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Avec le COVID-19, les marques vont devenir plus que jamais schizophrènes

Par Alban Peltier, CEO d'Antvoice

Le COVID-19 restera à tout jamais un phénomène majeur qui marquera ce début de siècle. C’est plus de la moitié de l’humanité qui s’est retrouvée confinée en quelques semaines. Pour la première fois, la santé est positionnée avant l’activité économique.

Du jour au lendemain, des pans entiers d’activités ne génèrent plus aucune vente, et la demande comme l’offre deviennent anémiques.

Cette pause, imposée, va t’elle profondément modifier les habitudes de consommation comme on peut l’entendre ici ou là,  ou est-ce simplement une pause avant le retour de la consommation de masse ? Quelques éléments de réponses.

Un impact modéré d’un point de vue sanitaire et cataclysmique d’un point de vue économique

Le COVID-19 trouvera incontestablement sa place dans les livres d’histoire. Plusieurs générations se souviendront de cette pause du monde entier durant plusieurs semaines.

Pourtant c’est loin d’être la pandémie la plus terrible, même dans l’histoire récente. Il n’y a pas si longtemps, en 1969, la grippe asiatique faisait plus d’un million de morts dans le monde entier vs les 200 000 décès actuels du coronavirus, et pourtant personne ne s’en souvient.

Toutefois, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la santé des femmes et des hommes est placée au dessus de l’économie. Jamais un tel choix n’avait été fait !

Si cette approche permettra sans doute de sauver des dizaines, voire des centaines de milliers de vies -et on ne peut que s’en réjouir !-, elle va plonger une large partie des économies nationales en crise totale et profonde.

C’est le second fait marquant, jamais une pandémie n’avait plongé l’économie en récession à ce point. Car cette crise, contrairement à celle de 2008, n’est pas simplement financière, elle touche l’économie réelle et son moteur principal, la consommation des ménages (et des entreprises), totalement grippée.

Thèse – vers une consommation plus raisonnée ?

Après chaque crise (financière, sanitaire ou conflictuelle), tous les prêcheurs (que l’on appelle des “influenceurs” en 2020) reprennent de la voix pour annoncer un monde nouveau. “Plus rien ne sera comme avant”, “le monde de demain sera différent, meilleur et plus responsable”, “il y aura clairement un avant et un après”, etc.

Le COVID-19 génère bien évidemment ces prédictions. En tant que CEO d’un pionnier du marketing prédictif, AntVoice, je me devais d’en faire la synthèse. 😉

Chers amis, je vous l’annonce, le monde de demain sera différent, le comportement des consommateurs sera plus responsable, plus rien ne sera comme actuellement pour les marques.

Globalement, la consommation sera responsable, c’est à dire que les citoyens feront de plus en plus attention à leur façon de consommer, pour passer de la sur-consommation de masse et indifférenciée à la consommation raisonnée.

Seuls les produits possédant certaines caractéristiques trouveront grâce aux yeux des consommateurs post covid-19, devenus soudainement clairvoyants :

  • Le caractère local : le consommateur citoyen va privilégier la proximité des produits fabriqués en France et même le caractère local pour certaines catégories de biens, comme l’alimentaire.

Les marques et les distributeurs vont donc mettre l’accent sur l’origine géographique et la production locale, avec le drapeau national partout pour insister sur le made in France et le nom de régions peu mises en avant traditionnellement, à la fois sur le packaging et dans les publicités.

Toyota est sans doute l’un des meilleurs exemples avec sa pub lancée en 2019 promouvant le “Origine France Garantie” pour sa Yaris. Le phénomène va fortement s’accélérer. Ne plus être made in France va devenir l’exception et même une tare indélébile.

  • Le respect de l’écosystème : les marques mettront systématiquement en avant la façon de gérer raisonnablement et respectueusement leurs fournisseurs, leurs personnels, leurs partenaires, bref toutes les parties prenantes. Ce sont les axes de communication que l’on voit depuis quelques temps avec les mutuelles par exemple.
  • La neutralité carbone : les marques auront l’obligation de communiquer sur leur neutralité carbone et leur impact le plus faible possible sur l’environnement plus globalement. Les marques qui ne pourront pas le démontrer clairement seront automatiquement suspectées alors de détruire la planète à petit feu. Elles seront de plus en plus pointées du doigt par les activistes écologiques sur les réseaux sociaux et le grand public s’en détournera. C’est exactement le sujet du dernier spot de Nespresso par exemple qui ne parle plus du produit et ne met plus en scène le mythique Georges Clooney (!!!) mais évoque la façon dont Nespresso gère son impact environnemental : recyclage des capsules, neutralité carbone grâce aux 500 000 arbres plantés par an, etc.

