Lancée en janvier 2022, par Brian O’Kelley, Scope3 s’est dans un premier temps concentrée sur l’optimisation de l’impact carbone dans la publicité en ligne. Puis en novembre dernier, la société a acquis Adloox, ajoutant ainsi la brique de la brand safety.
Elle vient d’annoncer une avancée d’une autre ampleur : la refonte de sa plateforme avec une ambition plus large. Il s’agit d’établir, à base d’intelligence artificielle, un modèle global de croissance durable pour la publicité en ligne.
Scope3 s’est allié à des partenaires et propose un hub centralisé pour gérer des solutions agentiques. Elle propose l’accès à des agents experts tiers (LiveRamp, Classify, Sy.nexus, Compliant) et à des médias sûrs et de qualité, ainsi que l’intégration des données de qualité propriétaires de Scope3.
Amazon a été le premier DSP à intégrer la plateforme, avec d’autres partenaires comme Index Exchange, Equativ et media.net.
Nous avons voulu comprendre concrètement quels en sont les apports.
Nous avons interviewé pour ce faire Paul Antoine Strullu, le patron EMEA de Scope3
Pourquoi cette refonte, plutôt rapide, de Scope3 ?
Nous sommes partis de deux constats.
Le premier constat concerne l’état de la publicité digitale.
D’un côté, l’internet ouvert est de plus en plus filtré – par la vérification, par le contextuel, par les plateformes qui ajoutent parfois des surcouches. Malgré cela ou à cause de cela, les éditeurs de qualité qui mériteraient d’être valorisés, ne le sont pas assez et c’est encore trop souvent des sites moins qualitatifs comme les sites de téléchargement qui sont privilégiés par la monétisation publicitaire. De l’autre côté, les jardins clos continuent de croître mais avec trop peu de contrôle.C’est notamment ce premier constat qui nous amené à acquérir Adloox.
Un autre constat, plus macro, concerne l’évolution d’internet.
Avec l’arrivée de l’IA, l’internet tel que nous en faisons l’expérience depuis 20 ou 30 ans est en train de changer très significativement. Nous ne pouvions pas rester immuables alors que notre cœur de métier, le media, est, lui, en pleine mutation. La rapidité de notre évolution est liée à la rapidité de changement du secteur. Il est en ébulition, toutes les semaines, un nouveau modèle apparaît, et de nouveaux critères d’efficacité sont proposés. Il était temps d’amorcer un changement disruptif dans le domaine.
L’agentique : quels usages, concrètement ?
Le premier usage concerne la qualité des modèles. Nous faisons l’hypothèse que l’IA générative fonctionnera mieux que les technologies d’IA déjà existantes, comme le NLP pour le contextuel ou le machine learning pour le le bidding.
L’enjeu est en fait de réintroduire “the human in the loop”, la touche humaine dans des systèmes qui, jusqu’à présent, étaient des boîtes noires. Je pense aux briques de vérification, aux briques contextuelles, au fonctionnement des algorithmes de bidding des DSP. Aujourd’hui, personne, à part ceux qui travaillent dans les sociétés qui éditent ces solutions, n’a une réelle compréhension de la chaîne de valeur, que ce soit l’éditeur, l’agence ou l’annonceur.
L’idée, c’est paradoxalement de redonner leur rôle aux professionnels du digital et qu’ils puissent pleinement se consacrer aux actions d’optimisations qu’ils entendent mener. C’est le rôle du modèle agentique que d’apporter une compréhension des outils et de délester des humains des problèmes de tuyauterie.
Quelle est votre approche spécifique de la brand safety ?
Une de nos thèses est qu’il est nécessaire de pouvoir définir des éléments plus personnalisés et complets que ce qui est disponible aujourd’hui sur les plateformes. Nous apportons une brand safety sur mesure, capable de proposer des critères personnalisés que ce soit sur l’internet ouvert ou sur les réseaux sociaux.
Du reste, ces derniers vont dans ce sens : Meta propose un programme où il devient possible de bloquer des contenus. Snap a annoncé il y a trois semaines un nouveau programme de contrôle des niveaux de sécurité.
Nous engageons un cercle vertueux. Et cela devrait jouer à terme sur la qualité des inventaires y compris en termes d’empreinte carbone.
Justement, le contexte est-il moins porteur pour la sustainability ?
Il est vrai que même en Europe, et en particulier en France et en Allemagne pourtant moteurs sur le sujet, il est désormais question d’assouplir les contraintes environnementales pour ne pas désavantager les entreprises européennes. La réglementation européenne CSRD fait actuellement l’objet d’une révision pour alléger les contraintes administratives.
Il est évident que l’action environnementale et la logique économique doivent aller de pair. La question de fond est de savoir si la responsabilité environnementale incombe uniquement aux États. Ne doit-elle pas au moins tout autant être partagée avec les entreprises et les individus ? L’enjeu est de démontrer qu’il est possible pour les entreprises de prospérer dans une démarche mesurable de réduction d’impact.
Au passage, il est assez remarquable que Scope3, une jeune entreprise américaine, startup en série B, porte cette vision de croissance durable, alors que le sujet est encore trop souvent réservé aux réflexions des économistes.
Qu’apportez-vous aux éditeurs ?
Depuis le lancement de la nouvelle plateforme, nous collaborons avec un éditeur de presse magazine haut de gamme aux États-Unis. La collaboration est riche en enseignements. Nous nous sommes intégrés directement à leur CMS pour avoir une granularité fine, ce que n’aurait pas permis un simple outil de scraping web. Nous analysons leur inventaire avec des mises à jour toutes les dix minutes, une avancée significative par rapport aux solutions traditionnelles souvent moins réactives.
Nous leur donnons aussi de la transparence : l’éditeur a une visibilité complète sur les contenus qu’ils aient été ou non contrôlés par le modèle de brand safety personnalisé. Notre proposition de valeur repose donc essentiellement sur cette combinaison de granularité et de transparence.
Au-delà, et notamment si je pense aux développements de la plateforme en Europe, nous avançons avec beaucoup d’humilité. Je tire un enseignement de ces deux dernières années consacrées à la réduction de l’empreinte carbone : il n’existe ni vérité absolue, ni solution universelle. Ce qui est certain, c’est que les éditeurs font face à un défi de monétisation, de nombreuses catégories sont encore sous-exploitées.
Quels sont les leviers ou les freins pour les prochaines étapes ?
Notre plateforme est prête, nous avons pu montrer lors de démo quel effet un prompt peut avoir sur les inventaires.
La question est d’itérer avec les clients, et ce dans une démarche collaborative dans la construction des systèmes. Ce qui va déterminer que nous avancions avec un acteur plus qu’avec un autre, c’est sa disponibilité, puisque si l’infrastructure est réinventée, il reste que le partenaire doit entrer des modifications dans le code de son logiciel.
D’une manière générale, on voit aujourd’hui des DSP qui investissent massivement dans leur R&D, alors que d’autres sont dans une démarche plus attentiste. Mais globalement, on constate un véritable renouveau. Ce n’est pas du buzz : quelque chose est en train de se passer. De nouveaux DSP entrent sur le marché, des acteurs qu’on pensait très stables sont challengés. On peut s’attendre à un renouveau y compris dans la création de startups dans le secteur et à une nouvelle vague d’investissements au cours des prochains mois.