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Guillaume Lautour, VC chez Id invest « Le plus important dans les jeux sociaux : le réglage et la maitrise de la plateforme »

Guillaume Lautour, VC chez Idinvest Partners, l’un des principaux investisseurs Français dans le jeu en ligne (Kobojo, Pretty Simple, eRepublik Labs, Plumbee, Winamax, Zeturf, Curse.com et Mediastay) est un spécialiste reconnu du social gaming. Pour Viuz il a accepté de décrypter les enjeux et sa vision de ce jeune secteur.

Viuz : Qu’est-ce qui vous a amené à investir dans le Social Gaming

Guillaume Lautour : Dans l’équipe, nous avons plusieurs gamers et on regarde si dans cette industrie, qui dépasse Hollywood depuis longtemps, des sociétés peuvent correspondre au profil d’investissement des capitaux risqueurs en terme de risque, de business model et de timing d’investissement.

Pendant longtemps, le secteur a été organisé autour de studios qui allaient voir des publishers en milieu de période de développement avec des prototypes jusqu’alors financés par eux-mêmes ou avec des financiers. Le publisher prenait alors en charge la suite du développement et le lancement et la distribution en échange de royalties significatives. Le modèle avait bien sur des variantes mais au global, le cycle de financement était lourd et complexe avec un business model où les studios de développement étaient souvent maintenus en vie sans la possibilité d’exploser. Plusieurs tentaient régulièrement de voler de leurs propres ailes mais il suffisait d’un accident pour que le taux de mortalité soit élevé. La plupart des jeux PC requièrent un investissement total de 20-40 millions, hors de portée d’un VC. Parallèlement l’investissement pour un MMO (Jeu Massivement Multijoueurs) de grande envergure type World of Warcraft se monte à 100 Millions d’Euros. Là encore, hors de portée du VC. Nous sommes donc restés à l’écart de ce secteur jusqu’alors que ce soit pour le monde des jeux PC ou celui des jeux sur console. Dans le mobile, avant l’avènement de l’iPhone, les contenus distribués sur plateformes WAP par exemple n’ont pas souvent délivré de business model rentable pour les investisseurs, à cause de la domination des opérateurs télécoms dans le partage de la valeur je pense.

Sont parvenus avec l’Internet d’autres catégories de jeux : les casual games et les jeux en ligne de type téléchargeables ou non, avec des modèles différents basés sur les revenus publicitaires pour les premiers ou sur de l’abonnement et du paiement au téléchargement pour les seconds. L’Allemagne par exemple a été le foyer de plusieurs grands acteurs des jeux online de type MMO comme Gameforge, Bigpoint, Travian ou Innogames. En France, Ankama est un exemple similaire. Il est intéressant de remarquer qu’il existe de véritables hubs de développeurs de jeux : Hambourg, Helsinki, Bordeaux, Berlin.

Cette nouvelle catégorie d’acteurs se différencie du secteur traditionnel parce qu’il y moins de frontière entre éditeur / concepteur et distributeur. Les casual games sont atypiques dans la mesure où il est difficile de protéger la propriété intellectuelle d’un jeu de Tower Defense. Les portails de casual games reprennent parfois un contenu qu’ils n’ont pas développé eux-mêmes mais beaucoup développent leurs propres jeux, inspirés plus ou moins largement d’autres jeux casual.

Concernant les jeux sur browser web hors casual, il ne faut généralement que 1 à 3 millions d’investissement pour un MMO. C’est un peu plus cher pour un jeu téléchargeable mais il ne faut qu’environ 10-15% du montant alloué aux jeux sur PC pour aboutir à un jeu online dans cette catégorie.

Depuis 2007, les jeux sociaux sur Facebook constituent un large secteur économique à eux-seuls et l’investissement moyen de développement d’un de ces jeux se situe entre 200 et 600.000 euros (hors couts de marketing et acquisition). Ce type d’investissement devient donc accessible aux VC. Même si Zynga, l’acteur dominant du secteur, déploie des budgets beaucoup plus vastes, certains jeux mobilisant 200 personnes.

