En 2010, un groupe d’amis quittait Google pour fonder fifty-five une data agency d’un nouveau genre.
Parmi l’équipe initiale des créateurs, deux talents ont continué avec succès l’aventure à l’extérieur : Antoine Denoix devenu Directeur Digital, Multi-Accès & CRM d’AXA France et François Costa de Beauregard passé Directeur Général adjoint chez Criteo.
Viuz a rencontré les associés historiques de fifty-five : Nicolas Beauchesne, Alan Boydell, Mats Carduner, Arnaud Massonnie et Jean Neltner. Retour sur cinq ans d’une aventure entrepreneuriale :
Viuz : Quel bilan tirez-vous de ces 5 ans ?
Mats Carduner CEO :
Il y a 5 ans, au moment de la création de fifty-five, The Economist titrait « Data, data everywhere ». Avec le recul, nous sommes fiers d’avoir contribué, pendant ces 5 années, à installer le sujet data dans les directions marketing. C’est un changement radical d’approche, car grâce à la data on inverse le rapport de force entre marque et consommateurs. Fiers aussi d’avoir construit, de manière totalement auto-financée, une nouvelle typologie d’agence, un acteur hybride dans le data marketing, mi-techno mi-conseil, et d‘avoir installé la marque 55 qui exprime tout le défi du lien entre les données digitales et le monde physique (NDLR : 55% de taux de conversion en magasin physique).
Un autre gros sujet de satisfaction, c’est d’avoir créé une vraie culture d’entreprise et une image employeur. Je suis impressionné par la qualité des CV qu’on reçoit, et par l’attachement des fifty-fivers à la société. C’est un réel motif de fierté, et j’ai aussi une grande reconnaissance envers chacun, car ce sont eux qui font le succès et l’image de la boîte.
Nicolas Beauchesne, Managing Director, Business Development & Staffing :
Très simplement, je pense qu’on ne s’est pas trop planté et qu’on a vu plutôt juste sur la problématique data et la chaîne de valeur qui va de l’achat média à la vente en ligne. Dans le BtoC nous avons réussi à convaincre les annonceurs de l’opportunité data, à travers l’équation “trafic = data = opportunités de segmentation et de ciblage = opportunités de générer des transactions supplémentaires”.
En rentrant par la petite porte du web Analytics, et une fois dans la place, on a ouvert le sujet data au sens large et au service des directions générales, auprès desquelles nous avons en quelque sorte « allumé la lumière », en remontant sur des indicateurs-métiers pas forcément techniques ou cantonnés à internet.
Notre approche tient sur 3 axes, l’achat média intelligent, le CRM intelligent et le data reporting – ce qui suscite chez les directions générales une prise de conscience et éclaire les grandes lignes de conduite de changement. Au final, on était super spécialistes mais notre meilleur impact a été de simplifier le propos et de faire en sorte que les directions générales parlent de notre sujet.
Jean Neltner, Managing Director, Business Development & Partnerships :
Le premier point c’est que je pense que nous avons pris la bonne vague. Au début, notre entourage professionnel ne comprenait pas bien ce que l’on voulait construire. Mais les directions générales et marketing ont pris conscience progressivement que la data allait bouleverser la donne en matière de connaissance client et de marketing. Accompagner les grands comptes sur les sujets complexes de collecte, d’activation et de compréhension des données disponibles a donc été une première étape. Mon autre fierté est d’avoir réussi à maintenir un bon niveau de complémentarité avec mes associés, qui a démontré son efficacité. Une gouvernance qui permet de bien peser chaque choix stratégique, de confronter divers avis dans une perspective constructive, et d’éviter de prendre des décisions préjudiciables. J’ai toujours eu envie de monter une boîte, et après avoir été dans des grosses structures j’ai découvert que j’étais particulièrement à l’aise en mode créateur. Sentir que les efforts impactent réellement les résultats, c’est hyper satisfaisant.
Alan Boydell, Director, Data Insights & Analytics :
En 2005 j’ai commencé à travailler sur Urchin, dès son acquisition par Google, en vue de l’adapter pour ce qui devait devenir Google Analytics. La data était un sujet qui n’intéressait que peu de personnes et je me souviens avoir eu du pain sur la planche pour convaincre les premiers gros annonceurs à installer Google Analytics. Google a fait ce pari car ils ont compris très tôt que la data était nécessaire, non seulement pour comprendre ses investissements média et rationaliser son ROI en aval, mais aussi parce qu’un jour la data serait en amont de toute initiative marketing. fifty-five a été une continuation de ce pari et de cette vision, et on a passé beaucoup de temps à se challenger sur cette ligne. Aujourd’hui nous accompagnons de belles marques en France, à Londres, et à Hong-Kong. Et nous n’en sommes qu’au début.