  • Une meilleure qualité : dans l’époque pré-covid-19, il suffisait d’avoir une belle image du produit qui le valorisait sur le packaging ou en pub et le tour était joué. C’est terminé. Il faut maintenant des faits sur la qualité irréprochable du produit. C’est le rôle d’une part des avis consommateurs, qui seront de plus en plus utilisés directement dans les publicités, et des échelles de scoring comme le nutriscore ou l’application Yuka dans l’alimentaire. Qui aurait pu imaginer il y a 5 ans encore que les raviolis ou le cassoulet en boîte seraient promus à travers leur bonne note au nutriscore, comme le font actuellement Zapetti (avec du pur boeuf français et au blé complet) ou Williams Saurin (avec son cassoulet bio, sans conservateur, noté “A”) ? Qui aurait pu penser qu’un distributeur comme Intermarché changerait la recette de 900 produits mal notés par une simple “carotte”
  • La consommation raisonnée : les consommateurs deviendront raisonnables et frugaux comme ils l’ont été durant le confinement. Après ces quelques semaines, ils se sont aperçus que finalement ne pas passer des heures à faire du shopping ou acheter des produits à 3€ sur Wish dont on n’a pas besoin n’était pas si compliqué, que consommer moins n’était pas hors de portée. Finalement la déconsommation ou la consommation raisonnée est un objectif atteignable.
  • La disparition de l’obsolescence, programmée ou non : une des solutions pour moins acheter est de garder les produits plus longtemps (est-ce si indispensable d’avoir le dernier iPhone dès sa sortie ?) ou de les vendre quand on s’en lasse et d’acheter d’autres produits d’occasion. Le succès des services comme Vestiaire Collective ou Vinted sera renforcé. De nombreuses solutions équivalentes et thématiques verront le jour afin de pouvoir donner une seconde vie à tous les produits qui prennent la poussière dans la maison.

En bref, le néo consommateur post-covid 19 deviendra Raisonnable, Réfléchi, Responsable et Respectueux. La marque suivra le mouvement et s’appliquera également ce concept des 4 R (concept déposé, merci).

L’approche des 4 R supplantera au fur et à mesure le traditionnel et hors d’âge mix marketing des 4 P.

Les marques devront donc également modifier leur façon de communiquer et mettre l’emphase non plus sur leur offre, ni sur leurs produits, mais sur leurs valeurs. Elle devront démontrer avant tout leur utilité pour la Société et le respect de leur environnement (consommateurs, fournisseurs, planète). Celles qui ne le feront pas disparaîtront.

Antithèse – Et en même temps, une situation de crise

Il y a indéniablement une volonté forte de nombreux français de consommer différemment comme nous venons de le voir. Cependant il ne faut pas oublier que nous rentrons dans une crise économique dont nous ne connaissons ni l’ampleur, ni l’issue. Ce sont plus de 11 M de français, soit un salarié sur deux, qui sont au chômage partiel et donc avec des revenus moindres à la fin du mois. Ce dispositif, le plus généreux d’Europe, va progressivement baisser pour favoriser une reprise de l’activité économique et donc générer une baisse encore plus importante du revenu et du pouvoir d’achat de nombreux français.

Si en limitant les sorties et les tentations, puisqu’on ne peut plus sortir, permet d’amortir la baisse actuelle de 16%, comment vont réagir les salariés qui vont connaître une baisse de 30% de leur salaire durant plusieurs mois ou qui vont perdre leur emploi, de nombreux secteurs étant dans le chaos le plus total ?

La précarité d’une partie des français devrait donc s’accélérer encore dans les prochains mois.

Et clairement la priorité de cette frange de la population ne sera pas de consommer plus local ou plus responsable. La priorité sera avant tout de survivre, de nourrir les enfants. Le nutriscore ou la neutralité carbone n’auront alors aucun sens … Le prix (bas) restera le point central pour ces personnes.

Il faut également évoquer le besoin refoulé de consommer durant de longues semaines qui devrait générer des comportements complètement irrationnels dans les prochaines semaines dès lors que certains magasins seront de nouveaux accessibles.

On l’a déjà vu avec les files de voitures interminables pour acheter un burger chez McDo devant les premiers établissements ouverts.

En Chine, les queues interminables sont devant les magasins de luxe. Un magasin Hermès a ainsi généré plus de 2,7 M$ sur la seule journée de réouverture !

Au final, nul doute que nous assisterons à de nombreux “dérapages” de consommation massive à court terme (comme les émeutes en 2018 pour le pot de Nutella à 1,40€ chez Intermarché !) et que pour les prochains mois le prix restera une variable centrale de la consommation pour compenser une baisse annoncée du pouvoir d’achat sur une large partie de la population.