Dés lors, en termes d’intensité capitalistique et de potentiel de revenus depuis l’avènement des modèles de micro transactions autour des biens virtuels en particulier, les studios de jeux online hors et dans Facebook sont très séduisants pour le capital risque.

VIUZ : Qu’est ce qui fait un bon jeu social sur Facebook

Guillaume Lautour : Il y a trois données fondamentales la Rétention, la Monétisation et la Viralité. Chez Zynga comme dans la plupart des jeux aujourd’hui, chaque fonctionnalité correspond à l’une des trois catégories. Le bon jeu est un équilibre à chaque fois différent entre les trois. La rétention est un réglage subtil chez l’éditeur dans le game design. Le réglage de la difficulté des niveaux, le réglage de la pression que l’on impose au joueur en termes de récurrence des visites, le réglage de l’expérience utilisateur au fur et à mesure de son avancée dans les niveaux experts, tout ceci demande un travail de professionnel. La Monétisation demande également un réglage très fin. Il y a souvent plusieurs monnaies dans un jeu, des facebook credits obligatoires depuis cette année et des monnaies propres aux jeux. On y achète des biens virtuels, des missions, des objets de décoration, des moyens de progresser plus vite etc. Beaucoup d’éditeurs comptent des économistes parmi leurs salariés pour définir et gérer dans le temps la monétisation. Cela dépend aussi des sources d’acquisition de joueurs, acquisition naturelle ou obtenue au travers de publicités ou de plateformes d’échanges de joueurs. Chaque source de joueur correspond à un comportement de monétisation différent. En ce qui concerne la viralité, elle a été freinée lorsque Facebook a décidé de canaliser les formes de spam qui étaient apparues avec les statuts automatiques générés aux amis d’un joueur. Meme si certains ont conclu qu’il était beaucoup plus difficile d’avoir du succès depuis, je pense que la plateforme Facebook est encore un formidable outil pour de nombreux éditeurs en devenir.

VIUZ : Quelles sont les conditions de réussite d’un jeu social

Guillaume Lautour : Sur Facebook, faire un bon jeu dépend bien sur du talent de l’équipe de design mais implique une connaissance et une compréhension très fine des mécanismes à l’œuvre dans Facebook. On remarque que seule la génération Facebook sait concevoir des jeux sur Facebook.

Par exemple, toujours actuellement peu de studios consacrent simultanément au développement de leur jeu une importance suffisante au placement de mesures multiples à l’intérieur du jeu et à l’analyse fine du comportement des joueurs. Certains, au contraire développent des plateformes très complexes, qu’il est très difficile de requeter de manière efficace. Zynga vient du métier de la mesure du comportement des joueurs et ne s’est converti à l’édition de jeux Facebook que dans un deuxième temps, ils maitrisent donc parfaitement ces aspects. C’est fondamental pour gérer un jeu sur une longue période.

L’analyse fine du jeu une fois son lancement réalisé est aussi fondamental pour gérer les éventuelles campagnes d’acquisition de joueurs par le biais de la publicité. Ces métriques permettent d’optimiser le budget marketing au cours de la vie du jeu et de le rendre plus ou moins efficace dans des proportions très importantes. Une chose capitale, qui est valable pour tous les jeux à niveaux, est de régler le jeu jusque dans les niveaux les plus élevés. Dans l’industrie traditionnelle des jeux vidéos, le design complet prenait plus de deux ans, les jeux sortaient parfaitement réglés. Le temps de développement d’un jeu sur Facebook est d’environ 7 mois et certains jeux sortent très tôt sans que l’éditeur ait pris le temps de travailler son évolution dans le temps dès le début. Or les joueurs les plus intéressants pour l’éditeur, ceux qui monétisent le plus, sont souvent des joueurs très actifs qui avancent dans le jeu beaucoup plus rapidement que prévu et restent sur leur faim quand les niveaux élevés deviennent trop faciles ou trop difficiles. Ils quittent le jeu alors qu’ils peuvent représenter jusqu’à 80% de ses revenus.

