Nous avons interviewé Arnaud Créput, CEO de Smart, la plateforme publicitaire créée en 2001 en France. Elle a atteint cette année un chiffre d’affaires de 100 millions d’euros. Dans un marché dominé par Google et facebook, la société affiche une très belle croissance et nourrit de fortes ambitions.
Croissance : pouvez-vous nous donner les chiffres et le contexte ?
Smart est l’une des rares plateformes publicitaires en croissance rapide, rentable et autofinancée depuis son origine. Le CA a été multiplié par 5 ces 3 dernières années soit une croissance de 71 % en moyenne pour atteindre 100 M€ aujourd’hui. Business Insider nous a classé numéro 1 des sociétés technologiques françaises en hyper croissance tous secteurs confondus. Cela n’est pas neutre. Dans un environnement où nous affrontons directement les GAFAs, il est essentiel d’afficher une telle croissance dans la durée pour nous permettre de continuer à investir sur des technologies différenciantes.
Notre ambition est de quintupler à nouveau nos revenus d’ici 2022. Nous comptons un peu plus de 200 collaborateurs répartis à travers 13 bureaux (Paris, New-York, Londres, Berlin, Madrid, São Paulo, Milan, Buenos Aires, Mexico City, Nantes, Varsovie, Cracovie et depuis peu Singapour), nous serons 250 d’ici la fin de l’année et prévoyons de doubler nos effectifs d’ici 3 ans. 50 % des postes à pourvoir actuellement sont à la R&D. Smart a un ADN tech reconnu sur ce marché, nous souhaitons le renforcer.
Smart se positionne comme une alternative aux plateformes. Comment définir cette alternative ?
Smart se positionne comme la seule plateforme full stack indépendante du marché. Nous sommes également le seul acteur Européen capable de mettre en compétition les campagnes traditionnelles directes de nos éditeurs avec la puissance du programmatique. Dans un contexte où les premiers concurrents des médias indépendants sont Google et Facebook puisqu’ils captent 67 % du marché de la publicité digitale et 90 % de sa croissance (!), Smart se positionne comme l’unique alternative indépendante et l’ultime rempart aux GAFAs.
Pourquoi, en termes de pur business, on choisit Smart vs Google ?
L’enjeu pour les éditeurs, dans un contexte de RGPD qui limite la collecte de la data tout en la revalorisant, c’est de reprendre le contrôle sur leurs datas afin d’en tirer toute la valeur et ne surtout rien laisser en chemin. Pour cela les éditeurs ont besoin d’un service totalement transparent, aligné sur leurs intérêts et avec les capacités de monétisation les plus performantes du marché. C’est ce que propose Smart.
Les marques de leur côté recherchent la certitude que leurs investissements toucheront une audience et un contenu premium, dans un environnement totalement transparent capable de leur restituer le détail des transactions. Google et Facebook ne savent pas protéger les marques de contenus contraire à leur éthique. C’est un risque pour elles. Les plateformes adtechs, quant à elles, pratiquent pour la plupart l’arbitrage (l’achat-revente) afin de maximiser leurs marges au détriment de celles de leurs clients, ce que Smart se refuse de faire. C’est sur les critères d’alignement d’intérêts, de transparence, de qualité des contenus et d’intégrité que Smart séduit les annonceurs.
Smart sera en mai, aux côté d’Edipub, du SRI et de l’UDA, la première plateforme publicitaire à délivrer des campagnes labélisées « Trust.id ». Ce label consiste à garantir l’accès des éditeurs et des annonceurs au détail de chacune des transactions mettant en lumière de façon certaine, d’une part la qualité des inventaires achetés et d’autre part, les marges réalisées par les intermédiaires sur toute la chaîne de valeur. Cette initiative de transparence permettra enfin de redonner confiance aux annonceurs dans les médias indépendants et peut être de contribuer à terme au rééquilibrage des budgets publicitaires de Google et Facebook vers ces mêmes médias indépendants.
Au-delà de l’enjeu économique c’est un enjeu de démocratie à l’heure où les médias sont de plus en plus subventionnés par le fond Google DNI lui-même avec le risque de perdre à terme leur indépendance.
