Mark Zuckerberg : 5 choses à savoir, par Daniel Ichbiah
Après la publication d’un pamphlet du New York Times, Zuckerberg est plus que jamais sur la sellette. Il est accusé d’avoir minimisé l’influence des fake news et de la Russie dans l’élection de Trump, et d’avoir favorisé des campagnes de lobby pour redresser l’image de Facebook, quitte à rediriger la critique vers d’autres entreprises de la Silicon Valley. Pour Daniel Ichbiah, auteur de Mark Zuckerberg, la biographie, rien de neuf sous le soleil. Il apporte toutefois un certain nombre d’éclairages qui peuvent aider à mieux comprendre comment un indéniable génie a pu ainsi fermer les yeux durant de nombreux mois sur bien des signes alarmants.
1. Zuckerberg a longtemps minimisé le phénomène des fake news, car jusqu’alors presque tout lui avait réussi
Il est clair que Zuckerberg, dès lors que l’on a évoqué le problème des fake news a longtemps nié la chose, préférant ne pas regarder ce qui, au fil des jours apparaissait de plus en plus flagrant.
Il faut se mettre à la place des dirigeants de son calibre. Il avance, tête baissée, vers un objectif, celui de rendre Facebook ou Instagram, ses deux applications phares, toujours plus séduisantes, toujours plus conviviales. Il a battu tant de records qu’il peut entretenir l’opinion qu’il sait où il va et agit globalement pour le mieux.
Devoir s’arrêter pour réparer ce qui doit l’être, aucun homme de cette trempe n’aime cela. Ni Bill Gates (Microsoft) ni Steve Jobs (Apple) ni Larry Page et Sergey Brin de Google. Chacun d’entre eux, en son temps a nié ou refusé de voir que sa création ait pu faillir si peu que ce soit.
Ceux qui ont pu voir les retransmissions de l’audience de Bill Gates en 1998 ont soudain vu cette véritable légende, admiré de millions d’américains, tomber de son piédestal. Comme éteint, fade, mal à l’aise, l’as du logiciel se contentait de répondre aux accusations par une triste litanie : « je ne m’en rappelle pas ».
Steve Jobs, en 1984, a longtemps refusé de voir que le lancement du premier Macintosh, cet ordinateur révolutionnaire dont il avait volontairement limité les capacités par souci esthétique, était en train de mener Apple à la faillite, ni plus ni moins. Il a souvent été reproché à John Sculley d’avoir mis Jobs sur une voie de garage, l’acculant au départ en septembre 1985, mais faute d’une telle reprise en main, Apple aurait disparu.
De même en 2004, lorsque Google s’est lancé dans son opération consistant à numériser les livres de bibliothèques du monde entier – sans l’accord des éditeurs – ils ont avancé, avancé, sans prêter attention aux cries d’orfraie des éditeurs d’Europe ou d’ailleurs. Au final, la plupart ont préféré transiger avec Google que de continuer le combat.
Zuckerberg a failli pour les mêmes raisons. Il n’est pas facile d’admettre que Facebook, qui était censé connecter les gens du monde entier, cette création qui a longtemps fait votre fierté et valu l’admiration de millions de gens, vous a échappé.
Résumons les faits. Peu avant l’élection, Facebook s’est vu accusé d’avoir indirectement favorisé Donald Trump, en facilitant la diffusion à grande échelle de fake news anti Hillary Clinton.
Initialement, Zuckerberg s’est employé à minimiser la chose, affirmant que les utilisateurs de Facebook savaient faire la part des choses. Le 19 novembre 2016, dix jours après l’élection de Trump, Barack Obama lui-même a même tenté d’amener Zuckerberg à prendre conscience des effets de cette propagande anti-Hillary Clinton que Facebook avait aidé à propager. Il n’a pas voulu y donner écho.
La prise de conscience a été lente et progressive. C’est n’est qu’en février 2007, qu’il a reconnu que le réseau social avait été utilisé à des fins qu’il réprouvait personnellement – Zuckerbergr n’a jamais caché par ailleurs son hostilité à Trump.
« Nous savons que de la désinformation et des ‘hoax’ (canular) de grande ampleur existent sur Facebook et nous prenons cela très au sérieux. »
Toutefois, Zuckerberg voulait encore croire que globalement, l’atmosphère était au beau fixe.
