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Le travail à distance est-il compatible avec la productivité et la créativité ?

Le travail à distance aurait-il fait baisser la productivité des employés ? Et quels sont ses autres effets à plus long terme ? Pour le comprendre, regardons les résultats de deux études auxquelles Microsoft a collaboré pendant la pandémie. Elles viennent éclairer la façon dont l’information circule au sein des entreprises. Et montrer l’impact de cette transformation des flux de communication et collaboration sur la productivité et la créativité.

VIUZ travail à distance productivité
Source : Photo de Chris Montgomery via Unsplash


Une analyse du travail à distance chez Microsoft

La première étude a été réalisée par des chercheurs de Microsoft et un chercheur de l’université de Berkeley a été publiée le 9 septembre publiée dans Nature. Elle est basée sur l’analyse des données des emails, calendriers, messageries instantanées, appels audio/vidéo et les heures travaillées de plus 61 182 employés américains de Microsoft, pendant les 6 premiers mois de 2020.

Son principal enseignement est que le travail à distance appliqué à l’ensemble de l’entreprise a transformé les réseaux de collaboration de l’entreprise. Ces réseaux sont devenus plus statiques et isolés en silos avec moins de passerelles entre leurs différents éléments. La communication synchrone (en temps réel) a également baissé au profit de la communication asynchrone. Tous ces éléments rendent plus difficiles l’acquisition et le partage de l’information à travers tout le réseau de l’entreprise.

De précédentes études avaient montré l’importance des réseaux de connections au sein des entreprises. Aussi bien les connections formelles / hiérarchiques que les connections informelles entre collègues pour faire circuler l’information. Le basculement brutal vers le télétravail a eu pour effet de créer des trous dans ce réseau de connexions, avec des équipes qui se sont concentrées sur leurs canaux de communication les plus forts. Ils ont délaissé les « liens faibles » de leur réseau, pourtant plus susceptibles d’être source d’informations nouvelles et non redondantes avec les canaux « officiels ».

Ces réseaux de communication ont aussi eu tendance à être plus statiques que les réseaux qui se nouent avec le travail au bureau. C’est-à-dire que les collaborateurs ont ajouté ou supprimé moins de liens de connexions avec d’autres collègues qu’ils ne l’auraient fait habituellement, et ont passé moins de temps avec des nouvelles connexions.

Source : Etude Microsoft publiée dans Nature le 9/09/2021


Un impact sur le transfert de connaissance et la collaboration

En plus de ces changements dans la structure du « réseau » des employés, les modes de communication utilisés à distance ont aussi eu un impact sur le transfert de connaissance et la collaboration.

Ainsi les canaux de communication asynchrones (comme l’email) sont mieux adaptés à la transmission d'informations. Et les canaux synchrones (appels téléphoniques ou vidéo) sont mieux adaptés à la convergence sur la signification des informations. (source : Lengel, R. H. & Daft, R. LAn Exploratory Analysis of the Relationship Between Media Richness and Managerial Information Processing. Technical Report (Texas A&M Univ. Department of Management, 1984).

D’après les recherches en management, les canaux de communication plus riches, comme interagir en personne avec un collègue, seraient mieux adaptés à la communication d'informations et d'idées complexes. Ils seraient aussi clé pour créer un rapport entre les gens leur permettant ensuite de collaborer. Sans cette « connexion humaine », l’utilisation des outils ne permettra pas une collaboration efficace.

Or avec le basculement vers le travail à distance les employés n’ont pas juste remplacé leur interactions en personne par des interactions à distance. Ils ont en fait délaissé les communications synchrones (de type rendez-vous téléphonique ou vidéoconférence) pour se tourner vers des canaux de communication asynchrones (email et messagerie instantanée qui n’en reste pas moins asynchrone).


Quel impact sur la créativité et l’innovation?

Une seconde étude a été réalisée conjointement par Microsoft, LinkedIn, et GitHub pour produire l’analyse “New Future of Work". (détails publié dans la Harvard Business Review) Elle se base notamment sur l’étude annuelle que réalise Microsoft auprès de ses employés.

Elle nous permet de voir que la productivité n’est pas le seul facteur a surveiller dans le contexte du basculement en travail à distance. Car la productivité « pure » ne semble pas avoir été affectée. En fait, dans une de ses divisions, les développeurs Microsoft déclaraient même plutôt se sentir plus productifs. Mais en y regardant de plus près on comprend que travailler à la maison a aussi effacé les barrières entre le travail et la vie privée. Dans une des études, 49% des employés de Microsoft ont ainsi déclaré travailler plus d’heures, et seulement 9% moins d’heures. Dans son étude globale « Work Trend Index 2021 », prenant en compte des salariés extérieurs à Microsoft, 54% ont déclarés se sentir surmenés et 39% épuisés.

Cette étude plus globale alerte donc sur l’importance de trouver le bon dosage entre travail au bureau et travail à distance. Un dosage qui dépendra aussi de chaque individu, de sa personnalité et ses missions dans l’entreprise. Un mode de travail hybride efficace réservera alors les moments de présence au bureau pour des activités de communication et collaboration qui sont indispensables pour alimenter le processus créatif. Et pour nouer des liens entre les employés et les équipes (en particulier avec les fameux « liens faibles » dont nous avons parlé plus tôt). Une démarche de « socialisation informelle » qui menée au démarrage des projets permettra par la suite une collaboration asynchrone plus efficace.

Enfin, trouver sa place dans un nouveau monde du travail hybride est un défi pour toutes les générations de travailleurs. Mais c’est encore plus complexe pour les plus jeunes générations. D’après le Work Trend Index, la Génération Z (née entre 1997 et 2010, elle vient d’arriver sur le marché du travail) aura ainsi eu plus de difficulté à se sentir impliquée dans son travail et enthousiaste, et à pouvoir amener des idées aux projets. C’est pourquoi les analystes alertent sur l’importance d’aider au réseautage informel de privilégier l’inclusion lors des réunions en présentiel pour que toutes les idées puissent être entendues.

Source : Work Trend Index 2021


Quelle évolution pour le travail ?

Avant la pandémie de COVID-19, à peine 5 % des Américains travaillaient à domicile plus de trois jours par semaine (Source Stanford), alors qu'on estime que, d'ici avril 2020, pas moins de 37 % des Américains travaillaient à domicile à plein temps. De nombreuses entreprises américaines (Twitter, Facebook, Slack…) avaient même annoncé des plans maintenant le travail à domicile pour le long terme. Mais elles reviennent désormais sur ces strategies, pour adopter plutôt un modèle de travail hybride, où les employés partagent leur temps entre le travail à distance et le travail de bureau (ou dans un cowork / tiers lieux).

Autre approche, un modèle mixte, où certains employés  travaillent à distance à temps plein et d’autres au bureau à temps plein. Ceux qu’on appelle les « travailleurs de l’information », pour qui le travail à distance est possible, devraient ainsi d’après les prédictions des chercheurs travailler à domicile environ 20% de leur temps.

Pour creuser ce sujet, nous vous recommandons cette conférence vidéo du Stanford Institute for Economic Policy Research (SIEPR), animée par le Professeur Nick Bloom :  “Working From Home and the Future of U.S. Economic Growth under COVID." (mai 2020)

Séverine Godet

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