Tribune de Jean-François Binet - Avocat associé MARCEAU AVOCATS & Christophe Bosquet - Co-fondateur EFFINITY - pour le CPA (Collectif pour les Acteurs du Marketing Digital)
20 ans que ça dure ! 20 ans que l’on essaie d’expliquer à qui veut bien l’entendre ce qu’est l'affiliation. Ce qui en fait la spécificité, les nuances, les atouts, etc. Expliquer que l'affiliation n’est pas de la publicité, que l'affiliation est un modèle économique vertueux, basé sur la rémunération de l’apport d'affaires et qui ne s’appuie pas sur les données personnelles… Et l’on explique cela aussi bien à nos parents, à nos amis… Et on voit bien dans leurs yeux qu’ils ont envie de nous comprendre, ne serait-ce que pour nous faire plaisir. Mais, en général, la conversation se finit par une phrase du genre “oui, c’est comme de la pub quoi !”. Argh !
Il faut donc croire que tant qu’on ne la pratique pas, l'affiliation ne se laisse pas apprivoiser aussi facilement. Les acteurs de l'affiliation ont sans aucun doute une part de responsabilité dans cette incompréhension chronique… Cela n’en reste pas moins rageant.
Alors, comment s’étonner, lorsque la CNIL décide, à juste titre, de mettre un peu d’ordre dans certaines pratiques publicitaires, un peu trop intrusives pour la vie privée des internautes, que l’affiliation soit embarquée dans ce grand nettoyage du printemps 2021. Avec comme justification sous-jacente : “oui, c’est comme de la pub quoi !”
Nous voilà donc contraint de reprendre notre bâton de pèlerin pour essayer de faire entendre les voix dissonantes du chœur des acteurs de l'affiliation.
Le rappel des faits
Avec la volonté de permettre aux internautes de contrôler les données les concernant, la CNIL a mis en application, depuis le 1er avril 2021, ses nouvelles lignes directrices relatives aux opérations de lecture et d’écriture dans le terminal d’un utilisateur (cookies, traceurs…).
Dans ces lignes directrices, la CNIL fait évoluer son interprétation de la loi informatique et libertés dans le sens d’un renforcement du consentement de l’internaute, qu’il est nécessaire de recueillir pour réaliser ces opérations.
Ces lignes directrices ont notamment pour objectif de cadrer le suivi des internautes et la collecte de leurs données à des fins de ciblage publicitaire.
Par exemple, pour savoir que vous avez vu une paire de tennis sur votre site e-commerce préféré, afin de vous la proposer dans une bannière publicitaire lors de votre navigation sur d’autres sites, le e-commerçant va devoir obtenir votre consentement. De même, avant de pouvoir suivre les types de contenu que vous avez consommé sur différents sites média, afin de vous profiler et personnaliser les publicités qui vous seront proposées, ces sites médias vont devoir obtenir votre consentement.
Tout ceci rentre dans une démarche compréhensible de protection de la vie privée.
Mais là où les affaires se corsent, c’est que ce consentement est nécessaire pour toutes les pratiques de lecture et d’écriture dans le terminal d’un utilisateur, sans prendre en compte la pluralité des services proposés sur internet et sans prendre en compte si les finalités de ces pratiques impactent la vie privée des utilisateurs.
La loi prévoit bien une exemption au consentement si la finalité de l’opération est : “...strictement nécessaire à la fourniture d'un service de communication en ligne à la demande expresse de l'utilisateur.”
La CNIL précisant dans ses lignes directrices que les opérations de mesure d’audience sont à ce titre exemptées, à condition de respecter certaines conditions, notamment d’anonymisation. Mais dans sa FAQ du 18 mars 2021, la CNIL a apporté une nouvelle précision en affirmant que les traceurs nécessaires à la facturation des opérations d’affiliation ne sont pas, dans leur ensemble, exemptés de consentement.