« Dans une société libre, il est important que les gens aient le pouvoir de partager leurs opinions, même si d’autres pensent qu’ils ont tort. »
Il affirmait aussi que la chose était prise en compte, et pas à petite échelle.
« Nous examinons plus de 100 millions de contenu chaque mois et même si nos investigateurs gèrent correctement 99 % d’entre eux, cela représente encore des millions d’erreurs sur la longueur. N’importe quel système fera tôt ou tard quelques erreurs. »
Toutefois, les preuves ont continué de s’accumuler. Dès l’automne, la révélation des fake news opérées depuis un immeuble russe a rendu l’opération indéniable. Il a été alors forcé de reconnaître que Facebook avait vendu - sans qu’il en soit lui-même informé - pour 100 000 dollars d’espaces publicitaires, à plus de 400 comptes factices émanant d’une officine de Saint-Pétersbourg. Zuckerberg dira alors : « C’était dédaigneux de ma part [d’ignorer cela] et je le regrette. C’est une question trop importante pour la prendre avec dédain.»
Et puis, au printemps 2018, il y a eu l’affaire Cambridge Analytica. Il est alors apparu que la créature du génie avait clairement échappé à celui-ci. Et qu’il lui faudrait désormais travailler dur pour redresser l’image de Facebook…
2. Son ambition majeure (être le plus grand philantrophe de la planète) l’a empêché de prendre la mesure des événements
L’une des raisons qui a pu expliquer la cécité de Zuckerberg sur les affaires telles que les fake news et Cambridge Analyta, c’est que, depuis cinq années environ, il a élargi à très grande échelle son rôle et envisage son futur, bien au-delà de Facebook, comme un philantrophe à grande échelle.
C’est peu après la naissance de sa fille Maxima que Zuckerberg l’a annoncé : il compte distribuer 99 % de sa fortune à des fins humanitaires !
Très tôt, il a été clair, au travers de son mode de vie ‘minimaliste’ que Zuckerberg n’était pas motivé par l’argent. Et au fil des années, il est apparu qu’il comptait dédier cette fortune à pouvoir influencer le monde positivement. Il pourrait être tenté par une carrière gouvernementale. S’il est jamais élu à la présidence américaine (ce qui n’est pas inenvisageable même si l’argumentaire serait trop long à développer ici), il se situerait à l’opposé de Donald Trump sur l’échiquier politique.
Le modèle de Zuckerberg ce ne sont pas les grandes réussites financières américaines telles que Warren Buffet, les Bill Gates ou encore la famille Walton (qui gère la chaîne Wal-Mart). Dans son panthéon, on trouverait davantage des gens comme Gandhi, César Chavez, Kennedy ou Mandela. Des personnalités qui ont marqué l’Histoire et dont les peuples ont conservé une mémoire affectionnée.
Comment cela se traduit-il pour Zuckerberg ? Notamment par une volonté, au travers de sa fondation, de pouvoir éradiquer toutes les maladies existantes, grâce à une analyse de l’ADN et la possibilité de prévenir les infections avant même qu’elles ne se produisent.
S’il est un aspect qui fait de Zuckerberg un personnage hors du commun, c’est clairement celui-ci. Dans le même temps, cette prise de hauteur l’a probablement éloigné des réalités du quotidien de Facebook et amené à négliger les signes alarmistes que pouvaient brandir certains de ses lieutenants.
3. Il a longtemps snobé la publicité
Aux débuts de Facebook, en 2004, Eduardo Saverin, qui avait investi 1 000 dollars pour payer les serveurs hébergeant le site, a commencé à démarcher diverses firmes afin qu’elles affichent des publicités sur les pages.
Au départ, Zuckerberg a vu cela péjorativement et s’est même montré gêné. Mal à l’aise, il va jusqu’à poster un texte disant qu’il n’apprécie guère ces publicités mais que « elles nous permettent de payer les factures ».
Quelques mois plus tard, Saverin a suggéré une mise à jour : il voulait que, lorsque l’on demande à un autre d’être son ami, la réponse ne soit pas instantanée, et que Facebook affiche une publicité à l’utilisateur. Zuckerberg s’est déclaré outré par cette proposition.
Par la suite, lorsqu’il a été suggéré d’afficher des publicités ‘pop-up’ comme on en voit fleurir sur d’autres sites, il y a mis son veto : elles ont pour défaut de recouvrir temporairement l’écran. Et presque chaque fois qu’il lui était proposé d’ajouter davantage d’espace pour la publicité, il s’y est opposé.
