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Frédéric Bellier (RadiumOne) : la publicité doit entrer dans l’ère de l’attention

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Frédéric, où va la pub ?

Pendant longtemps, l’efficacité financière a dominé la publicité. Google a ouvert la voie en montrant que tout était mesurable bien mieux que sur les médias traditionnels, trop, diront certains.

Même TF1 s’est rapidement senti dans l’obligation de prouver sa capacité à aider les marques à multiplier les palettes de leurs produits dans la distribution. Avec la multiplication des écrans, l’impératif de la mesure s’est ancré dans nos têtes. Le tracking tous azimuts a créé autant de complexité qu’il a apporté de solutions. Il a fallu apprendre à gérer la gestion de la mesure…

En face, les tenants de la marque et autres créatifs ont violemment réagi : la mesure est devenue à leurs yeux un poison. Ils ont surjoué le rôle de la créativité, et ont volontiers prôné le principe de l’art pour l’art.

Dans les organisations, un fossé s’est creusé entre les équipes de performance marketing et les équipes marque liées au branding. Les profils se sont radicalisés dans leurs différences et incompatibilités. Une opposition s’est instaurée, une ligne de fracture s’est dessinée. Beaucoup ont pensé que les hommes et les femmes de la performance allaient prendre le dessus. Or, la valeur d’une marque est dans la perception de son sens et son utilité.

Disons-le : nous sommes au bout d’une logique. Le modèle du tout-mesure ne marche pas, il n’est pas suffisant. L’industrie de la « pub » est une industrie basée historiquement sur la subjectivité. Cette subjectivité n’est valide qu’au niveau de la création du message, pour sa planification, sa distribution, son ROI. Elle se doit d’être totalement objective, au risque d’être dévorée à terme par les géants du numérique et les sociétés de conseil.

 

Va-t-on vers un retour en force du branding et de la créativité ?

Dans nos pays occidentaux, la croissance n’est plus que de 1 à 1,5 % par an en moyenne. Certains secteurs comme les produits de grande consommation ou la banque se situent même sous ce niveau. Les acteurs économiques en sont réduits avant tout à maintenir des parts de marché. On manage le « churn », on cherche à défendre des parts de marché ou à renouveler sa part de marché sur un segment d’audience et de consommateur.

Il n’y a jamais eu autant besoin de valeurs, de justesse et de sens.

Le branding, l’engagement joue donc un rôle majeur : il faudra apprendre à évaluer sa contribution dans les ventes. Le haut et milieu du « funnel » doivent être objectivisés, et l’obsession des moyens et ressources investis sur le lower funnel est un signe de la non-qualité du marketing d’une marque. L’inflation des ressources investies sur le reciblage des clients et des prospects chauds est une perversion, car c’est un sujet facile à maîtriser et à caler désormais.

 

Doit-on cesser pour autant de parler de performance marketing ?

Par un phénomène classique de balancier, les professionnels comme les consommateurs sont plus que jamais dans la recherche de sens. Cela passe sans doute par une réconciliation du branding et de la performance.

Une notion émerge : la brandformance, c’est l’alliance du branding et de la performance.

Il faut en effet parler moins, mais mieux, et c’est précisément le rôle du branding. Il faut parler moins et juste, et c’est faire de la brandformance. Utiliser les méthodes et moyens du « lower funnel » pour les concentrer sur le « mid-upper funnel ». Inversement, il faut s’inspirer des outils qualitatifs du branding pour moderniser le performance marketing qui est totalement archaïque et « bas de plafond ».

 

Concrètement, quelles sont les bonnes pratiques ?

Certaines marques sont aujourd’hui très avancées, comme SFR-Numéricable, le groupe Renault-Nissan, Microsoft. Certaines industries sont en revanche en retard, comme la banque en France, et l’impact des fintech sera plus rapide qu’on ne le pense. La disruption est proche pour certains secteurs, et elle viendra comme dans l’automobile, d’acteurs exogènes. La disruption c’est de manager, non pas l’organisation sur la connaissance, mais sur l’ignorance. Apprendre à gérer son adaptabilité à l’ignorance.