L’affiliation : un mécanisme d’apport d’affaires qui n’a pas pour objectif de suivre des personnes mais des flux
L’affiliation consiste en une relation d’apport d’affaires entre un “affilié” et un site marchand. La comptabilisation de l’apport d’affaires étant généralement réalisé par un intermédiaire au moyen de traceurs.
Dans le cadre de cette relation, l’objectif n’est nullement de suivre ou collecter des données sur un internaute, mais de comptabiliser des flux d’apports d’affaires entre affiliés et annonceurs. L’internaute n’est qu’un véhicule de données qui ne le caractérisent pas.
Les traceurs d’affiliation peuvent être nécessaires à la fourniture de services demandés par les internautes.
Les affiliés qui participent à cette relation proposent dans leur majorité des services aux internautes : cashback, codes de réduction, wishlist, tests, comparateurs…
Pourtant, dans sa FAQ, la CNIL affirme que les traceurs d’affiliation “ne sont pas strictement nécessaires à la fourniture d'un service de communication en ligne expressément demandé par l’utilisateur”.
Cette affirmation générale nie le fait que les internautes se rendent de leur plein gré sur les sites affiliés pour y chercher un service.
Prenons trois exemples :
- Les sites de cashback & les acteurs de Reward : démarche volontaire de l’internaute qui s’est inscrit sur ces sites et qui sait que son achat sur un site marchand va être relié au site de cashback
Le cookie est strictement nécessaire à l’opération et ceci est fait à la demande expresse de l’utilisateur : pourquoi cette action ne serait pas exemptée de consentement ?
- Les sites de couponing : démarche volontaire de l’internaute qui va chercher un code sur un site pour le mettre sur un autre.
- Les Guides d’achats et les Comparateurs : démarche volontaire de l’internaute qui va chercher un contenu (tests, meilleurs prix, avis, comparatifs, etc.)
Par ailleurs, selon l’interprétation de la CNIL la mesure d’audience est strictement nécessaire donc exemptée de consentement. L’affiliation n’est qu’une exploitation des données statistiques de la mesure d’audience, elle devrait donc pouvoir en bénéficier. Surtout que l’article 82 de loi Informatique et Liberté sur lequel s’appuie la CNIL ne demande pas à ce qui est strictement nécessaire à la fourniture d’un service de communication en ligne ait pour finalité exclusive la fourniture de ce service.
Cette position aboutit à un non-sens économique
Certes, pour certains de ces acteurs, il pourrait être débattu du caractère strictement nécessaire du cookie pour que le service lui soit rendu. Toutefois, si ce service est rendu gratuitement à l'utilisateur, c’est parce que l’éditeur du service perçoit des revenus liés à l’affiliation.
De ce point de vue, les traceurs d’affiliation sont nécessaires à l’existence même du service. De fait, la position de la CNIL consiste à dire qu’il faut demander à l’utilisateur son consentement pour rémunérer un apporteur d'affaires. Demande-t-on à l’acheteur d’un appartement l’autorisation que le vendeur rémunère l’agence immobilière ? C’est un non-sens économique.
Cette position est excessive au regard de l’objectif de protection de la vie privée et pourrait être contre-productive
Cette position n’a pas ou peu d’effet du point de vue de la protection de la vie privée puisque l’objectif de l’affiliation n’est pas de suivre ou de collecter des informations sur des personnes.
En outre, elle pourrait avoir un effet pervers. On l’observe déjà ! De plus en plus de sites mettent en place des paywalls. Le choix qui s’offre à l’internaute devient donc simple : payer pour accéder aux contenus ou accepter les cookies, pas seulement ceux d’affiliation…, mais également tous les autres (dont certains sont potentiellement intrusifs).
De la même façon que la CNIL explique dans ses lignes directrices que la légalité des cookies wall doit être analysée au cas par cas, la façon dont les différents types d’acteurs de l’affiliation doivent se mettre en conformité devrait être analysée au cas par cas suivant les services qu’ils proposent et ne pas rentrer dans une qualification générale.
Cette généralisation ne pourra mener, à terme, qu’à un appauvrissement des services rendus aujourd’hui gratuitement aux internautes.
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