Pourtant, au fil des années, Zuckerberg a dû se rendre à l’évidence : il lui fallit faire avec la publicité. C’est ce qui l’a amené à devenir de plus en plus leste au niveau de la vie privée, car il a réalisé que les données individuelles servaient d’appât auprès des annonceurs en leur offrant un ciblage ultra précis.
En 2008, première évolution, Zuckerberg embauche Sheryl Sandberg, l’une des artisanes du succès de Google avec leurs mots-clés publicitaires. Pourtant, il n’est pas encore totalement acquis à la cause.
Il faudra attendre 2012, pour que les responsables de la publicité, alors relégués dans un bâtiment externe au building directorial, acquièrent une vraie reconnaissance et rejoignent enfin le ‘saint des saint’.
Entre temps, Facebook a fait une entrée en Bourse médiocre : le cours n’a quasiment pas monté entre l’heure de sa mise sur le marché et la clôture.
Cette entrée en Bourse cafouilleuse, a produit un changement net en interne. A partir de là, les revenus publicitaires ont été placés au centre des préoccupations. Les responsables de la publicité jusqu’alors logés dans un bâtiment annexe ont pris du galon et œuvrent désormais à proximité de la direction.
« Quoi que vous fassiez, vous devez avoir en tête qu’il y a des clients » est devenu le nouveau crédo.
Jusqu’alors, la publicité était affichée dans une colonne sur le côté. A partir de 2012, elle a été incluse dans le Fil d’Actualité, devenant ainsi visible sur tous les supports, mobiles compris.
4. Les ‘GAFAs’ sont une création des médias. Dans la réalité, ce sont des concurrents redoutables qui ont tous recours au lobby, aux campagnes de presse, pour déstabiliser leurs concurrents.
Il est courant pour nous de désigner les 4 géants de la high tech (auquel il faudrait idéalement ajouter Microsoft dont on pourrait, à tort, négliger l’influence actuelle), comme les GAFAs, une entité globale, une sorte de mouvement né à la Silicon Valley, avec des pratiques et des intérêts communs.
Dans la réalité, il n’en est rien. Google, Apple, Facebook et Amazon sont des compétiteurs de tous les instants. C’est particulièrement vrai pour Google et Facebook qui sont dans une lutte permanente pour être le n°1 d’Internet. Dans la réalité, Google est n°1 sur les ordinateurs, mais Zuckerberg, dans la mesure où il possède non seulement Facebook mais aussi Instagram et Whatsapp, est le n°1 de la téléphonie mobile.
Le New York Times reproche à Zuckerberg d’avoir mené des campagnes de lobbying auprès des sénateurs et députés américains ? La belle affaire. A en croire le témoignage de Marylène Delbourg Delphis, une investisseuse française émigrée en Californie, interviewée lors de l’enquête mené pour ma biographie de Zuckerberg : “toutes les grandes firmes de high tech embauchent des politiques, d’anciens conseillers à la présidence et autres politiques, pour pousser leur propre message auprès de la Chambre des Députés.” Il y a là un passage obligé.
Microsoft a été l’un des premiers à comprendre qu’il fallait en passer par là : en 1994, Bill Gates avait commis l’exploit consistant à se mettre à dos aussi bien les Démocrates que les Républicains – plutôt bien inclinés envers Microsoft à l’époque. A cette époque, il lui avait fallu atterrir et prendre la mesure de la chose. Et donc Microsoft a loué un bureau dans la ville de Washington et entamé des manoeuvres de lobbying. Son exemple a été largement suivi.
Dans un même ordre d’idée, les cadres des GAFAs n’hésitent pas à égratigner un concurrent dans la presse. Tout cela relève de cette approche ultra-compétitive.
Ainsi, l’article du New York Times cite Tim Cook, PDG d’Apple clamant : “Pour nous, la vie privée est un droit de l’homme.” En réalité, Cook se donne un peu vite le beau rôle. Suite aux révélations de Snowden, il est apparu que chaque géant de la Silicon Valley faisait les yeux doux au renseignement américain en leur ouvrant les robinets de leurs données. Si Google a précédé Facebook de quelques mois en 2009, Apple a suivi en 2012. Aucune des grands noms de la high tech ne peut s’affirmer blanc neige dans la question.
