« Les données sont indispensables au marketing online ». Une lapalissade pour de nombreux professionnels. Personne n’imagine le marketing digital sans la data. Et pourtant, la menace est bien là. Si les consommateurs ont jusqu’à présent largement partagé leurs données – souvent à leur insu –ils ne sont plus dupes. Mais sans moyen de contrôler facilement ce qu’ils partagent, ils sont en train de couper complètement le robinet qui alimente le marketing en ligne, et plus largement les revenus de tout un écosystème qui est peut-être allé trop loin. A lui désormais de trouver les solutions pour aboutir à un partenariat gagnant-gagnant avec le consommateur.
La data : une arme indispensable au marketing online
La data est au web analyst ce qu’une carte est à l’explorateur : un outil pour se repérer et déceler des merveilles.
Si le marketing offline utilisait déjà largement les données, le marketing online, c’est de la data à tous les plats : l’entrée (le média), le plat (les parcours clients) et le dessert (le marketing relationnel). On parle de ciblage, gestion d’audiences, personnalisation, retargeting, etc. pour augmenter reach, taux de conversion, fidélité et rétention, en diminuant churn, rebonds et dépenses.
Les Directions Marketing l’ont bien compris et deviennent de plus en plus technologiques. Une étude Gartner a montré que 30% du budget marketing était affecté aux technologies :
Digital technology budgeting from the marketing perspective, Gartner, Sept. 2014
Les promesses sont telles que les nombreux éditeurs de technologies data marketing lèvent de l’argent à tour de bras, y compris en France où les investisseurs sont réputés prudents. Pour citer les plus récents : iAdvize vient de lever 14 millions d’euros, Ysance 5 millions, etc. Chaque semaine ou presque est l’occasion d’une nouvelle annonce.
Mais l’orage gronde et des signes de plus en plus inquiétants font douter de la pérennité du flux de données qui alimente l’écosystème.
Les consommateurs méfiants ou agacés coupent le robinet des data sans demi-mesure
La méfiance des consommateurs au regard de la data est en hausse
Dans un premier temps sans en avoir conscience, les visiteurs ont confié leurs données aux marques en ligne. Elles s’en sont servi et ont fait des erreurs, que le consommateur a bien vues.
Qui possède quoi sur moi ? Comment sont utilisées mes données ? Comment reprendre la main ? Ces questions restant sans réponses, le consommateur a développé une méfiance autour des données. Plusieurs études le montrent, et pour n’en citer que deux :
- Microsoft a montré (1) que 51% des internautes Français étaient des « néophytes méfiants » en matière de partage de données.
- ETO Publicis, dans son baromètre 2015 (2), montre que la perception de l’intrusion s’amplifie.
Indiquez à quel niveau d’intrusion dans votre vie privée se situent les marques et les enseignes. (Très élevé correspondant au niveau maximum de l’intrusion).
Les visiteurs sont passées de la navigation privée, suppression des cookies et opt-out …
La navigation privée a été la première arme du consommateur méfiant. Elle a été régulièrement mise en avant par les marques elles-mêmes et les acteurs du marché, tant elle est légitime.
Nous faisons souvent le rapprochement entre navigation privée et lunettes de soleil. Dans la vie réelle, lorsque vous ne voulez pas qu’on vous reconnaisse, vous vous dissimulez derrière des lunettes de soleil. Dans le monde virtuel cela s’appelle la navigation privée.
Dans la même lignée, les possibilités de suppression de cookies ou d’opt-out sont réelles et fonctionnent. Il faut cependant reconnaître que la tâche est ardue pour le public tout venant et laborieuse pour un connaisseur aguerri souhaitant une gestion fine de ses cookies/opt-out pour ne pas perturber sa fluidité de navigation.
… à des armes beaucoup lourdes de conséquences : les blockers
En l’absence de méthode simple pour choisir les données qu’ils souhaitent partager sans perturber leur expérience de navigation, les consommateurs se tournent en masse vers des solutions plus radicales : les blockers.
L’adoption des blockers progresse si vite qu’ils mettent à eux seuls en péril le premier business model d’internet et le web gratuit.
Tout le monde à aujourd’hui le problème en tête, et il fut largement évoqué lors du salon DMEXCO cette année. Sans réaction forte de la part des acteurs du marché, tout indique que la progression va se poursuivre. Apple a récemment autorisé les Adblocks sur iOS. Eyeo, la société éditrice de la plus célèbre extension d’adblocking (Adblock Plus) a développé son propre navigateur ; etc.
Or, cela engendre un double problème, car ils bloquent certes les publicités (sources de revenus pour les éditeurs), mais aussi pour certains les tags webanalytics (source d’optimisations multiples pour tout site web).
Redonner la main au client et responsabiliser les acteurs pour sauver le data marketing
Le phénomène actuel est en train de rappeler à ceux qui l’avaient oublié que le client est toujours roi.
Il peut être tentant de rechercher des solutions purement technologiques au problème : des outils de type Secret Media pour afficher les publicités, du fingerprinting pour remplacer les cookies. Mais au jeu du chat et de la souris, le consommateur trouvera toujours la parade, et par ailleurs la règlementation évolue en son sens.
Le data marketing doit pour se sauver lui-même comprendre les réticences du consommateur et les transformer en un « deal équitable ». Passer d’un big brother destructeur à une big confiance génératrice de valeur, pour les marques ET pour le consommateur.
La solution se trouve à mon sens dans la subtile combinaison de plusieurs choses :
- Développer la pédagogie et la transparence, en s’inspirant des initiatives des GAFA, les plus critiqués mais aussi les plus pédagogues
- Donner enfin au consommateur une solution simple et compréhensible pour reprendre la main sur ses données en évitant le « tout ou rien »
- Développer des publicités plus attractives et supprimer les éléments intrusifs qui perturbent fortement les parcours de navigation. Plus largement, rester raisonnable sur les volumes de publicités et autres traceurs ralentissant la navigation (3)
- Comprendre et intégrer les contreparties attendues par le consommateur pour le partage de ses données (1)
- Rassurer l’internaute via une législation qui le protège et de vrais moyens pour contrôler les abus
Pour finir, quelques pistes de réflexion à centrer sur le consommateur :
- De quelles données web parle-t-on ? Toutes les données consommateurs sont-elles à placer au même niveau ?
- Comment le consommateur perçoit-il les opérations data marketing ? Quelles émotions ? Quelles craintes ? Quelle compréhension ?
- Quelles sont ses attentes sur le partage de ses données ? Qu’est-ce qu’un service premium et qu’est-ce qu’un partage de gains ?
- Quelle stratégie adopter pour gagner la confiance client ? Qu’elles sont les armes du marketing ?
Références :
- (1) Microsoft Advertising, « La valeur des données personnelles»
- (2) Publicis ETO / Toluna, « Le baromètre de l’intrusion 2015 »
- (3) New York Times : « The Cost of Mobile Ads on 50 News Websites »
Laetitia Lanfranchi
Marketing Technologist & Data Expert
Founder & CEO M13h
fr.linkedin.com/in/llanfranchi