Prenons le cas des telcos.

On est face à un oligopole de quatre acteurs, le taux d’équipement est très élevé. Une offre doit être impactante très rapidement, le secteur des télécoms est soumis à une Loi de Moore du marketing et des services. La 4G est à peine lancée que les acheteurs doivent déjà préparer l’offre suivante. C’est un marché de gestion du « churn » où la brandformance  est la clé.

Microsoft dispose d’une très large gamme de produits, qui va des smartphones au cloud. C’est une marque redevenue « cool » à tout point de vue. L’entreprise est sur un secteur en innovation permanente. La marque Microsoft a réussi à redevenir cool, moins menaçante que Google, Facebook ou Amazon. Microsoft réussit sur des marchés où elle n’était pas ; pour s’en convaincre, il suffit de penser à des produits comme Surface ou Lumia, ou encore à des événements comme les Tech Days que les communautés geeks et informatiques plébiscitent.

Le marketing doit gagner en efficience sur l’ensemble des leviers et du funnel. La technologie est là à son service. Il doit reposer sur une vision full funnel. Dans le cas des entreprises citées, la data est gérée très intelligemment, bien au-delà du faux débat actuel très franco-gaulois surfant sur la paranoïa du : « où repose votre data ? ». Bruxelles, Berlin et les États-Unis sont en train de s’entendre et d’avancer d’un pas vers l’autre. Un vendeur de techno qui vous dit qu’il vous protégera contre une menace que vous ne comprenez pas est un loup pour vous. Méfiance ! derrière l’ami se cache le piège de l’obsolescence de votre marketing. En RTB, ces entreprises citées en sont déjà à l’étape 2.0. Leur publicité est gérée en fonction du client, totalement user-centric, elles savent comment lui parler, elles savent si l’individu ciblé va churner, scorer sa « life-time value », ou si c’est un nouveau client ou prospect chaud dans leur message dynamiquement. Elles ont mis en place des scorings précis, tant au niveau de l’upper funnel que du lower funnel. En fonction du scoring attribué au prospect, ces marques établissent une scénarisation sophistiquée alliant humain et technologies. On entre dans l’ère du display CRM-PRM.

Elles sont parvenues à se doter d’une vision globale, qui n’est pas éclatée par leviers en autant de budgets distincts. Elles ne raisonnent plus en silos, elles ont mis en place un système d’opération marketing « marketing OS ». La vision obsédée par la mauvaise mesure du last-click digital, qui a prédominé pendant dix ans, entre 2003 et 2013, a été dépassée par ces marques.

Ces marques ont su réconcilier les départements au sein de l’entreprise, et au sein même de la direction marketing. Un cas exemplaire est le groupe SFR-Numéricable qui avait chroniquement une opacité dans l’agrément de marque, mais avait acquis un très bon niveau en marketing de la performance : l’opérateur sait désormais très bien allier branding et performance.

 

Du coup, qu’est-ce qu’une bonne pub ?

Il y a, en première approche, deux manières de décrire ce qu’est une bonne pub :

– c’est une pub qui fait passer un bon moment ;

– c’est une pub qui est juste (Domino’s Pizza avant un match de foot sur TF1 n’a pas pour vocation à être, en tant que tel, un bon moment, mais elle passe au bon moment).

Une bonne pub est surtout une publicité adaptative, pas seulement eu égard aux différents types et tailles d’écran. Elle doit également pouvoir s’adapter aux utilisateurs, elle doit me parler de manière pertinente, ici et maintenant. La publicité doit entrer dans l’adaptative marketing, dans une approche d’attention résolument consumer centric.

Rappelons qu’une marque doit émerger dans un contexte de surexposition :

– en radio, un individu est exposé à moins de 25 spots par semaine ;

– en télé à 15 spots par semaine ;

– dans le digital à 2 500 ou 3 000 objets publicitaires par mois (Comscore Global).

