Nous insistons également sur la qualité de l’achat. Notre programme de cashback constitue donc notre première réponse au défi du pouvoir d’achat.
La seconde réponse est précisément la seconde main. Nous avons récemment mené une enquête avec Ipsos en décembre dernier sur les comportements d’achat des Français avant Noël. Nous les interrogions sur leurs motivations pour acheter des produits de seconde main, cherchant à savoir si la préoccupation environnementale primait sur le pouvoir d’achat. Les résultats ont montré que le pouvoir d’achat était la raison principale, bien que la conscience environnementale arrive en deuxième position, assez proche.
C’est pourquoi il est stratégique pour nous de proposer sur une même plateforme des produits neufs et d’occasion. On observe souvent que nos utilisateurs, lorsqu’ils effectuent une recherche, se voient proposer sur la même page à la fois des produits neufs et d’occasion, avec la liberté de choisir. L’année dernière, un produit vendu sur deux était un produit d’occasion ou reconditionné. C’est une tendance de fond qui reflète notre réponse aux préoccupations de pouvoir d’achat.
Quelle part occupe le retail media ?
Nous faisons du retail média depuis longtemps chez Rakuten, avant même que cela ne s’appelle ainsi et avant que nous disposions de tous les outils pour le faire efficacement. Nous proposions déjà à nos marchands des mises en avant, ce qu’on appelait des “Rakuten Ads”, leur permettant de valoriser leurs produits et leurs offres.
Aujourd’hui, nous avons élargi cette offre aux annonceurs extérieurs, au-delà de nos marchands. Nous travaillons également avec 2000 affiliés qui ne vendent pas directement sur notre plateforme, mais vers lesquels nous dirigeons du trafic. Nos clients bénéficient du même cashback lorsqu’ils effectuent des achats sur ces sites partenaires. À ces affiliés aussi, nous proposons des solutions de retail média pour qu’ils puissent communiquer chez nous et recevoir du trafic qualifié en retour.
Le retail média constitue un revenu complémentaire important qui s’ajoute aux commissions perçues auprès de nos marchands.
Et la pub vidéo ?
J’ai une autre casquette chez Rakuten en tant que CEO de Rakuten TV. Il s’agit d’une plateforme de VOD et de streaming qui fonctionne selon deux modèles. Le premier est transactionnel : nos clients achètent ou louent des films. Le second propose du contenu gratuit financé par la publicité.
Cette deuxième activité représente la part la plus importante de notre business et connaît une forte croissance, particulièrement dans le domaine de la télévision connectée et de la publicité associée. Nous observons un transfert croissant des budgets des annonceurs de la télévision traditionnelle vers la télévision connectée.
La particularité de Rakuten TV est que nous disposons de notre propre équipe commerciale qui vend l’inventaire publicitaire de Rakuten TV à l’ensemble des annonceurs et des agences en Europe. Cette équipe a acquis une expertise considérable depuis cinq ans, au point qu’elle vend désormais non seulement notre inventaire mais également celui de certains concurrents. Cette reconnaissance s’explique par les spécificités de ce marché : contrairement à la télévision traditionnelle, nous pouvons exploiter des données supplémentaires pour proposer de la publicité beaucoup mieux ciblée. Du fait de cette expertise maintenant bien ancrée chez nous, nous parvenons à commercialiser d’autres inventaires et ainsi à optimiser nos revenus au-delà de ce que nous générons nous-mêmes.
Quelle est votre approche en matière d’IA ?
C’est effectivement très important pour nous. Il existe une véritable culture de l’IA au sein du groupe Rakuten. Nous avons la chance, en faisant partie de ce groupe, d’avoir accès à des centaines, voire des milliers de data scientists, de docteurs et d’ingénieurs qui travaillent pour les différentes branches d’activité de Rakuten..
Beaucoup de ces solutions ont d’abord été testées et développées pour la marketplace au Japon. Cela nous permet d’adopter directement de nombreuses solutions. Par exemple, nous utilisons aujourd’hui des chatbots pour notre service client et pour notre service d’assistance aux marchands. En tant que marketplace, nous devons régulièrement répondre aux questions de nos clients finaux concernant leurs livraisons, leurs paiements, etc. De même, nos marchands nous interrogent fréquemment sur la gestion de leur portefeuille.
L’humain est-il remplacé ?
Actuellement, 80% des interactions sont gérées par des bots et 20% par des humains. Notre motivation première n’était pas uniquement économique, mais surtout l’amélioration de l’expérience utilisateur. Grâce à ces bots, nos clients et marchands peuvent obtenir des réponses à n’importe quelle heure du jour et de la nuit.
L’IA vous aide-t-elle également dans la gestion de votre catalogue ?
