Après les atermoiements, le revirement… Finalement, Google a décidé de ne pas siffler l’arrêt définitif des cookies tiers. Mais est-ce vraiment une surprise ? Et que va vraiment changer la décision ?
Dans un nouveau blogpost, Google, par la voix d’Anthony Chavez, VP Privacy Sandbox, promet une nouvelle expérience permettant aux utilisateurs de “ faire un choix éclairé qui s'appliquerait à l'ensemble de leur navigation sur le web”
Nous avons recueilli l’avis de quelques experts du marché de l’adtech :
Grégory Cornuz, directeur des produits chez Equativ
La décision de Google de dissocier la suppression des cookies tiers du développement de Privacy Sandbox soulève d'importantes questions sur le contrôle des utilisateurs et les implications pour l'industrie. Si cette décision offre apparemment aux utilisateurs davantage de choix concernant les cookies tiers, les détails de la présentation de ces choix restent flous. Les utilisateurs ont déjà la possibilité de gérer le suivi par des tiers grâce aux paramètres du navigateur et à des réglementations telles que le RGPD. Le caractère vague de la proposition de Google fait écho aux politiques ATT d'Apple, qui ont été critiquées pour leur manque de contrôle et de flexibilité, entraînant de faibles taux d'acceptation par les utilisateurs et des pertes de revenus importantes pour les éditeurs d'applications iOS.
De plus, il est essentiel que la collecte des préférences des utilisateurs soit conçue de manière réfléchie, site par site plutôt que de manière centralisée au niveau du navigateur, afin de garantir que les éditeurs web puissent maintenir leurs relations et leurs échanges de valeur avec les utilisateurs. Si le choix des utilisateurs conduit à une désactivation généralisée des cookies tiers, l'industrie doit maintenir la pression sur Privacy Sandbox afin qu'il propose des solutions alternatives viables. Par conséquent, le calendrier de mise en œuvre du choix des utilisateurs dans Chrome doit être aligné sur la validation des propositions de Privacy Sandbox par les régulateurs et les acteurs du secteur, afin de garantir que des solutions robustes et efficaces soient en place avant que des changements importants ne prennent effet.
Geoffroy Martin, CEO d'Ogury
Face aux pressions réglementaires et du secteur, Google laissera finalement aux consommateurs le choix de recourir ou non aux cookies tiers. Reste à voir comment cette décision sera appliquée, mais si l’on se fie aux changements similaires dans d’autres écosystèmes, il y a fort à parier que cela conduise une grande majorité des utilisateurs à refuser d’être suivis en ligne.
Concrètement, 50% du trafic de l’open internet ne repose déjà plus sur des cookies. Les identifiants publicitaires ont d'ores et déjà été supprimés de Safari et Firefox, et les utilisateurs les rejettent déjà de plus en plus sur Chrome. Par conséquent, l’amoindrissement des cookies disponibles est déjà une réalité pour les annonceurs, alors qu’une demande croissante pour les mêmes emplacements fait grimper les prix.
Le fait est que le secteur de la publicité en ligne est à un tournant décisif en matière de protection des données des consommateurs. Et ce mouvement de fond a commencé bien avant que Google ne décide de déployer la Privacy Sandbox.
Dans ce contexte, il est inutile de s’accrocher à un modèle voué à disparaître. Les annonceurs ne devraient pas considérer l’annonce de Google comme une occasion de reporter leur transition vers des solutions qui ne reposent pas uniquement sur des identifiants tiers. Au contraire, il est temps d’investir dans des solutions alternatives qui leur permettront de déployer des campagnes à grande échelle indépendamment des décisions futures du secteur, et de faire enfin du respect de la vie privée des consommateurs une priorité.
Marouane Benazzouz, Data Tech Lead chez Making Science
Google fait marche arrière sur la suppression des cookies tiers et sur le fond, ça ne va pas changer grand chose.
L'annulation de la suppression des cookies tiers ne garantit pas une amélioration des performances.
Même si Google Chrome offre aux utilisateurs la possibilité d'accepter ou non les cookies tiers, il est probable que beaucoup les refusent. Malgré la part de marché majoritaire de Chrome, le pourcentage d'utilisateurs acceptant les cookies tiers est potentiellement faible et n'atteindra probablement pas l'audience que nous avons connue auparavant.