Les campagnes de presses organisées pour déstabiliser un concurrent font partie d’un arsenal depuis longtemps éprouvé. Dans mon livre, je consacre plusieurs pages à l’une de ces affaires, intervenue en 2011, dans laquelle Facebook a lancé une campagne en sous-main contre Google – qui venait de lancer son réseau social concurrent, Google+ - et s’est fait prendre la main dans le sac.
Bref : Yahoo!, Google ou Apple ne sont pas plus blancs que Facebook-Zuckerberg.
En réalité, s’il y a tout de même un point troublant, c’est qu’il est courant pour Zuckerberg de se faire prendre pour les autres !
Cela rappelle un peu le temps où au lycée, plusieurs élèves montaient une blague contre le prof et un seul se faisait prendre pour toute la classe. Il semble que ce rôle revienne souvent à Zuckerberg...
5. Il a une notion discutable de la vie privée
On a souvent reproché à Zuckerberg de traiter notre vie privée avec une certaine désinvolture...
C’est à partir de décembre 2009 que ce problème est devenu aïgu. C’est à ce moment que Zuckerberg a modifié les réglages de vie privée. Auparavant, seuls nos amis pouvaient voir ce que nous postions. A partir de décembre 2009, tout est devenu public. Tout est devenu visible par tous, y compris ce que nous avions pu poster avant cette date – à moins d’intervenir dans les réglages de Facebook, ce qui est une affaire complexe.
Cette mise à jour a provoqué un tollé, mais Zuckerberg a encaissé les critiques, et n’a pas bougé. Le problème, c’est que nous ne pouvons rien imposer à un service gratuit. Personne ne nous oblige à utiliser Facebook. Et donc, il considère aisément que nos données privées constituent un échange correct pour les millions de dollars dépensés par Facebook pour gérer ses serveurs, en assurer la maintenance, programmer le site, etc. Et entre nous : utiliserions-nous Facebook si ce service était payant.
Les abus ont été nombreux. Et le scandale Cambridge Analytica n’a été que la partie émergée d’un iceberg profond – d’autant que cette app particulière n’était pas gérée par Facebook, elle a avant tout abusé de la confiance des utilisateurs de cette app.
Pourtant, cette désinvolture sur la vie privée a pour pendant une omerta sans précédent pour ce qui est de la vie de Zuckerberg et de Facebook. Ainsi, rien n’a filtré des réunions hebdomadaires qu’il tient avec ses employés. Sauf une seule fois, en 2015. Et le coupable a été viré dans la semaine !
Moi-même, en tant qu’auteur, je n’ai jamais eu autant de difficultés pour rencontrer et faire parler des gens d’une entreprise.
Zuckerberg lui-même semble avoir à coeur de protéger sa propre intimité. Ainsin le 26 juin 2016, nous avons appris qu’il était en train de faire bâtir un mur de 2 mètres de haut autour de sa propriété qui donne sur l’océan à Hawaii. Au risque de soulever l’ire de ses voisins. Motif officiel : réduire le bruit extérieur.
Les résidents se sont plaint de ce que le mur allait leur bloquer la vue et aussi la brise venant de l’océan dont ils profité durant tant d’années. « Ce mur est une tache envers la beauté naturelle de ces lieux. » Certains ont tout de même fait remarquer que la sécurité avait dû jouer un rôle. A Hawaii, toutes les plages sont ouvertes au public ce qui signifie que n’importe qui pourrait rejoindre la propriété par le bord de mer.
De même, lors de l’audition devant le Sénat Américain, Zuckerberg a semblé mal à l’aise face à la question : “Aimeriez-vous que l’on sache dans quel hôtel vous êtes descendu ?” Il a bien évidemment répondu par la négative.
Officiellement, Zuckerberg entend corriger ces erreurs de parcours, mais il reste que son modèle économique dépend du fait de savoir au plus près ce que nous aimons, ce que nous faisons, ce que nous achetons...
Le scandale Cambridge Analytica a-t-il fait comprendre au créateur de Facebook que la vie privée n’est pas une notion ancienne qui n’a plus cours ? On aimerait y croire, mais seul l’avenir nous le dira.
Daniel Ichbiah
Mark Zuckerberg, la biographie :
https://ichbiah.com/mark-zuckerberg.htm
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