Par Mimi Ferhat, Directrice Générale de tequilarapido

Depuis le début de la crise, les budgets des annonceurs alloués aux prestataires se sont restreints. Avez-vous ressenti une pression financière supplémentaire en tant qu’agence de communication ?
Quand les temps sont durs, chacun se retourne vers ses propres préoccupations, et c’est bien normal. Mais la crise est aussi devenue une excuse en or pour de nombreuses marques qui souhaitaient réduire leur budget en matière de communication mais n’avaient pas de véritable levier à faire valoir auprès de leurs prestataires. Un jeu dangereux qui peut offrir des bénéfices intéressants à court terme, mais qui est extrêmement néfaste pour la survie du secteur, sans mentionner l’équilibre des relations agences-annonceurs...
Une pratique archaïque - qui se développe de plus en plus - incarne parfaitement cette instabilité : celle des appels d’offres payants, qui demande aux agences de réaliser des projets très aboutis lors des procédures d’appel d’offres, sans les indemniser par la suite, une fois sortis du processus. Pourtant, du temps, des ressources et des outils ont été alloués, avec souvent une deadline très courte, pour produire un travail colossal, qui ne sera jamais rémunéré par la suite. Ne dit-on pas que tout travail mérite salaire ?
La crise a donc exacerbé ce phénomène ?
Cette année, les agences ont subi de plein fouet la multiplication de ces appels d’offres payants, mais pas seulement. Les règles du jeu sont mouvantes : critères de sélection opaques, remise en concurrence avant la fin du contrat, rétention d’information…
Ces pratiques, qui forcent les agences à jouer les funambules sur une corde raide, alimentent une frustration entre les annonceurs et les agences, et génèrent un climat de méfiance qui n’est pas propice au développement de projets fructueux sur le long-terme. Mais surtout, ces appels d’offres payants fragilisent encore plus l’écosystème de la communication, dont l’économie a déjà été durement touchée. Au lieu d’un mouvement de solidarité, les agences ont subi un revers dont la note reste amère. Rappelons que les investissements des annonceurs sur le marché français de la communication en 2020 ont reculé de 7,3 milliards d’euros. Une année marquée d’une pierre noire pour la profession, composée à 80 % de TPE.
Pressuriser les agences dans un moment aussi complexe revient à les tirer vers le bas, en privilégiant la recherche de résultats rapides, et en oubliant que la créativité et l’innovation prennent du temps. Une fois de plus, il s’agit d’une relation “win-win” : si les agences n’ont plus les moyens d’investir dans la technologie, de développer leurs talents créatifs, de rester à l’affût des tendances, ce sont les marques qui en pâtiront in fine.
Quelles sont les solutions aujourd’hui pour remédier à ce blocage ?
Le retour au sens de notre métier est une priorité. La compétition constante et tous azimuts ne peut être porteuse de sens, et elle place au contraire nos collaborateurs dans une situation de stress qui n’a pas lieu d’être. Comme certains l’ont déjà annoncé cette année, notre avenir professionnel ne s’arrête pas - et ne s'arrêtera pas - à notre prochain appel d'offres.
En mai dernier, 28 organisations professionnelles et 250 000 acteurs du secteur ont lancé une pétition pour s’opposer aux appels d’offres non indemnisés. Cette prise de conscience qui grandit doit s’accompagner d’actions concrètes et surtout d’une prise de responsabilité de chacun. Nous sommes responsables vis-à-vis de nos clients, qui nous rémunèrent en échange de notre attention et de notre travail. Qu’en est-il de la responsabilité des prospects qui nous demandent un travail sans rémunération ?
Pour avancer ensemble, agences et annonceurs main dans la main, et rendre le marché plus équitable et respectueux du travail de chacun, nous devons créer une charte de bonnes pratiques avec quelques règles simples : budget minimum, transparence des critères de sélection, définition de la quantité et la nature des travaux demandés... En se mettant au même diapason sur ces principes, les appels d’offres se transformeraient en une véritable session de travail créatrice de valeur. Qui plus est, cela permettrait d’accélérer le processus de sélection et d'améliorer foncièrement la qualité des réponses obtenues par les annonceurs.
Certains acteurs prônent également la mise en place d’un cadre légal, ou encore d’une prime d’indemnité, mais il reste fort à parier que ces demandes prendront du temps avant de changer les coutumes du secteur en profondeur.