Entretien entre Jag Duggal, Senior Vice-Président Produit & Stratégie Quantcast, et Patrick Kervern, co-fondateur de Viuz, le 2 juin au GESTE :
Pouvez-vous nous présenter Quantcast et votre rôle ?
Quantcast est un acteur du big data. La société a été créée en 2006 et compte aujourd’hui plus de 650 employés. Elle est spécialisée dans la mesure d’audience et le ciblage publicitaire programmatique. J’ai rejoint Quantcast en 2011. Je suis responsable de la stratégie globale produit. Auparavant, j’ai travaillé chez Google notamment sur la conception de Google Analytics et de la stratégie Display.
Qu’est-ce que le programmatique pour vous ?
Le programmatique est l’achat automatisé sous forme de ventes aux enchères d’espaces publicitaires quel que soit le format et le support (display, vidéo, mobile ou applications…). Il peut avoir lieu sur des places de marché ouvertes ou sur des places de marché privées.
La prise de décision en temps réel de répondre à l’achat ou non d’un espace publicitaire repose toujours sur les données. La collecte, l’analyse et l’organisation de ces données rend ce processus efficace et rapide. C’est l’opportunité de cibler le bon client final avec la bonne impression.
Quel est votre vision du marché Européen et du marché Américain ?
La vente en programmatique est un processus inéluctable au niveau international. Ce concept existait encore à peine il y a 5 ans. Les éditeurs doivent en comprendre les tenants et les aboutissants afin de s’adapter et de l’intégrer à leur stratégie publicitaire.
En France, on estime que le display programmatique va représenter environ 35% des impressions display. Il représente déjà 50% aux USA.
Les éditeurs français ont été des précurseurs au niveau de certaines initiatives importantes et inédites telles que les places de marché privées avec « La Place Media » et « Audience Square » et on voit se développer d’autres initiatives en Europe comme « Pangaea market place » au UK. Il n’y a rien de tel outre-atlantique.
Ce qui est commun et surprenant aux deux marchés, c’est en fait la rapidité avec laquelle s’est installée l’industrie du programmatique : en 2010, le marché n’existait quasiment pas !
On observe donc une maturation du marché au niveau international et une standardisation des processus que ce soit pour les campagnes à la performance ou les campagnes de notoriété de la marque (Brand advertising).
En termes de chiffre d’affaires, c’est une industrie de plusieurs dizaines de milliards d’euros qui grossit rapidement.
Est-ce qu’en tant qu’éditeur, je vais faire du chiffre d’affaires si je vends mon inventaire en programmatique ?
La publicité programmatique EST de la « vraie » publicité. Le programmatique offre de formidables opportunités publicitaires aussi bien aux éditeurs qu’aux annonceurs notamment au niveau de la pertinence du ciblage, ce qui limite les pertes d’impressions.
A titre d’exemple, Quantcast permet aux éditeurs d’exploiter leurs données en créant des segments d’internautes et de proposer à différents annonceurs des campagnes ciblées là où leur offre n’était pas différenciée dans le passé. Les bénéfices sont multiples pour les éditeurs qui vont donc maintenir les CPMs à des niveaux élevés en proposant différents segments d’audience à plusieurs annonceurs.
Du côté annonceur, cette nouvelle opportunité offre l’avantage d’une meilleure efficacité des campagnes, puisque ce sont les bonnes personnes qui sont ciblées, et aussi permet une limitation de la déperdition des impressions.
Cela implique plusieurs prérequis fondamentaux:
- Les règles de confidentialité de la vie privée des internautes sont respectées et préservées.
- Les données sur lesquelles ces modèles d’achat/de vente reposent existent et sont analysées en temps réel.
- Les critères de succès des campagnes sont clairement définis entre éditeurs et annonceurs (prospection/re-ciblage, indicateurs clés de performances).
- L’attribution prend en compte tout le tunnel du processus de vente (solution du split-funnel attribution proposée par Quantcast).
Quels sont les indicateurs de performances clés (KPIs) des campagnes en programmatique ?
Les KPIs des éditeurs doivent refléter ceux des annonceurs, l’essentiel étant de satisfaire le client final. Ils peuvent être classés en 3 catégories :
- La valeur pour le client final : est-ce bien le bon internaute qui est ciblé ? Ceci revient à déterminer le rendement (yield management) et le prix juste de l’inventaire (CPM, eCPA…).
- La qualité de l’inventaire : visibilité des impressions, impressions frauduleuses, protection de la marque de l’annonceur…
- Les indicateurs de performance liés à la technologie : rapidité, pertinence, préservation et confidentialité des données…
Je suis éditeur, comment puis-je savoir que mes données sont en sécurité ?