La pub se doit donc, à tout le moins, d’être indolore. Et c’est tout à fait possible. Qui aurait dit, il y a quinze ans, qu’un jour arriveraient les voitures sans conducteur et non polluantes ?

Il est vrai, l’industrie de la publicité est très conservatrice à sa façon, dans tous les pays, bien plus que le secteur de l’automobile ou des cosmétiques. Les professionnels disposent de tous les outils et toutes les méthodologies pour améliorer considérablement la publicité, on y est presque ! Mais majoritairement l’industrie ne veut pas mettre en œuvre ces nouveaux moyens de manière massive, elle préfère camper sur ses positions. Le mélange des madmen et mathmen est encore trop limité. La France est un paradoxe. De culture rationnelle, notre marché est très rationnellement capable de justifier la justice comme l’injustice.

 

Le mobile est-il compatible avec la publicité ?

En France, le mobile est en passe de devenir le principal écran média. Cette donnée à elle seule suffit pour comprendre la disruption en cours dans les agences créa et média : elles devront désormais composer avec un petit écran. Le mobile sera demain le principal support de la télévision connectée.

La télé n’est pas morte, la pub ne sera pas morte. Elle l’est sur le mobile si elle ne change pas. Il faudra endurer beaucoup de douleurs pour changer, et plus on attendra, plus ce sera une souffrance. On est sur l’achat média mobile à l’ère de l’adnetwork des années 2005 sur le desktop, et les deux acteurs hégémoniques sont en train de tout rafler outrageusement, avec des arguments pour l’un très friables.

Cette disruption à venir constitue une opportunité pour mettre en pratique l’adaptative marketing. Le mobile est le terrain idéal. Penser « mobile-first » a contrario du « mobile-only », cela veut dire créer ou entrer dans la conversation, cela veut dire penser en termes de touchpoints et du bon moment de prendre la parole.

Pour réussir dans le mobile, des acteurs de la publicité doivent disparaître (ex. : Millenial), d’autres doivent être médiateurs du juste – les agences, les acteurs réellement technologiques ? – et tirer le marché vers le haut pendant quelques années de rigueur et de probité.

Chez RadiumOne nous n’achetons pas de bannières sur smartphone ni sur tablette. La bannière est bannie.

Nous pratiquons un seul format sous forme d’interstitiel vidéo ou natif, très cappé par device et géolocalisé par défaut. L’opt-in n’est pas encore une réalité, mais nous sommes dans une logique triple :

– les formats s’adaptent tant à l’écran ;

– le contenu du message s’adapte au contexte dans lequel se trouve l’utilisateur ;

– less is more dans le temps et l’espace.

En fait, le mobile se pense et se déploie dans l’espace (écran réduit), mais surtout dans le temps de la conversation avec l’utilisateur et le lieu du moment.

La data permet de comprendre dans quel contexte on doit et on s’adresse à l’utilisateur. On sait par exemple qu’un consommateur localisé dans un centre commercial Unibail, se trouve dans un lieu de consommation. Quand il est dans le métro, il sera davantage dans la recherche d’informations le matin, et de divertissements ou de services le soir. À chaque fois, on peut et on doit s’adresser à lui de manière spécifique. À domicile, son mobile s’interface avec d’autres écrans. Seul un acteur d’une plateforme intégrée integrated stack peut assurer cette agilité. Il s’agit donc bien d’une relation bidirectionnelle, autrement dit d’une conversation attentive.

 

Comment interpréter la crise de l’adblocking ?

C’est l’empire du low cost, notamment l’univers des adnetworks incapables de s’autocensurer, qui a mené à la crise de l’adblocking. Trop d’acteurs sont dans l’innovation de rattrapage et trop peu sont dans l’innovation réelle à la frontière. Pour un CMO, c’est aujourd’hui une cacophonie ou le prisme reste un joli Powerpoint présenté par un pote expert.