Qu’est-ce qui explique la croissance ?
L’écosystème adtech fait face à d’importants défis : l’entrée en vigueur du RGPD, la position dominante de Facebook et Google, la transparence, la fraude, les technologies et les formats qui ne cessent d’évoluer, l’émergence à venir de la télé connectée. Ces défis s’accompagnent à la fois d’une croissance rapide du marché (croissance à deux chiffres depuis son origine) et de nouvelles opportunités qui apparaissent chaque année. Il y a une réelle prime à l’agilité qu’on ne trouve pas dans toutes les industries.
Par ailleurs et depuis l’acquisition d’AppNexus par AT&T (qui affiche désormais un conflit d’intérêt côté éditeur avec AT&T), le marché se retrouve devant le manque flagrant d’alternatives indépendantes face à Google. Nous sommes devenus le seul partenaire dont les intérêts sont totalement alignés avec ceux de nos clients.
C’est cela principalement qui nous permet de nous développer et d’aiguiser l’intérêt que nous porte les médias dans un environnement de plus en plus sensible aux risques d’abus de la position outrageusement dominante de Google.
Quelle est la structure de cette croissance ?
Cette croissance vient d’abord de la croissance du marché lui-même. La croissance du marché programmatique tire les revenus digitaux de nos clients depuis plusieurs années et c’est encore plus vrai pour l’environnement mobile qui représente 60 % de nos revenus ainsi que pour tout ce qui concerne les formats vidéo qui se développent encore plus rapidement.
Notre croissance vient ensuite de notre expansion à l’international. Les États-Unis sont maintenant notre premier contributeur à la croissance en valeur. 75 % de nos revenus étaient localisés en France en 2015, aujourd’hui c’est moins de 30 %. Nous venons d’ouvrir un bureau à Singapour pour adresser l’ensemble de la région APAC, qui sera notre relais de notre croissance à partir de 2020.
Enfin la croissance vient de notre capacité à conquérir de nouveaux clients sur l’ensemble de nos marchés, aidé, il est vrai, par la démocratisation du Header Bidding qui nous permet de challenger Google sur ses inventaires historiques (200 nouveaux logos en 2018 pour un total de plus de 1000 clients dans le monde aujourd’hui).
Comment réussissez-vous aux États-Unis ?
Nous sommes présents à NYC depuis 2014. Notre plus grand défi a été de constituer une équipe d’américains natifs capable de porter la technologie et les valeurs de transparence et de protection des données de Smart sur un territoire ultra compétitif et dominé par des acteurs locaux. Ce sont ces valeurs, très éloignées du fonctionnement profond du marché américain, qui ont permis à Smart de conquérir ses premiers clients.
Les États-Unis vont représenter 15 % de notre chiffre d’affaires cette année et affichent toujours une croissance à 3 chiffres. Nos opérations marketing sont désormais basées là-bas et nous anticipons que les États-Unis seront le premier contributeur de notre croissance durant les 3 années à venir pour représenter 40 % de notre chiffre d’affaire en 2022.
Devant l’absence de solutions indépendantes des acteurs comme OpenX et Verizon Media, qui ont annoncé récemment l’arrêt de leur adserver, dirigent leurs clients vers Smart dans le cadre de leurs projets de migration. Cette opportunité doit permettre à Smart de doubler de taille aux Etats-Unis. Des éditeurs comme Intuit, Imgur, Financial Times ou encore BitTorrent font confiance à Smart aux Etats-Unis.
Comment analysez-vous la domination des GAFA ?
Nous parlons ici de Google, Facebook, et depuis moins longtemps d’Amazon qui captent comme évoqué plus haut l’essentiel du marché de la publicité digitale, et plus encore, de sa croissance.
Tous sont des « Médias Owners » : Facebook bien sûr, Google à travers YouTube, Amazon dans le domaine de la vidéo OTT. A ce titre ils sont des concurrents directs des médias indépendants. Les agences et les annonceurs ont le choix entre cibler sur Google, Facebook ou sur d’autres médias indépendants.
