Chronique d’une waiting list dystopique, ce qu’il faut en retenir et comment faire de son lancement produit un énorme hit au social (box) office.
Mystère et boule de gomme
“What is it ?” “It is what it is.” La question/ réponse a inondé les timelines Twitter. “Qu’est-ce que c’est ? Ni plus ni moins que ce que c’est”. Un service pour le moins mystérieux, propulsé produit du jour (product hunt) en l’espace de quelques heures, associé aux émojis 👁 👄 👁 et à une landing page sur laquelle on hésite à cliquer tant elle ressemble à du spam. Inutile de vous dire que toute personne opérant dans la tech et le social media a immédiatement tilté devant cette alléchante énigme, qui a immédiatement envahi les réseaux, notamment outre Atlantique, cœur névralgique du dispositif.
Mystère complet quant à son lancement : aucun texte de positionnement du produit ne transparaît, on n’est même pas certain du nom du service que l’on nommera It is what it is (IIWIS pour les intimes) ! Et pourtant de nombreux indices poussent les curieux dans mon genre à creuser.
- La landing page énigmatique et psychédélique. Des couleurs néons, des yeux émojis qui se baladent, une box au milieu pour récupérer le précieux sésame - votre mail - et si vous avez la chance d’avoir cliqué à partir de votre ordinateur avec l’audio activé, un remix d’Ameno du groupe ERA. Pour ceux qui découvrent la mélodie, il faut savoir que les paroles, écrites en latin-yaourt, sont totalement et délibérément dépourvues de signification.
- Trois comptes twitter au lieu d’un. Au lancement, le premier semble être le principal, https://twitter.com/itiswhatitisfm ; il mène sur un compte qui n’existe pas. Un second profil sur lequel on atterrit après avoir renseigné son mail, https://twitter.com/whatitisfm indique qu’il s’agit d’une “erreur” et renvoie vers un troisième compte https://twitter.com/itiseyemoutheye ; ce dernier indique que si vous voulez speeder votre processus pour obtenir l’invitation, vous pouvez faire un don à une oeuvre de charité https://thelovelandfoundation.org/ puis envoyer la preuve de votre donation par DM au 1er compte twitter qui vous permettra - peut-être - d’obtenir une invitation exclusive au service. Cela fait beaucoup de “peut-être”, non ? J’ai suivi le cheminement, et reçu un mystérieux message m’indiquant que si je faisais une donation, 50% pour le développement du produit et 50% pour soutenir cette cause, ce serait top. J’ ai donc répondu avec une capture d’écran de ma donation … pour la ligue contre le cancer. Après tout, je voulais le faire depuis un moment, autant soutenir un dispositif français.
- Une stratégie d’influence atypique. Éminent managing partner chez Andreessen Horowitz et figure importante de la technologie grand public, Andrew Chen a joué le jeu en postant un tweet étrange. Mais beaucoup d’autres leaders d’opinion connus de la tech semblent avoir été laissés pour compte dans ce cercle premium des bêta testeurs. Les quelques twittos qui ont relayé l’info sont bien souvent des designers ou products managers avec des audiences très relatives. Leur lecture de l’énigme : il s’agit du “réseau social du futur”, c’est un “game changer” etc.
- Le rite du culte. Le fait de créer un culte autour de son produit et ainsi de créer un lien fort, un sentiment d’appartenance avec son audience (un sujet déjà évoqué dans cet article). Ici, il s’agissait de rajouter sur son compte twitter les trois mystérieux emojis 👁️ 👄 👁️. Un moyen astucieux d’encourager le bouche à oreille.
Vous l’aurez compris, nous sommes face à une stratégie du marketing mystère, avec un tempo très particulier puisque soutenu. Des contenus UGC distillés avec une certaine cadence sur les comptes twitter, un copyright ajouté aux émojis, preuve que la sauce prend, puis une suppression d’un des trois comptes et une date 06/26 7PM PST - sorte de compte à rebours de la révélation, qui se fait attendre. Patience donc. En tout cas, ça marche et ça fait parler les curieux.
