Les critiques se multiplient contre les réseaux sociaux qui concentrent le pire et le meilleur de nos sociétés. Certains internautes prennent une autre route pour reconnecter avec leurs passions et laisser s’exprimer leur créativité : cultiver leur jardin numérique. Le concept de « digital garden » n’est pas nouveau et se rattache en partie à l’esprit du blogging. Mais il est intéressant de comprendre à quoi peuvent servir ces espaces de création, qui fleurissent mieux en dehors des grandes plateformes sociales.
Qu’est-ce qu’un jardin numérique ?
Le concept de jardin numérique ne se limite pas à la création d’un blog personnel. Même si ces « digital gardens » peuvent nous rappeler la grand vague des blogs dans les années 2000. Souvenons nous que la plateforme WordPress avait été lancée en 2003 et que cette même année Google rachetait Blogger. Au plus fort de la vague, le mot « blog » était élu « mot de l'année » 2004 par le dictionnaire Merriam-Webster. A partir de 2007, Facebook, Twitter et Tumblr viendront ensuite faire basculer le grand public vers des comportements de « micro-blogging », bien éloignés de l’esprit d’origine des blogs, ou en relai pour ramener le trafic vers les blogs.
Il faut en fait creuser plus loin pour retrouver les racines du « digital gardening ». Jusqu’en 1998 et le concept de “hypertext garden” introduit par Mark Bernstein, fondateur et Chief Scientist d’Eastgate Systems. Eastgate est un éditeur spécialisé dans la littérature hypertexte, un genre initié avant même l’invention d’internet avec la nouvelle « Le jardin aux sentiers qui bifurquent » - The Garden of Forking Paths – publiée en 1941 par l’écrivain argentin Jorge Luis Borges. Une œuvre qui inspirera les mécaniques du livre-jeu, « livre dont vous êtes le héros », jusqu’au jeux vidéo actuels. Dans son propre digital garden, markbernstein.org, ce précurseur de la littérature hypertexte partage depuis le début des années 2000 ses passions très variées et notamment plus de 1032 recommandations de lectures.
Les jardiniers numériques se servent donc des plateformes de blogging mais aiment surtout personnaliser leurs espaces en customisant le code des pages. Ils peuvent aussi cultiver leurs pages Myspace and Tumblr, ou parfois de simple « wiki », pour y constituer des collections. En particulier des bibliothèques ou journaux moins formatés ou limités que ce qui est possible avec Facebook et Twitter. L’idée est plus de créer sa propre approche visuelle ou textuelle, de tenir une sorte de journal de sa passion, que de partager à destination d’une communauté. Les sujets sont en effet très niches ou personnels et la très grande majorité n’a pas vocation à faire le buzz.
A quoi sert un jardin numérique ?
Si cela ne fait pas le buzz, pourquoi donc cultiver son digital garden ? Dans un récent article, la Technology Review du MIT s’est intéressée au phénomène des jardins numériques et rappelle plusieurs grandes différences entre le blogging et le digital gardening. En premier lieu, « L’auteur d’un blog s’adresse à une audience, alors que le jardinier numérique cultive son jardin pour lui-même ». Il est important aussi de se rappeler que la métaphore du jardin est là pour indiquer une démarche de développement, de croissance. Un jardin n’est jamais fini, contrairement à la démarche du blogging ou un article une fois publié n’évoluera plus.
Un jardin numérique sera donc une démarche intéressante pour un créateur de contenu ou un entrepreneur qui souhaite garder trace de ses idées sans forcément avoir le temps ou l’envie de les formater.
Le jardin numérique peut donc être perçu comme une démarche hybride entre la veille, la curation, le mind mapping, mais aussi la méditation. Le tout au service de la créativité, et au final du bien-être. Enfin, à l’heure où les réseaux sociaux nous poussent plus naturellement à être consommateurs de contenus, cultiver son jardin numérique c’est reprendre le contrôle en étant créateur de contenu, mais sans la pression de la publication et des likes.
Comment faire un jardin numérique ?
Nous avons déjà parlé des plateformes de blogging comme Wordpress, et des plateformes de Microblogging comme Tumblr. Il est aussi possible d’intégrer des plateformes de collage comme Pinterest pour créer un « mood board » et l’intégrer dans son site. Mais il existe une grande variété d’outils plus spécialisés pour construire des espaces modulaires qui invitent à l’exploration des contenus et la navigation hypertexte.
. Tinderbox
Marc Bernstein, pionnier du digital garden, est aussi le designer de Tinderbox. Cet outil permet de visualiser, organiser et partager des idées, sous format texte ou visuel. L’exemple ci-dessous montre la grande variété des usages puisqu’il s’agit d’un mapping de langage de modèle dans du design de jeux vidéo.
Les outils suivants sont issus de la cabane de jardinage de Tom Critchlow, un consultant spécialiste des médias numériques, qui a notamment accompagné The New York Times, Google, Dotdash, Gartner, Etsy et Seatgeek. Source : son billet de blog « Building a digital garden ».
. Arena
Arena est un outil visuel d’organisation d’information pour structurer ses idées, trouver l’inspiration et se former en explorant. Il s’adresse aux artistes, designers et entrepreneurs créatifs. Arena n’est pas un réseau social. Ici pas de like, de publicité ou de contenu recommandé. L’idée est plutôt de créer sa bibliothèque de contenu, sans formatage de structure et d’explorer les contenus des autres membres (Arena étant gratuit jusqu’à 500 blocks de contenus partagés, et 50 blocks privé, et ensuite proposé à partir de 5$ par mois d’abonnement).
. Quip
Quip est un outil de traitement de texte collaboratif pour produire et annoter à plusieurs des documents. Les deux co-fondateurs de Quip sont un ancien CTO de Facebook et un ingénieur de Google à l’origine de Google Suggest. En 2016, Quip a été racheté par Salesforce et se présente donc désormais comme un outil de productivité et de collaboration d’équipe. Mais il est aussi possible d’exploiter les possibilités de cet outil pour créer un espace personnel ou partagé d’exploration d’idées. Comme dans l’exemple ci-dessous, un espace que son créateur a appelé « High cadence thoughts » (pensées à haute intensité).
. Jekyll
Jekyll est un générateur de site statique développé par Tom Preston-Werner, le fondateur de Github. Sous licence open source, il offre également l’hébergement sur github. C’est une alternative intéressant aux CMS commerciaux, à condition d’être prêt à rentrer un peu dans le code.
Quand on commence à s’intéresser aux jardins numériques on constate d’ailleurs que cette volonté de créer et customiser s’étend naturellement à l’outil qui permet de faire son jardinage. Pas étonnant donc que les jardins numériques soient encore très geeks.
. Mediawiki
Mais il est possible de se lancer sans le jardinage sans avoir besoin de coder, avec des plateformes de wiki comme MediaWiki (utilisé par l’ensemble des projets de la Wikimedia Foundation, des wikis hébergés chez FANDOM (wikis de fans de cinémas, tv, séries, jeux), et des wikis d’entreprises) .
Séverine Godet