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Marketing surprise ou l’art de ré-enchanter ses audiences

De studiostoks / Shutterstock

L’arrivée du Big data et des algorithmes, mais aussi des biais inhérents aux usages numériques a rendu nos vies … extrêmement prévisibles ; le phénomène touche tout le monde, y compris les marques et leur façon de s’adresser à leurs audiences. Or, ce qui est prévisible n’est-il pas forcément limité, voire à la longue insipide ?  N’est-il pas temps d’agir différemment, d’ouvrir le champ des possibles et ainsi de s’octroyer un véritable avantage stratégique à long terme ?

Quelle place pour le hasard ?

Prenons le temps d’y réfléchir : quelle place laissons-nous au hasard dans nos existences digitalisées ? Nous nous levons le matin pour consulter notre smartphone, sans doute quelques mails promotionnels reçus via les newsletters auxquelles nous sommes abonnés ; remercions pour cela l’opt-in et le consentement éclairé, fondements même du RGPD.

Au détour d’un mail, d’une offre particulièrement alléchante, période des soldes oblige, nous voici sur un site d’e-commerce qui déploie alors toutes les techniques de manipulation persuasion afin de captiver notre attention : scroll à l’infini, contenus en auto-play, stocks affichés en temps réel et (évidemment) bientôt écoulés, recommandations de produits en fonction de nos achats … la liste est loin d’être exhaustive. 

Une fois l’achat conclu, un petit tour sur les réseaux sociaux s’impose – Fear Of Missing Out quand tu nous tiens, peur viscérale de louper une information vitale. Nous accédons dès lors, quelle que soit la plateforme (Facebook, Instagram, Twitter etc) à notre flux algorithmique custom made, internautes avertis que nous sommes. Vous savez, cette bulle de filtre, ce petit cocon à la fois rassurant et potentielle source de danger et de désinformation ? A moins que nous ayons quitté Facebook pour Instagram afin d’échapper à l’emprise de Marck Zuckerberg … sauf que loupé, la firme de l’image fait partie de l’écosystème de la Big blue app.  

Pendant que nous scrollons (à l’infini donc), l’achat que n’avons pas validé sur Ikea il y a quelques semaines continue de s’afficher inlassablement dans notre navigation… jusqu’à ce que nous craquions – ou pour les plus doués que nous effacions nos cookies (et encore…). Remercions alors le retargeting et de façon plus générale les plateformes programmatiques qui régissent la majorité des publicités servies sur le web : 80% des contenus consultés sont passés au crible par un robot qui nous en proposera de même nature pour nous plaire.

Vers un début de prise de conscience ?

Un scénario vaguement familier, n’est-ce pas ? Certes, il ne s’agit pas de tout diaboliser. Le marketing just-in-time qui permet de toucher le bon consommateur au bon moment et sur la bonne plateforme reste une arme puissante. Mais cette méthode-ci sera d’autant plus efficace qu’elle saura s’affranchir des codes en vogue pour se créer ses propres scénarios parfois à contre-courant de ce qui se fait. Le défi est double : il réside également dans la capacité à savoir faire pivot lorsque son modèle se sera démocratisé au gré des copier/ coller d’autres marques.

Un exemple ? Oreo remporte le très médiatique Super Bowl 2013 grâce à un post diffusé de manière fort agile pendant la panne d’électricité : « Power out ? No problem, you can Still Dun In the Dark », autrement dit, et même si l’expression est difficilement traduisible en français, « Panne de courant ? Vous pouvez toujours « tremper » dans le noir » traduisons grignoter dans l’obscurité le biscuit que l’on peut tremper dans son café. C’est le début de ce que l’on appelle le newsjacking, soit la capacité à créer l’effet de surprise en rebondissant sur l’actualité afin de « gagner l’instant ». Une tendance qui fait rage, ce n’est d’ailleurs pas pour rien que Twitter en a fait sa baseline « Win the moment ».

Problème : en 2019, quelle marque dotée d’une véritable stratégie sur les réseaux sociaux n’a pas intégré du newsjacking à son arsenal marketing ? Preuve en est, Twitter édite chaque année un calendrier baptisé « Plant the moment » qui liste les évènements à venir afin de sereinement préparer ses dispositifs et aussi être d’attaque lorsque le sujet d’actualité ne fait pas partie des marronniers. Car qu’on se le dise, du newsjacking ça se prépare en amont ! Cela demande un planning éditorial bien ficelé… afin d’avoir le temps d’agir vite en cas de news qui méritent une action de la part de la marque. Prévisible donc !