L’art du FOMO marketing
Ce qui est quand même assez fort, car au final … il n’y a aucun service ! Comme l’explique le VC Josh Constine, ce n’était ni plus ni moins qu’une blague, une parodie de la culture de l'exclusivité avec à la clé une collecte de fonds de 110 000 dollars pour la justice raciale. On applaudit la démarche ou on rit jaune ; dans tous les cas, il faut saluer la maestria marketing d’une opération - même si l’équipe indique que tout n’était pas planifié - qui pourrait tout à fait s’appliquer à de vrais lancements produits. En effet, on y trouve tous les ingrédients propres à une campagne virale :
- Contexte, pertinence et praticité : en période de crise, quoi de mieux que du divertissement ? Une chasse au trésor gamifiée ? Du renouveau ? Un moyen ludique et différent de connecter ses amis ? Une nouvelle app ? Un moyen inédit de communiquer ?
- Devise sociale : être un early-adopter, montrer qu’on est altruiste en donnant à une cause pour pouvoir bénéficier de l’accès VIP au service?
- Emotion : des gifs, des mèmes … des bombes d’émotions.
- Mais surtout… du FOMO marketing : jouer en plein la carte du fear of missing out, la peur de rater une info importante, un moment essentiel, et de ne pas être “in” dans le sujet dont tout le monde parle.
Or comment capture-t-on la puissance de cette expérience séculaire dans nos communications ? Avec du teasing, un compte à rebours, un sentiment d’exclusivité, en créant le sens de l’urgence et de la rareté, en faisant levier sur les contenus générés par les utilisateurs et en les partageant, comme le font si bien deux des comptes twitter cités en supra. Créer une campagne qui attire le consommateur et lui donne l'impression d'avoir vécu une expérience de collaboration unique et intense avec votre marque : c’est la clé pour obtenir sa participation. Une étude récente sur les millénaires canadiens a révélé que 68 % des personnes interrogées avaient fait un achat en réaction à une situation de FOMO, déclenchée par le fait d'avoir été témoin de l'expérience d'une autre personne.
L’épicentre : la waiting list !
Inscrite au coeur de cette stratégie du FOMO : la waiting list. A savoir cette landing page qu’on met en avant afin d’annoncer son produit et de proposer aux visiteurs de laisser leur email pour, selon les cas, bénéficier d’une invitation à tester le service en avant-première ou être notifiés dès que le service est officiellement lancé. Tout marketer qui se respecte sait à quel point cette page est importante, ce n’est pas pour rien que les outils se multiplient qui permettent d’en créer une rapidement. Certains vont même plus loin ; citons Landen ou Ship, une série d'outils développée par Product Hunt pour aider les start-up à générer du lead, à constituer une liste d'adresses électroniques pour communiquer avec leur public.
Quelques conseils pour une “killer waiting list” ?
- Associez votre landing page à vos réseaux sociaux, un peu de contenu voire une vidéo afin que vos premiers utilisateurs puissent partager quelque chose auprès de leurs audiences.
- Ne vous contentez pas de demander un mail. Si votre produit peut potentiellement susciter l’engouement, demandez aux visiteurs un peu plus d’engagement. Exemple ? Le service mail Hey vous invite à lui adresser un email expliquant pourquoi vous voulez être early-tester. Un moyen de générer du contenu mais aussi de gagner de l’insight supplémentaire sur les futurs utilisateurs.
- Gamifiez l'expérience ! Robinhood a obtenu près d'un million d'utilisateurs avant même que la société n'existe ; la Neo Bank Niyo a globalement utilisé le même process, à savoir indiquer votre position dans la “waiting list” et vous proposer de gagner (ou perdre si vous ne faites rien) des places (et de l’argent) en partageant le lien avec des proches.
Mystère, devise sociale, Fomo marketing, un peu de gamification… finalement générer du WOM - word of mouth - ce n’est pas si mystique. Et ce n’est certainement pas 👁️ 👄 👁️ qui nous dira le contraire !
Marie Dollé