Par
Sohel Aziz, directeur exécutif France & Benelux d’Accenture Interactive
Stéphanie Lafontaine, directrice exécutive et responsable Design chez Accenture Interactive
Ludovic Tran, directeur exécutif d’Accenture Interactive France
Depuis deux ans, les systèmes sur lesquels reposent notre société sont en pleine disruption. Mais l’avenir pourrait nous réserver des opportunités qui nous permettront de concevoir de nouvelles organisations et d’imaginer de nouvelles façons de vivre ensemble. Les choix que nous devrons faire dans un avenir proche auront donc des répercussions sur notre monde bien plus considérables que nous ne pouvons l’imaginer. Et ce, alors que nous arrivons à un point où nous ne pouvons plus fermer les yeux sur notre impact sur la planète.
Tout va dans le sens d’une mutation dans nos relations que ce soit avec nos collègues, les marques, la société, notre environnement ou les personnes qui comptent à nos yeux. Les tendances identifiées par le rapport Fjord Trends 2022 1 font apparaître un thème dominant : la nécessité d’apporter des réponses aux mutations de notre rapport au monde. Parmi les cinq tendances qui ont émergées de cette étude, deux sont à mettre en exergue : la fin de l’abondance et l’émergence du métavers.
Vers la fin de l’abondance
La raréfaction des matières premières, les pénuries de main- d’œuvre ou les problèmes logistiques accentués par la crise sanitaire sont autant de phénomènes qui remettent en question le sentiment d’abondance, jusqu’ici fondé sur l’immédiateté et la facilité d’accès de la plupart des biens et services. Une prise de conscience accentuée par un autre phénomène : le changement climatique. Face aux catastrophes naturelles, nous commençons à comprendre l’impact qu’ont nos modes de consommation sur la planète. Les marques doivent se tenir prêtes à gérer les nouvelles attentes des consommateurs, tant en termes de disponibilité que de durabilité.
Celles qui trouveront le juste équilibre entre produits abordables et produits durables seront les mieux armées pour se démarquer. Au moment de prendre des décisions d’achat, de plus en plus de consommateurs mettent en effet dans la balance le bien de la planète et les besoins de base de leur famille. Les marques vont donc devoir penser différemment. Une solution pourrait être d’offrir davantage de valeur aux clients par la vente de services permettant de prolonger la vie d’un produit, plutôt que de proposer sans cesse des mises à jour qui incitent à changer de modèle régulièrement. Dans la mode par exemple, H&M a lancé en Scandinavie un service de location de vêtements se tournant ainsi vers un « business model » plus circulaire.
Dans cette période de fragilité des chaînes d’approvisionnement, les entreprises ont tout à gagner à se pencher sur leur logistique dans l’objectif de développer des modèles circulaires à l’image du concept de « l’entreprise régénératrice » qui explore de nouvelles méthodes et pratiques, telles que la tarification dynamique, la relocalisation de la fabrication au plus près des consommateurs finaux ou le recours à des micro-usines.
Les marques vont donc devoir radicalement changer leur mode de fonctionnement en reconsidérant leurs chaînes logistiques mais aussi en expliquant à leurs équipes R&D qu’innovation n’est pas nécessairement synonyme de « nouveau produit » et en menant leur entreprise et leurs clients vers la neutralité carbone et, au-delà, vers des objectifs de positivité environnementale.
Le métavers, une révolution culturelle en marche
Le métavers apparaît également comme un enjeu majeur. Cet univers offre aux marques et aux utilisateurs la promesse d’un nouvel espace pour interagir, créer, consommer et générer des revenus. Bien que son véritable potentiel reste à définir, il porte en lui tous les ingrédients d’une révolution culturelle ! Sur ce nouvel espace de rencontre et d’échange d’actifs numériques (terrains, immeubles, objets, avatar…), les individus peuvent virtuellement se rendre à un endroit qui a sa propre logique spatiale afin d’en faire l’expérience, en plus du lieu physique où ils se trouvent. Le métavers permet d’échapper aux limites physiques pour passer du temps dans un espace virtuel qui est une autre version, voire une extension, de la vie réelle.
Cette approche très différente offre un potentiel illimité aux marques. Quelques-unes essaient déjà de s’intégrer à ce nouvel écosystème telles Burberry pour lancer sa première collection numérique dans un jeu multijoueur, NASCAR pour propose des chevaux de course virtuels sur la plateforme ZED RUN85 ou Visa qui a acheté une œuvre d’art numérique pour enrichir sa collection d’objets historiques. La banque JP Morgan a quant à elle ouvert un « salon Onyx » dans le monde virtuel de Decentraland, en référence à sa division consacrée à la blockchain et qui permet l’échange de valeurs, d’informations et d’actifs numériques.