Cela étant, la crise des adblockers est un signal pour toute l’industrie, y compris la pub off line. L’adblocking a « ubérisé » Médiamétrie, c’est l’outil ultime de mesure de l’efficacité publicitaire et de l’audience touchée.

Les adblockers sont un indice de mesure majeur, en l’occurrence l’acceptation (ou le rejet) de la publicité. Ils concurrencent Médiamétrie et Google Analytics.

Cette crise renforce la nécessité du sens et du juste, ce qui ne veut pas dire pour autant tomber dans l’angélisme créatif. Je ne crois pas au gourou du marketing de l’attention ou des « théories Carambar » l’engagement des hipsters égotiques des réseaux sociaux. La mission de Kellogg’s est de vendre des produits alimentaires et celle de Peugeot de vendre des voitures : ne soyons pas hypocrites. Leur mission n’est pas de service public, et le point de vente est le centre de tout ! Le directeur marketing a des objectifs à atteindre, dans un contexte de contraintes budgétaires, concurrentielles et de tensions internes sur les métiers. La fonction marketing est une variable d’ajustement financière pour les actionnaires.

En fait, l’adblocking est un élément extérieur au marché (contrairement à Médiamétrie ou à Google Analytics), tout comme AirBnB, BlaBlaCar ou Tesla le sont dans les secteurs qu’ils transforment. L’adblocking apporte une objectivation que le marché de la pub n’avait pas, à la différence des salles de marché qui doivent, elles, compter avec des instances de contrôle.

Très clairement, l’adblocking sanctionne une vision restrictive et univoque des publicitaires qui ne voient dans l’humain qu’un consommateur ou, pire, qu’un porte-monnaie à cibler.

Il serait erroné de voir dans la technologie et l’intelligence artificielle de simples moyens pour aider la marque à prendre le pouvoir sur le consommateur. Le consommateur devient frugal, l’innovation publicitaire sera elle aussi frugale. J’invite à lire Navi Radjou pour des « tips ».

Cela étant, la crise des adblockers est un signal pour toute l’industrie, y compris la pub off line. L’ad-blocking a ubérisé Mediamétrie, c’est l’outil ultime de mesure de l’efficacité publicitaire et de l’audience touchée.

Les adblockers sont un indice de mesure majeur, en l’occurrence l’acceptation (ou le rejet) de la publicité. Ils concurrencent en tant quel Médiamétrie et de Google Analytics.

Cette crise renforce la nécessité du sens et du juste, ce qui ne veut pas dire pour autant tomber dans l’angélisme créatif. Je ne crois pas au gourou du marketing de l’attention ou des théories « Carambar » l’engagement des hipsters égotiques des réseaux sociaux. La mission de Kellogg’s est de vendre des produits alimentaires et celle de Peugeot de vendre des voitures : ne soyons pas hypocrites. Leur mission n’est pas de service public et le point de vente est le centre de tout ! Le directeur marketing a des objectifs à atteindre, dans un contexte de contraintes budgétaires, concurrentielles et et de tensions internes sur les métiers. La fonction marketing est une variable d’ajustement financière pour les actionnaires.

En fait, L’adblocking est un élément extérieur au marché (contrairement à Médiamétrie ou à Google Analytics), tout comme AirBnB, BlaBlaCar ou Tesla le sont dans les secteurs qu’ils transforment. L’Ad-Blocking apporte une objectivation que le marché de la pub n’avait pas, à la différence des salles de marché, qui doivent elles compter avec des instances de contrôle.

Très clairement, l’adblocking sanctionne une vision restrictive et univoque des publicitaires qui ne voient dans l’humain qu’un consommateur, ou pire qu’un porte-monnaie à cibler.
Il serait erroné de voir dans la technologie et l’intelligence artificielle de simples moyens pour aider la marque à prendre le pouvoir sur le consommateur. Le consommateur devient frugal, l’innovation publicitaire sera elle aussi frugale. J’invite à lire Navi Radjou pour des “tips”.

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