Synthèse – Le monde demain sera plus que jamais bipolaire et complexe à gérer pour les marques qui deviendront totalement schizophrènes par nécessité

Avec la crise des gilets jaunes et les longues grèves, les dernières années ont montré une séparation de plus en plus prégnante entre deux France.

L’une, plus urbaine, plus aisée, en télétravail durant le covid-19 et plus protégée financièrement, qui recherche de plus en plus du sens à ses activités professionnelles et personnelles, souvent caricaturale dans son discours de quête de sens. Les bobos pour ne pas les citer (et dont je fais partie, on ne va pas se le cacher).

De l’autre, une France plus éloignée des centres urbains, en périphérie ou à la campagne, moins aisée et plus impactée économiquement par la crise qui s’annonce, dont la préoccupation principale est de gérer la fin du mois et de ne pas perdre son job.

On avait pu constater qu’un écart se creusait entre ces deux France ces dernières années. Pour ma part je parierais sur une accentuation forte de ce fossé dans les prochains mois. Donnons-nous rendez-vous à la rentrée, une fois le covid-19 (presque) derrière nous. Je ne serais pas du tout surpris de voir de nouveaux mouvements sociaux importants se reformer, encore plus durs que les précédents …

Alors comment les marques et les acteurs du commerce doivent gérer cette dualité ?

Plus que jamais, il va falloir faire preuve d’une grande agilité et mêler les discours et campagnes produits et promotions d’un côté, et les initiatives plus corporate et RSE de l’autre, tout en restant cohérent.

Comme ce que fait Carrefour, avec d’une part sa communication traditionnelle, très promo, et d’autre part son engagement “Act for Good” lancé en 2018 et renforcé en début d’année qui doit faire de Carrefour un acteur actif de la transition alimentaire.

Comme Mcdonald's le fait depuis quelques années, alternant des campagnes produits et des campagnes de marque rappelant que McDo est, en plus de sa position de leader du fast food, un acteur clé de la filière agroalimentaire française et que 75% des matières premières utilisées viennent de France.

Il conviendra de renforcer cette schizophrénie de marque qui consistera à garder tous les consommateurs à bord, avec des communications axées sur le prix, les promotions et les produits, tout en essayant de développer l’activité de manière plus respectueuse et responsable, avec des discours de fonds et des changements radicaux dans la façon de développer et promouvoir les produits.

Et le digital dans tout cela ?

Rappelons tout d'abord que nous sommes en France légèrement en retard vs d’autres économies sur le poids du digital dans le mix global. En 2019, le digital représentait 39% seulement des investissements médias lorsque c’est plus de 50% aux USA et même plus de 60% en Chine, ou au UK.

Le digital devrait donc renforcer son poids car c’est le canal qui offre justement deux avantages importants dans cette phase complexe pour les marques :

D’une part c’est le média le plus agile. Sur le digital, il est très simple de modifier les creatives et le message d’une campagne, d’alterner les discours ou de de créer des campagnes dédiées à certains sujets sur des périodes courtes pour enrichir le territoire de la marque.

Le digital permet d’être réactif et souple et répond parfaitement à la schizophrénie des prises de parole

D’autre part c'est le digital qui offre la meilleure capacité d’analyse des comportements des consommateurs et de ciblage. Car, dès demain matin, promouvoir un pot de Nutella à une prix imbattable à une personne qui s’interroge sur une consommation plus raisonnée sera définitivement une erreur fondamentale impardonnable …

C’est pourquoi le ciblage basé sur le segment doit terminer sa fin

de carrière au profit d’un ciblage individuel, basé sur la compréhension réelle des besoins des consommateurs

Le digital devrait donc voir sa part dans le mix global progresser encore rapidement dans les prochaines années car il sera un allié de poids pour les CMO et les équipes marketing qui vont devoir jongler entre les différentes France et entre les périodes de crises, de confinements et d’accalmies.

Nul doute que communiquer dans les prochains mois sera une activité encore plus complexe qu’avant le COVID. C’est finalement peut être ça l’impact principal de la crise actuelle sur le marketing …

Alban Peltier, CEO @ AntVoice

AntVoice accompagne les retailers et les marques à recruter leurs futurs clients au meilleur coût. Grâce à l’analyse de plusieurs milliards de signaux faibles tous les mois et à son I.A. de prédiction d’intentions d’achat, de trading et d’apprentissage, AntVoice est capable d’identifier, de cibler et de recruter au meilleur coût les futurs clients des marchands et des annonceurs.

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