Mais des normes et des standards d’interopérabilité vont devoir être définis. Les marques qui se lancent sur ce terrain doivent être prêtes à enchaîner les essais et à accumuler les erreurs, sans jamais oublier de placer l’expérience utilisateur au cœur de leurs préoccupations. Enfin, elles vont devoir également réfléchir aux enjeux éthiques du métavers, tels que la modération, l’impact environnemental ou encore l’accessibilité.
Un nouveau rapport à la vie et au travail
Les trois autres tendances révélées par le rapport Fjord Trends 2022 sont aussi des mouvements de fond que la crise sanitaire a singulièrement accélérés. « Reprendre sa vie en main », « exiger la plus grande transparence » et « prendre soin des autres » ne sont pas sans conséquences pour les marques. Les changements de modes de vie provoqués par la pandémie ont incité certains à développer des relations moins superficielles ou à se montrer ouverts à de nouvelles possibilités. Partout, les gens s’interrogent sur leur identité et leurs priorités notamment dans leur rapport au travail. Les entreprises doivent s’attacher à comprendre ces évolutions en termes d’aspirations et de modes de vie. L’enjeu est de trouver le bon équilibre entre la flexibilité offerte aux salariés et les intérêts de l’organisation. Par exemple, en France, Accenture propose désormais à ses collaborateurs de télétravailler entre 1 et 5 jours par semaine.
Une consommation plus raisonnée et plus exigeante
Manque de transparence, désinformation, radicalisation des discours… avec l’essor d’internet et des réseaux sociaux, tous ces maux ont accéléré le déclin de la confiance accordée aux experts et aux pouvoirs publics. Pourtant, la confiance est essentielle en matière de consommation comme de santé publique et de politique. Une consommation plus raisonnée, en adéquation avec les valeurs des consommateurs, tend ainsi de plus en plus à se développer. Les clients s’attendent à ce que les marques respectent chacun de leurs engagements et en apportent la preuve. Répondre à cette soif d’information est un moyen de cultiver la transparence et de renforcer la crédibilité de sa marque. L’enjeu est de taille : 72% des consommateurs dans le monde (et 74% des Français) affirment qu’ils sont prêts à acheter un autre produit ou une autre marque s’ils ne sont pas satisfaits des informations qu’ils auront trouvées, selon une étude menée par Akeneo et Opinion Way. En France, depuis 2021, l’e-commerçant alimentaire Omie pratique un haut niveau de transparence, en indiquant sur chaque produit vendu la part qui revient au producteur, au conditionneur, au livreur, à l’entreprise ainsi qu’au financement de projets bioagroécologiques.
Une quête de bien-être
Quant au désir de prendre soin des autres – une valeur placée au cœur du débat public avec la crise sanitaire – les entreprises ne peuvent plus l’ignorer. Elles doivent aussi tenir compte du fait que pour beaucoup de patients, la technologie facilite de plus en plus l’accès aux soins médicaux. En France, Doctolib a par exemple permis la prise de plus de 80 millions de rendez-vous de vaccination en 2021. La start-up Careology a pour sa part développé une application permettant aux patients atteints de cancer à se sentir davantage en contrôle dans leur parcours de soin et à se connecter à un réseau de soutien.
Les entreprises doivent définir la façon dont elles intègrent les notions de bienveillance, de bien-être et d’attention aux autres, aussi bien dans leurs organisations que dans leurs offres. Prendre soin des employés est évidemment une obligation morale, mais le bien-être au travail a aussi des répercussions sur la productivité de l’entreprise, la résilience opérationnelle et la RSE. Lesentreprises doivent être en phase avec les préoccupations du moment, imaginer de nouveaux produits et services et s’appuyer sur la technologie afin de répondre aux attentes d’accessibilité, de bien-être psychologique et de sécurité mais aussi d’inclusion et d’expérience de leurs employés.
1 Les tendances Fjord sont tirées d’une enquête annuelle menée auprès de plus de 2 000 concepteurs et innovateurs de la communauté Design d’Accenture Interactif, complétée cette année par une série de groupes de discussion dans sept marchés internationaux (Royaume-Uni, États- Unis, Brésil, Chine, Espagne, Afrique du Sud et Inde).