Dans cette optique, il est essentiel de combiner une stratégie basée sur les cookies tiers avec une stratégie robuste utilisant des cookies first party. Cela permettra de réduire la dépendance aux navigateurs continuant à utiliser des cookies tiers tout en s'adaptant aux évolutions inévitables du marché.
D’autres navigateurs comme Safari et Firefox continuent de croître. Ces navigateurs ont déjà supprimé les cookies tiers, ce qui pourrait les rendre plus attrayants pour de nouveaux utilisateurs soucieux de leur vie privée. Adopter une approche sans cookies et privilégier des outils respectueux de la vie privée constitue la meilleure stratégie à long terme, car il devient impératif de réduire notre dépendance aux cookies.
Adrien Hug-Korda, Directeur Digital Trust & Compliance et Guilhem Bodin partner Chez Converteo
Adrien Hug-Korda :
Cette décision n’est pas si surprenante, compte tenu des retours critiques des autorités européennes et des acteurs de l'industrie de la publicité en ligne à l’égard de la Privacy Sandbox. Offrir aux utilisateurs un choix au niveau du navigateur - une possibilité envisagée par le législateur européen dès 2009 - apparaît également comme une alternative cohérente. Cependant, la CNIL, dès 2020, remettait en question la capacité des navigateurs à assurer la validité d’un consentement recueilli par ce biais. Par conséquent, Google va devoir initier un processus d’adaptation de Chrome, qui pourrait s’avérer long et complexe.
Guilhem Bodin :
Pour les annonceurs, au fond, la donne ne change pas vraiment : ils doivent continuer à se préparer à vivre sans cookies tiers, car cette solution est quoi qu’il arrive en perte de vitesse. Les autres navigateurs du marché les ont déjà assez largement “purgés”, et ils ne permettent plus dans tous les cas de cibler, mesurer et optimiser correctement les campagnes media et d’acquisition. Face à des internautes qui ont des parcours complexes en utilisant plusieurs appareils, navigateurs ou encore dans des situations omnicanales, les annonceurs doivent adapter leur stack technologique en y intégrant des alternatives comme celle du marketing mix modeling notamment qui permet de leur redonner une bonne visibilité
Franck Lewkowicz, Country Manager France chez PubMatic
Les éditeurs doivent continuer à adopter différents signaux au-delà des cookies tiers. Les décisions et le calendrier de Google ne doivent pas limiter les progrès de notre industrie vers une meilleure supply chain de la publicité numérique sur l'open web. Nous avons constaté que les signaux alternatifs peuvent fournir de meilleurs résultats pour les annonceurs et les consommateurs et contribuer à une stratégie de ciblage plus durable.
À noter la déclaration de l’Alliance Digitale, dont nous reprenons les principaux points :
Nous apprécions les efforts de collaboration déployés par l'ensemble du secteur, y compris la réactivité de Google aux observations données, et nous sommes engagés à contribuer à l'élaboration d'un paysage publicitaire numérique plus efficace et plus respectueux de la vie privée. Nous comprenons que les API doivent évoluer à la lumière de l'annonce de Google, et nous continuerons à collaborer avec nos pairs en les informant sur les spécifications et le calendrier. Tout au long de cette transition, l'objectif de PubMatic reste d'aider les éditeurs à maximiser leurs revenus tout en respectant la vie privée des utilisateurs.
Nous ne pouvons que saluer cette décision qui nous semblait inéluctable au regard des nombreuses lacunes techniques dont souffrait le projet et des risques toujours importants en matière concurrentiel.
Google ne renonce pas pour autant à son projet. Nous comprenons de son annonce que Chrome laissera désormais le choix à l’utilisateur concernant l’utilisation de la Privacy Sandbox ou des cookies tiers sur son navigateur, sans donner plus de détail.
Nous rappelons qu’au sein de l’Union européenne, sur la base du RGPD et de la directive ePrivacy, le consentement de l’utilisateur est déjà requis pour l’utilisation de cookies à des fins de publicité personnalisée.
Nous ne voyons comment nous pourrions accepter une pop-up additionnelle sur ce sujet puisque celle nous parait à la fois inutile, difficilement compréhensible pour les utilisateurs et potentiellement anticoncurrentielle.
L’Alliance Digitale sera vigilante à ce que cette décision n’aboutisse pas à une situation aussi problématique que celle que nous avons connue avec Apple App Tracking Transparency et qui fait l’objet d’une notification de grief de la part de l’Autorité de la concurrence française.
photo : No Revisions / Unsplash