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Facebook dans la tourmente : faire pivoter son modèle économique ?

Credit Shutterstock Lenka Horavova

Alors que l’affaire Cambridge Analytica bat son plein, que le mouvement #deletefacebook incite les internautes à quitter la firme, que des personnalités aussi emblématiques que Elon Musk ont d’ores et déjà publiquement annoncé avoir fui la plateforme de Marck Zuckerberg, que ce dernier multiplie les excuses publiques pour tenter de neutraliser la tempête médiatique et économique qui le frappe, c’est une crise bien plus profonde, plus structurelle et plus durable que nous voyons se profiler : celle du modèle économique de Facebook et de ses semblables. Un décryptage signé Marie Dollé.

 

Sauver les meubles

Ah la gratuité ! Faut-il le rappeler, Facebook et plus généralement l’ensemble des réseaux sociaux n’ont jamais été véritablement gratuits pour les utilisateurs. Lorsqu’on renseigne sa page Facebook, ce n’est ni plus ni moins que sa propre fiche produit qu’on complète. Plus on indique d’informations sur soi, sur sa situation familiale ou sur ses loisirs, plus Facebook (voire des applications tierces…) va collecter ces données pour anticiper les comportements et cibler les publicités. On accepte – sans forcément en avoir conscience – d’être pisté, tracé, traqué.

 

Certains rétorqueront que ce procédé permet d’adapter la publicité à l’utilisateur, l’intérêt du « people-based marketing » étant justement de pouvoir harmoniser l’offre, le message publicitaire et l’environnement. Mais pour beaucoup, cette technique soulève des questions de protection de la vie privée : plus la dimension de personnalisation est poussée, plus elle en devient intrusive. Et les derniers scandales autour de la mauvaise gestion des données des utilisateurs par Facebook ont mis en lumière d’eventuelles « failles du système ».

 

Reste à savoir si Zuckerberg va pouvoir neutraliser ces failles et solutionner ce problème de fond, comme il l’annonce actuellement dans les média. Pour tenter d’endiguer cette crise sans précédent, le fondateur de Facebook vient de décréter une série de mesures contre l’abus de données, une politique de clarification de l’information à destination des usagers, l’étude des applications ayant pu avoir accès à une grande quantité de données avant 2014 ainsi qu’un audit des « applications présentant des activités suspectes » ; il se dit aussi prêt à récompenser les personnes signalant des vulnérabilités sur sa plateforme.

 

Se métamorphoser pour survivre

 

Question : ces dispositions seront-elles suffisantes ? Rien n’est moins sûr à quelques mois de l’entrée en vigueur du très européen Règlement pour la Protection des Données - RGPD pour les intimes - qui revendique pour objectif de redonner à l'utilisateur le contrôle de ses données personnelles. Avec ce nouveau dispositif légal, c’est tout le modèle économique de Facebook qui est remis en question, comme du reste celui d’autres réseaux sociaux.

 

S’il veut survivre, le réseau Facebook n’a pas d’autres choix que de positionner ses utilisateurs comme des clients et non plus comme des produits. C’est du reste ce que comptait faire Zuckerberg lorsqu’il avait annoncé en début d’année sa volonté de « réparer Facebook ». Cela passait notamment par les différents tests sur le fil explorer, qui devaient permettre de séparer les activités des amis et celles des marques et donc d’effectuer un recentrage vers la famille et les proches en mettant en avant les « posts significatifs » au détriment des contenus publics jugés moins pertinents.

 

A croire qu’il avait senti le vent tourner ? L’expérience a pourtant tourné court, Facebook a finalement rebroussé chemin, annonçant la chose via un communiqué de presse. Faut-il en déduire qu’il est enferré dans son modèle comme dans une impasse ? Ce serait sous-estimer la capacité de la firme de Menlo Park à renaître de ses cendres, comme elle l’a prouvé à maintes reprises auparavant. C’est que Facebook a bien changé depuis ses débuts. Véritable conglomérat tech, le groupe de Marck Zuckerberg est aujourd’hui bien plus qu’un réseau social ; et sa politique de diversification pourrait bien déverrouiller la situation.

 

Rééquilibrer les sources de revenus ?

En effet, à ce jour, 98% du chiffre d’affaires de Facebook repose sur de la publicité ciblée. Difficile dans ces conditions d’imaginer sa totale disparition ; quant à sa transformation, c’est autre chose. Google n’a-t-il pas récemment annoncé travailler sur des publicités à l’ancienne, non-personnalisées, et qui n’utilisent donc pas les données personnelles ? De quoi réjouir les adeptes du « zéro tracking » !  Reste toutefois à déterminer si le problème découle de l’utilisation (abusive) des données personnelles ou de manière plus globale de la publicité elle-même. Après tout, les consommateurs expriment un sentiment de rejet de plus en plus marqué…

 

Autre option envisageable pour Facebook : la multiplication de services à haute valeur ajoutée associés à la plateforme. Marck Zuckerberg a investi dans les droits sportifs (Major League Soccer et Major League Baseball), ou dans le contenu premium à la demande avec des valeurs de production de très grande qualité - prétendument comparables à celles de HBO et de Netflix.  Ces orientations trahissent une volonté forte d’apporter plus de loisirs et surtout de qualité à ses audiences. En d’autres termes, il s’agit d’augmenter la valeur du service avec des fonctions spéciales.

 

Si, à première vue, on aurait pu croire que c’était là un moyen de renforcer le temps passé sur la plateforme pour mieux servir de la publicité, il se pourrait que ce soit en fait une autre stratégie qui se dessine, l’opportunité à terme de valoriser un abonnement destiné aux utilisateurs, façon Netflix ou Amazon Prime. Et par la même occasion d’échapper à une offensive de l’Union Européenne qui entend taxer les recettes publicitaires des groupes tirées des données de leurs utilisateurs et exempter les entreprises dont le « business model » repose sur les abonnements, comme Netflix, ou celles qui gagnent de l'argent grâce au e-commerce, type Amazon.

 

 

Changer les mentalités

 

L’idée peut sembler incongrue, les usagers déclarant vouloir un environnement moins publicitaire – voire tout bonnement sans publicité - alors qu’ils sont rarement prêts à payer pour cela…. Mais le contexte actuel pourrait faire changer les mentalités.

 

Une chose est certaine : à l’heure où les faits erronés, hoax, fake news et autres infos mensongères, prolifèrent à qui mieux mieux et qu’une une crise de confiance d'envergure s’installe pour fuite et abus d’exploitation de données personnelles, le modèle même des réseaux sociaux doit changer. Avec ou sans abonnements, ces derniers n’auront d’autre choix que de modifier en profondeur leur modèle économique.

 

Car au-delà de cette crise, les réseaux sociaux vont devoir gérer une menace tout aussi importante, une concurrence d’un genre nouveau : désormais, les marques créent leurs propres réseaux sociaux, des entreprises intègrent des composantes sociales dans leurs produits. Des enseignes comme Amazon ont lancé un réseau social dédié aux utilisateurs prime, des outils comme Howtank ou TokyWoky permettent d’intégrer des conversations sociales sur un site de marque. Voici qui constitue une rivalité de taille, qui prend un visage inattendu et définit les enjeux à venir pour les réseaux sociaux traditionnels.