C’est une question fondamentale que tous les éditeurs doivent se poser et poser à leurs partenaires. Chaque éditeur doit s’assurer qu’il travaille avec un partenaire de confiance.
Il faut d’abord savoir quelle définition l’éditeur donne au terme « données ». S’agit-il d’informations nominatives concernant des abonnements et enregistrées dans un CRM, des informations liées à la consultation de certains contenus ou rubriques ou à la navigation générale des internautes etc… ?
Le deuxième élément est de savoir si le stockage de ces données et leur exploitation est conforme à la législation en vigueur. Est-ce que le respect de la vie privée des personnes et la confidentialité des informations, par exemple bancaires, qu’ils communiquent aux éditeurs sont assurés… ?
Le troisième élément est le choix du partenaire : propose-t-il un contrat ? Quelle est sa réputation sur le marché ? Est-il certifié par des organismes officiels ? Quel est son modèle économique… ?
Le partenariat Quancast comporte des clauses très strictes en ce qui concerne les données d’identification personnelles qui ne sont ni stockées, ni exploitées d’aucune manière. En effet, notre but est de créer des schémas de navigation grâce aux milliards de points de contacts d’internautes sur les sites de nos partenaires éditeurs. En échange de l’intégration du tag Quantcast à leurs sites, nous faisons bénéficier ces éditeurs des tableaux de bords modulables de mesure d’audience et des modèles prédictifs que nous élaborons.
La sécurité et le respect de la vie privée sont des points essentiels.
Quelles sont les barrières du programmatique ?
Nous sommes à l’aube du programmatique. On en parle beaucoup mais, à ce jour, peu de sociétés peuvent répondre totalement aux enjeux de ce marché et accompagner les éditeurs dans leur stratégie digitale. En effet, cela nécessite un changement de modèle économique et une vraie stratégie d’exploitation des données pour éviter la commercialisation à la baisse des espaces publicitaires. Cela nécessite du temps et des ressources. Un éditeur ne souhaite pas avoir des partenaires qui revendent son audience à bas prix. Si un éditeur vend 10€ le CPM, il lui faut éviter de travailler avec un partenaire qui au final vendrait la même audience 5€ le CPM.
Chez Quantcast, nous pensons que l’intérêt de l’éditeur est de tirer davantage de valeur d’une utilisation mutualisée de ses données avec celles des autres éditeurs plutôt que de les exploiter seul en silo. En effet, Quantcast est un des rares acteurs du big data qui gère jusqu’à 30 pétabytes de données par jour dans le domaine de la publicité en ligne. Ce n’est qu’avec un partenaire capable de travailler à très grande échelle, que les éditeurs, quelle que soit la taille de leur audience, pourront concurrencer les deux acteurs internationaux du « search » et des réseaux sociaux, qui, à eux seuls, peuvent répondre aux besoins des grandes agences média.
C’est pour toutes ces raisons que les éditeurs aussi différents que Buzzfeed, avec une audience digitale énorme, et que The Economist, avec une audience plus retreinte mais avec un pouvoir d’achat élevé, nous font confiance. Buzzfeed, par exemple, analyse chacune de ses pages, chacun de ses articles, ses équipes regardent les métriques d’audience, font des analyses par auteur, par thématique, par sujet… Et c’est en utilisant ce type d’analyse détaillée, que les éditeurs peuvent répondre au ciblage des annonceurs.
Quelles sont les opportunités de ciblage en programmatique ?
En ce qui nous concerne, nous distinguons quatre opportunités de ciblage:
- Le ciblage socio-démographique “traditionnel” et à ce jour, seul mesurable avec les dispositifs tels que Nielsen OCR avec lequel Quantcast travaille.
- Le ciblage en fonction des habitudes de consommation des internautes.
- Le ciblage de profils jumeaux des clients des sites annonceurs.
- Le ciblage de profils jumeaux de populations de référence au sein des sites des éditeurs.
Quel est le futur du programmatique ?
Nous voyons deux tendances émerger : l’augmentation des campagnes de « Brand advertising » qui sont de plus en plus demandées et une demande croissante pour les campagnes cross-devices (communiquer avec la même personne sur différents supports).
Comme mentionné précédemment, les éditeurs doivent sélectionner les bons partenaires car l’offre est large mais peu de sociétés sont capables à ce jour de répondre efficacement aux enjeux et aux défis du programmatique. Cela sera d’autant plus important dans un contexte de concentration du marché qui devrait s’opérer dans l’avenir.