VIUZ : Que pensez-vous du marché actuel du social Gaming ?

Guillaume Lautour : Le marché est vaste donc viable pour des investisseurs en capital risque qui doivent pouvoir s’inscrire dans la durée. Zynga génère environ 700 M$ de chiffre d’affaires brut au premier trimestre 2011, dont environ 250 M$ reversés à Facebook. Il n’est pas rare de rencontrer des studios, d’une vingtaine de salariés, créés il y a un an à peine, et qui génèrent plus d’un million de dollars par mois de chiffre d’affaires avec une rentabilité nette supérieure à 50%. Quand on les découvre, on arrive généralement trop tard, ils n’ont plus besoin de nos financements ou leurs exigences en termes de valorisation deviennent incompatibles malheureusement pour nous. C’est une industrie très dynamique avec beaucoup d’opportunisme sachant le succès rapide de certains studios. Il y a aussi beaucoup d’emballement et il faut garder la tête froide.

Les grands mouvements de l’industrie concernent par exemple la pénétration croissante des plateformes mobiles comme iPhone/iPad et Android bien sur, la localisation des jeux pour mieux s’adapter aux usages et aux cultures locales des joueurs. Les jeux Zynga sont souvent un peu fades mais permettent d’atteindre une audience mondiale, d’autres sont plus « localisants ». La Localisation de Barn Buddy par Peak Games sur les territoires du Moyen Orient est un exemple du genre.

VIUZ : Que pensez vous de Google + ?

Guillaume Lautour : Pour le moment, je ne suis pas convaincu que les utilisateurs de Google+ soient actifs, hormis une minorité. En fait, j’ai beaucoup de doutes concernant son succès massif. Il y manque deux choses aujourd’hui : la capacité à transférer ses contacts de manière automatique depuis Facebook et l’on comprend que Facebook ne souhaite pas l’autoriser. Il manque également l’esprit de plateforme de Facebook : Google discute avec certains éditeurs pour qu’ils développent des jeux sur Google+ alors que la disponibilité d’API riches et d’une plateforme applicative complète dès le lancement aurait constitué une alternative immédiate pour les éditeurs. Google a peut-être besoin de temps pour le proposer. Après tout Facebook n’a inauguré cette fonctionnalité dans son réseau social qu’en 2007, longtemps après sa naissance mais Google arrive quand même 4 ans après la guerre sur le sujet.

VIUZ : Quels types de dossiers regardez vous actuellement ?

Guillaume Lautour : Une compétence rare et qui a sans doute beaucoup de valeur pour l’industrie est la capacité à développer un bon jeu sur plusieurs plateformes simultanément. Aujourd’hui les tentatives pour porter a posteriori des jeux Facebook sur mobile sont souvent infructueuses : comportement de monétisation différents, interface homme machine différent, découverte et promotion des applications différentes, challenges techniques importants. Des outils comme Unity ou Shiva permettent de concevoir des jeux 3D multiplateformes mais il faut un éditeur capable d’intégrer les finesses de chacune sans tuer l’expérience utilisateur. Les jeux Facebook qui apparaissent sur la partie mobile de la plateforme Facebook (sur iPad et iPhone depuis quelques semaines) sont par exemple très limités à cause des contraintes techniques de HTML5 dont les spécifications ne sont pas finies. Dans la mesure où nos outils de travail et de loisirs sont très divers : téléphone, console, tablette, PC, la persistance d’un jeu ou de tout type de contenu complexe comme la musique ou le cinéma entre les plateformes peut générer beaucoup de valeur pour l’industrie. Nous espérons financer une équipe capable de déployer cette compétence mais c’est peut-être encore inaccessible.

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