Après sa traversée du désert, suite logique d’un âge d’or ponctué d’excès et de mauvaises pratiques en tout genre, peu auraient misé sur un retour en grâce de la newsletter.
Et pourtant … Surfant sur la mauvaise presse des plateformes sociales, la consécration du mobile conjuguée aux nouveaux codes de design flat et minimaliste ainsi qu’un virage à 360° vers les usages plus privés, la voici de retour et en force ! L’inbox deviendrait-il plus attractif que le newsfeed ?
La newsletter en pleine renaissance
Flashback : vous souvenez-vous de ce temps maudit où vous étiez inondés de newsletters ? Il y en avait pour tous les (mauvais) goûts : certaines qui cherchaient à vous faire cliquer à tout prix au risque de sombrer dans le « clickbait », d’autres que vous receviez parce que votre courriel avait eu le malheur de croiser le chemin d’un de ces logiciels aspirateurs d’e-mail qui sévissaient en ligne ... et puis vous aviez celles adressées au « mass market », autrement dit sans aucune personnalisation ou ciblage et il va sans dire avec une absence totale de stratégie éditoriale. Bref le néant du néant pour cette époque mémorable où les marketeurs étaient incentivés au nombre total de mails envoyés dans le mois (si si, je vous assure). Mais ça, c’était avant.
Les spam filters se sont durcis, qui sanctionnent les émetteurs de contenus médiocres ou s’adonnant à de mauvaises pratiques ; la RGPD en a également découragé certains (pas tous, hélas) et il faut reconnaître que nous-mêmes avons fait le tri dans nos boîtes mails ... pour laisser place à la nouvelle génération de newsletters, « le nouveau réseau social qui n’est pas vraiment nouveau » selon le NYT ? Mais qui répond de bien des manières au besoin pressant d’un canal contournant fake news, bulles à filtres pour distancer la dictature des algorithmes imposés par les Facebook et consort et contrecarrer la surabondance de contenus ainsi que ses effets pervers, principalement le FOMO, cette pénible sensation de toujours passer à côté de quelque chose.
Émerger dans un déluge d’informations
Fondateur de Citronium, l’excellente lettre de veille et d'information hebdomadaire du digital, Eric Dupin est revenu au format newsletter et ses explications font référence : « Je m'intéressais depuis assez longtemps au format newsletter, et après avoir cédé Presse-citron, j'avais envie de continuer à m'exprimer et partager avec une communauté sur Internet, mais dans un format différent du blog (car j'avais déjà bien donné et il aurait été difficile de repartir et de réussir avec le même format ! ), et sans dépendre de plateformes externes. J'ai trouvé le format newsletter très adapté à ce que j'avais envie de faire ». Et d’ajouter : « le slogan de Citronium est : "Pas d’algorithmes, pas de clickbait, pas de publicité, pas de GAFA. Juste un truc entre vous et moi." Bien sûr, je suis aussi un filtre et un intermédiaire, mais je ne crois pas enfermer quiconque dans une bulle. » Répondre rapidement à ses lecteurs, les solliciter régulièrement dans une démarche de co-création, animer en parallèle un groupe privé sur Facebook pour poursuivre la discussion : le sens de la communauté est ici primordial, activé à partir de la newsletter.
Ainsi, la résurrection de ce type de contenu s’enracine dans le sillage d’une autre grande tendance, celle des influenceurs. Car qui dit newsletter dit expertise et confiance. Bien souvent, ces newsletters sont humanisées, voire personnifiées lorsqu’il s’agit de médias ; dans le cas de newsletters d’individus, c’est véritablement l’avis de l’expert qui est mis en avant. Le lectorat est en demande d’un œil aguerri capable de trier l’information, de la jauger, de lui donner du sens. Et surtout de s’adresser à un public de niche, de facto plus engagé. Cette mouvance est en vogue sur les plateformes sociales où ce n’est plus forcément la news brute qui s’impose mais son interprétation par des personnes de confiance. Ainsi l’algorithme de Linkedin n’hésite pas à accorder une visibilité accrue aux commentaires des publications les plus populaires et/ou à haute valeur ajoutée.
Une expertise qui a un prix ?
Revenons au cas Citronium évoqué plus haut. Enfin désalgorithmisée, cette veille de qualité, pointue, pertinente, personnalisée et de proximité suppose bien évidemment un prix : environ 5 euros par mois. Une broutille et pourtant « presque impossible en France sans de gros moyens marketing » confie Eric Dupin, qui ajoute toutefois « y croire et s’accrocher ». Le Français fait en effet partie de ces experts early-adopteurs qui se lancent progressivement dans l’aventure du long-form newlestter payant dans l’Hexagone ... une tendance déjà fortement affirmée aux USA.
Une étude menée en 2018 par Substack, start-up qui épaule les créateurs de contenus désireux de les monétiser – notamment dans le cadre de newsletters - soulignait que 11 000 personnes parmi ses usagers avaient déjà souscrit un abonnement payant (en moyenne 80 dollars) pour recevoir une newsletter tarifée certes mais de qualité. Un chiffre porté à 40 000 en 2019. De quoi donner le tournis. C’est donc sans surprise que les services eux aussi se multiplient. A l’image de Substack, Revue, ou encore Memberfulont développé des solutions pour venir en aide aux publishers.
Cette tendance forte s’inscrit dans la volonté de réinvestir son « owned media » et de regagner ainsi en autonomie tout en érigeant un nouveau modus vivendi plus privé. « Pour vivre heureux vivons cachés » dit le dicton. Reste à savoir si en 2019 cela est toujours possible ou si le come-back de la newsletter nous berce d’illusions …
MD