Comme l’explique François Houste, directeur conseil chez Plan.net : « Le contenu — texte, image, vidéo — se prête merveilleusement aux habitudes de consommation digitale actuelles, cherchant toujours cette capacité à profiter de l’attention disponible, à générer de l’engagement. Le discours des marques devient en conséquence lui-même programmatique, prévisible. (…) Ce n’est pas une ouverture des points de vue du lectorat, c’est une restriction de la thématique pour la faire entrer dans un cadre culturel défini. »

Booster l’effet de surprise

En 2014 Harvard Business Review consacre déjà un article sur la surprise comme meilleur allié marketing. L’auteur Scott Redick y démontre la puissance et le caractère économique de la surprise via des exemples issus de recherches en neurosciences. Il s’appuie notamment sur l’expérience organisée par le psychologue Norbert Schwarz. Ce dernier avait placé une pièce de dix centimes à côté de la photocopieuse dans une entreprise ; il a ensuite interrogé un ensemble d’employés amenés à se servir de la machine en question pour étudier leurs réactions ; il a constaté que la satisfaction générale était nettement supérieure pour ceux qui avaient trouvé la pièce.

Qui plus est, la surprise modifierait les comportements et serait hautement addictive, une véritable drogue. L’auteur cite ainsi un deuxième exemple issu des recherches de scientifiques des facultés de médecine Emory et Baylor qui ont mesuré l’activité des stimuli envoyés de façon programmée ou de façon complètement imprévisible. Les stimuli imprévisibles ont activé de manière bien plus prononcée les circuits du cerveau associés au plaisir et à la récompense. « Cette zone s’est illuminée comme un arbre de Noël à l’IRM, explique le Docteur Read Montague, professeur associé en neurosciences à Baylor, ce qui nous amène à penser que les individus sont programmés pour désirer l’imprévu. » De studiostoks

Sans surprise, pas de rebond cogniftif !

La surprise inciterait donc à la mémorisation, à l’interrogation et à l’introspection. En résumé, sans surprise, pas de rebond cognitif ! Mais alors, comment une marque peut-elle faire levier sur la surprise en 2019 ? Cela peut passer par des petites choses à contre-courant : privilégier le mailing papier à l’heure où nos boîtes mails sont saturées de sollicitations digitalisées, supprimer un compte social pour réinvestir dans son owned media, créer des versions non-algorithmiques de ses contenus. Après tout, Twitter n’a-t-il pas récemment proposé pareille fonctionnalité ? Tout comme Youtube Kids et Google pour la publicité ?

Finalement, il s’agit de tirer profit du meilleur des deux mondes, comme certaines marques ont commencé à le faire. A commencer par les éditeurs de Box : Petit Ballon, Birchbox et consort envoient tous les mois une sélection surprise. Ou MasterCard et ses « Priceless surprises », Kleenex scrutant les réseaux sociaux pour sélectionner au hasard les malades qui recevront, heureux élus, un Kit de rétablissement. Un dispositif qui n’est pas sans rappeler celui de Nespresso qui proposait aux usagers d’offrir un café surprise à leurs amis ; 2h après avoir été choisie, quel plaisir pour la personne concernée de recevoir à son bureau une petite boîte livrée par coursier avec un mug, une boite de café et une plante. Le tout assorti d’un petit mot écrit à la main !

Rappelez-vous-en toujours, la force du marketing de surprise réside dans ces trois principes :

  • la capacité de proposer un concept qui différencie à la fois votre produit et votre client
  • votre aptitude à pivoter rapidement quand d’autres marques auront allégrement copié votre dispositif
  • votre aisance à redéployer votre capacité créatrice.

« Vous voyez des choses et vous vous dites : pourquoi ? Mais moi je rêve de choses qui n’ont jamais existé et je me dis : pourquoi pas ? » disait George Bernard Shaw. Libre à vous de méditer cette citation si juste … et d’en faire le mantra de votre marketing surprise ?

MD

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