Arnaud Massonnie, Managing Director, Product, Engineering& Operations :
Après 5 ans, on achève un premier cycle et on aborde une nouvelle étape, plus ambitieuse. La data, ce sujet mal compris à nos débuts et qui est notre cœur de métier, s’est depuis imposé au-delà des cercles d’initiés, à tous les annonceurs, grands et petits. Le marché est devenu plus mature ; pour nous, cela coïncide avec l’internationalisation et le déploiement de dispositifs à la croisée du digital et du monde physique. Notre motto passe ainsi de « Mind the Gap » (entre la performance du web et la performance des points de ventes physique), à « Bridge the Gap » car les canaux online et offline ne sont plus en compétition, mais plutôt en étroite imbrication, et la collecte, le suivi du parcours-client doivent prendre en compte cette réalité plus complexe.
L’autre point important, c’est le succès de notre positionnement, c’est-à-dire services et conseil, sur un très fort socle technologique. La partie conseil est une force, car le monde de la data est complexe et a besoin de pédagogie, et de cas appliqués concrets ; et la colonne vertébrale technologique est indispensable, car si on ne maîtrise pas la collecte, l’organisation, et le traitement des données, on est complètement inopérant. Le fait d’avoir développé nos propres outils et solutions, tout en étant dans le prolongement des meilleures technos du marché, et experts sur les meilleurs stacks technologiques existants, est le meilleur gage de réassurance et de succès auprès de nos clients.
Viuz : Quels sont vos retours d’expérience en tant qu’entrepreneurs ?
Alan Boydell : Avec le recul, j’ai le même plaisir et la même envie de travailler avec mes associés fondateurs qu’au début. L’idée reçue, c’est qu’il peut être périlleux de s’associer pour le business avec des amis. C’est sûrement vrai. En revanche, je pense que lorsqu’il s’agit d’amitiés liées dans un cadre professionnel, c’est l’exact inverse. Il y a un respect mutuel sur les compétences personnelles, les forces et faiblesses des uns et des autres. En situation d’entrepreneuriat et de travail intense, c’est vraiment agréable de travailler avec ces personnalités. C’est ma troisième société, et le cheminement a été différent à chaque aventure. Je suis heureux de cette dimension humaine, que l’on retrouve aussi chez nos équipes.
Jean Neltner : J’ai découvert que j’étais hyper à l’aise dans un environnement mouvant et dans un positionnement qui s’est défini au fil des mois, des rencontres, et des business qu’on a développés. C’est l’un des aspects les plus enthousiasmants de l’activité d’entrepreneur. Faire évoluer un concept jour après jour. Je pensais être risk adverse mais ce côté pro de l’aventure m’a galvanisé. Il a fallu aussi créer une alchimie sur des profils divers : experts data, experts média et ingénieurs. L’aspect pluri-disciplinaire de ces équipes a été absolument clé dans la compréhension et le déploiement de stacks technologiques publicitaires sophistiqués pour le compte de clients complexes. Et c’est ce même sentiment de satisfaction progressive qu’on retrouve en se déployant à l’international.
Mats Carduner : Etre entrepreneur c’est découvrir cette gratification considérable d’être rétribué pour la première fois par un client, pour un service ou un produit qui n’existait pas, qu’on a conçu, mis sur le marché et vendu. Se payer son premier salaire fait aussi partie des étapes marquantes de l’aventure : c’est-à-dire être rémunéré par son propre effort ; c’est une sorte de raccourci du P&L. D’un point de vue personnel, cela fait du bien de n’avoir personne a-dessus de soi, même si on réalise qu’en fait il est souvent plus facile d’avoir un patron qui vous dit ce qu’il faut faire. Ces cinq ans ont confirmé chez moi l’idée que l’entreprise est vraiment un processus créatif et itératif. Dernier retour d’expérience et j’insiste sur ce point : il reste fondamental de savoir vendre, d’avoir un business model et de solides éléments financiers en place, dès les premiers pas.