En plus d’être un « Media Owner », Google est également un fournisseur de solutions technologiques ce qui en fait un concurrent de Smart. C’est vrai depuis l’acquisition de DoubleClick en 2007, qui a sans doute été l’une des opérations M&A les plus lucratives de l’histoire et qui a échappé pour des raisons qui m’échappent aux réglementations antitrust aux États-Unis comme en Europe.
Cette présence de tous les côtés de la chaîne (outils et contenus, solutions côté annonceurs et côté éditeurs) qui s’ajoute à une domination presque sans partage sur la navigation internet, le système d’exploitation mobile, le search, la messagerie, le GPS, etc. donne à Google un accès à la data et donc un avantage redoutablement opaque et déloyal sur le reste de ses concurrents. Google en vient même à subventionner les mêmes médias, qui pourraient y voir là une menace, à travers son fond de soutien du numérique Google DNI !
Bref, cela expose Google à des conflits d’intérêts de plus en plus insolubles qui deviennent finalement une opportunité pour des acteurs comme Smart.
Ainsi certains médias suffisamment solides et visionnaires comme Axel Springer en Allemagne, ou encore Schibsted en Europe du Nord encouragent à faire de la résistance et à s’organiser pour s’affranchir des acteurs les plus dominants. En France, les médias sont beaucoup plus fragmentés, ce qui les rend plus prudents.
Aujourd’hui, l’opinion publique, les médias, les annonceurs tout comme les autorités européennes et américaines ont pris conscience de la situation et commencent à remettre en cause ces monopoles. Plusieurs mises en demeures et amendes conséquentes ont été infligées à Google et Facebook et des enquêtes antitrust auprès de ces plateformes sont toujours en cours des deux côtés de l’Atlantique pour garantir la libre concurrence et le respect des droits des consommateurs en matière de protection de leurs données.
La meilleure réponse à apporter consiste à proposer et à opter pour des plateformes éthiques, de ne pas attendre l’évolution de la réglementation mais de faire front commun face aux GAFA à travers des choix économiques éclairés et pérennes sur le long terme pour sortir de la dépendance. La mise à plat du partage de la valeur passe avant tout par des choix courageux de la part des premiers concernés : les annonceurs et les médias. Il y a eu une vraie prise de conscience ces douze derniers mois et je suis extrêmement optimiste pour la suite.
Les prochaines étapes ?
Smart a entamé une nouvelle phase de sa croissance. Notre horizon actuel est à 2022 et nous nous sommes fixés comme objectif de multiplier par 5 les transactions opérées sur la plateforme. Cela passe par notre renforcement à l’international et la croissance de notre base d’éditeurs mais aussi par la mise en place de nouveaux modes de transactions plus transparents. En particulier nous voulons faire bouger les lignes sur la monétisation des données et la traçabilité. L’industrialisation de notre offre Deal+, qui permet aux éditeurs de s’allier par la technologie, est une offre unique et un axe stratégique de développement pour peser davantage face au duopole.
En 2019, nous allons investir un montant de 3 millions d’euros pour lancer une offre dédiée aux environnements de la télé connectée. Le format vidéo représente d’ores et déjà le premier levier de croissance de Smart. Nous entendons bien capitaliser sur notre plateforme de monétisation vidéo et sur notre expertise data et algorithmique pour adresser les problématiques propres à la télé connectée. Notre objectif est de devenir le premier fournisseur indépendant de solutions « Advanced TV » à destination des opérateurs de télécommunications et des organismes de radiodiffusion, là où nos concurrents affichent tous des conflits d’intérêts majeurs.
Enfin, Smart a émergé comme un acteur qui compte sur le monde du big data et du machine learning. Tous nos lancements récents s’appuient sur ces technologies et nous continuons à investir, c’est une expertise critique pour l’avenir.
A l’international, nos efforts se concentrent sur les États-Unis. Nous avons ouvert un bureau à Singapour cette année. Nous renforçons notre bureau au UK, qui jusqu’à présent adressait la demande pour le reste de l’Europe. Nous venons d’ouvrir la partie éditeur. Enfin nous mettons en place des partenariats de distribution sur certaines zones que nous n’adressons pas directement comme les pays nordiques, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.