Absolument, et c’est une des particularités de Rakuten. Notre catalogue est immense avec des millions de références. Contrairement à d’autres sites, notamment sur la partie produits d’occasion, tout est organisé. Chaque fois qu’un objet est mis en vente, il est rattaché à ce que nous appelons une “fiche produit”.
Aujourd’hui, l’IA nous permet de fusionner des millions de fiches produits et d’éviter les doublons. C’est une solution que nous avons développée en interne avec nos propres équipes.
Ce qui est essentiel pour nous, c’est notre approche très pragmatique de l’IA. Nous ne faisons pas de l’”IA washing” en l’utilisant simplement pour la forme. Nous identifions d’abord un besoin précis, puis nous voyons comment l’IA peut y répondre.
Sur quels autres domaines travaillez-vous avec l’IA ?
Nous avons actuellement deux axes majeurs : la recherche et la recommandation.
Plus nous intégrons d’intelligence dans notre moteur de recherche, plus les résultats sont pertinents. De même pour la recommandation : plus nous utilisons de données et d’intelligence artificielle, mieux nous pouvons recommander des produits adaptés aux préférences de nos utilisateurs.
Cette logique s’applique également à Rakuten TV. Dans l’univers du streaming, la recommandation est fondamentale — c’est d’ailleurs ce qui a fait le succès de notre principal concurrent américain.
Comment diffusez-vous cette culture de l’IA au sein de l’entreprise ?
Nous avons un projet dans le groupe que nous appelons “l’AInization de Rakuten. L’objectif est que l’IA soit présente à tous les échelons de l’entreprise. Mais il ne s’agit pas simplement d’intégrer l’IA là où nous en avons besoin, mais de développer une véritable culture.
Tous nos collaborateurs sont formés à l’IA, que ce soit pour créer des prompts efficaces ou pour comprendre ce que cette technologie peut apporter. Notre PDG disait récemment que l’IA, c’est comme Excel : dans un an, ce sera un outil fondamental. Si vous ne maîtrisez pas Excel, Word ou PowerPoint, vous ne postulez dans aucune entreprise. Ce sera pareil pour l’IA : sans un minimum de connaissances, on ne pourra pas avancer. C’est vraiment une culture qui imprègne Rakuten depuis quelque temps déjà
Quelle grande tendance pour le retail voyez-vous ?
Tous les codes traditionnels de la distribution sont bouleversés. n. Il y a 25 ans, les réseaux de distribution étaient essentiellement des magasins physiques. Puis est arrivé le site internet, d’abord perçu comme un concurrent des magasins avant d’être intégré dans une logique d’omnicanalité, avec la prise de conscience que le client est le même, qu’il achète en ligne ou en magasin.
Ensuite, petit à petit, les marketplaces ont fait leur apparition. Quand j’étais à la Fnac et que nous avons commencé à intégrer des marketplaces, ce n’était pas une évidence. Au début, on se demandait pourquoi faire entrer des marchands qui vendent les mêmes produits que nous. Ce n’était pas intuitif, mais nous avons compris que finalement, ce n’est pas nous qui décidons ce que le client va acheter, c’est le client lui-même. Plus l’offre est globale, mieux c’est pour le consommateur.
Le fait que des acteurs comme Carrefour ou Darty vendent sur notre plateforme représente encore une autre dimension. Ces enseignes disposent déjà de magasins, d’un site internet, parfois même de leur propre marketplace, mais elles cherchent à maximiser leurs ventes en étant également présentes sur des plateformes comme Rakuten. C’est ce que nous appelons le “click and mortar and platform”.
Aujourd’hui, dans un contexte où le client est peu fidèle,l’objectif est d’augmenter les points de contact avec les clients.
Que peut-on vous souhaiter en tant que nouveau CEO ?
Depuis mon arrivée il y a six mois, nous avons travaillé avec l’ensemble des équipes pour mettre en place un plan stratégique couvrant les cinq prochaines années. L’objectif était de prendre acte de l’évolution du marché : l’arrivée de nouveaux entrants, notamment des plateformes asiatiques qui ont changé les codes, l’essor de la seconde main, les défis liés au pouvoir d’achat…
Nous avons donc fait un état des lieux précis : quelle est la situation actuelle du marché ? Comment a-t-elle évolué ? Quelles sont les forces et les spécificités de Rakuten ? À partir de là, nous avons croisé les caractéristiques du marché avec nos atouts pour définir notre stratégie. Tout est très clair dans notre esprit, et maintenant, nous sommes dans la phase d’exécution.
Nous avons la chance d’avoir des équipes incroyablement motivées et passionnées. Ce qu’on peut donc se souhaiter, c’est de dérouler avec succès notre feuille de route stratégique.