Arnaud Massonnie : La satisfaction d’avoir réussi à construire une start-up qui s’inspire de l’école de management et d’innovation que représente Google, tout en s’en affranchissant. Nous avons ainsi repris beaucoup de codes en y ajoutant notre patte, à commencer par un recrutement aussi exigeant, combiné à un soin apporté à l’intégration et à la formation. Niveau management, la théorie du chaos pensée par Google dictait une organisation plate, avec des zones de recouvrement d’une fonction à l’autre, pour favoriser l’émulation. Nous avons de notre côté imaginé une organisation plate, mais également croisée, et mouvante. Croisée : l’expertise et la relation client sont partagées entre plusieurs équipes. Mouvante, car le changement fidélise : tous les 3 mois, nous repensons l’occupation des bureaux ; tous les 6 mois nous ouvrons des nouveaux rôles ; tous les ans ou presque, nous déménageons.
Nicolas Beauchesne : Il y a deux points : je ne l’aurais jamais fait tout seul. Et si je ne m’étais pas lancé, je l’aurais vraiment regretté. Ce que j’ai aussi appris, c’est le challenge et la richesse qu’apporte une direction collégiale. On n’a jamais rien voté et on a réussi à concilier les points de vue sans situation de blocage. Sur la partie recrutement, que c’est pour les entrepreneurs une débauche d’énergie et de temps ! Nous obtenons un taux d’embauche de 2% (comme le taux de conversion des e-commerçants !), avec une moyenne de 6 ou 8 entretiens. L’une de nos fiertés est d’avoir su rester attractif pour des gens qui veulent à la fois apprendre et se challenger.
Enfin, j’ai approfondi l’écoute, car dans une entreprise qu’on a créée, on écoute comme on n’écoute jamais un pair dans une organisation salariée. Je n’ai jamais connu la solitude du dirigeant.
Viuz : Que sera fifty-five dans 5 ans ?
Mats Carduner : Nous voulons faire de fifty-five l’un des leaders mondiaux des agences de communication, centré sur la donnée. Car la donnée redéfinit la créativité, l’interaction entre marques et consommateurs et tous les métiers du marketing. L’objectif des cinq prochaines années est de matérialiser cette transformation du métier marketing qui est en train de devenir une réalité.
Arnaud Massonnie : Dans cinq ans, nous visons une sinoïsation réussie et la même intimité avec les BAT (Baidu Alibaba Tencent) que nous avons avec les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). Moi-même, j’envisage de m’installer à terme en Chine. Là-bas, le marketing est arrivé en même temps que le pouvoir de consommation, en même temps que le digital et que le mobile, en à peine quelques années. Cela a donné naissance à un marché tout à fait différent du nôtre, extrêmement intéressant. Le label d’excellence que nous voulons bâtir devra aussi être installé sur trois fuseaux horaires, ce qui place nécessairement les Etats-Unis sur notre feuille de route. Je souhaite enfin que notre modèle hybride, qui associe technologie et service, souvent considéré comme un ovni dans le monde des capitaux-risqueurs, devienne un objet courant pour opérer dans le marketing.
Alan Boydell : A l’heure qu’il est, l’un d’entre nous envisage déjà de s’installer à Hong Kong ; demain, un deuxième partira pour monter un bureau à Shanghai. Avec la poussée impressionnante d’innovation que l’on constate sur le marché chinois (cf. The End of Copycat China de Shaun Rein), pourquoi pas imaginer que d’ici 5 ans nous ayons eu l’audace de déplacer le QG de fifty-five à Shanghai ?
Jean Neltner : Ce que nous avons réussi en France sur nos top 5 grands comptes, nous pouvons le réaliser sur le top 20. Au niveau global on peut parfaitement répliquer ce succès car il n’existe pas de boîtes similaires à l’étranger. Ce type d’offre et d’organisation est pensé pour servir des clients globaux aux quatre coins du globe. Le deuxième sujet est d’appliquer notre savoir-faire à l’intégralité du mix média non plus seulement dans le digital, mais également dans le offline.
Nicolas Beauchesne : fifty-five sera un réseau international de data agencies à la pointe des sujets reporting et évangélisation des couches supérieures de l’organisation. Ce qui signifie la data comme capital de la marque, comme avantage essentiel dans l’achat média, mais aussi comme arme centrale dans l’optimisation des actions marketing sur les points de contacts digitaux comme physiques, magasins, boutiques et concessions. C’est la vraie promesse de la marque 55. Dans 5 ans nous serons robustes sur les trois sujets : data, omnicanal et international.