L’influence marketing : elle ne cesse de se professionnaliser, entraînant de facto une explosion des dispositifs payants et la remise en cause des valeurs chères aux communautés : objectivité, authenticité, transparence … la crise de confiance s’installe, menaçant ce business florissant qui va devoir s’adapter, se repenser, reconquérir la confiance des communautés sans lesquelles il ne peut exister. Or certains signaux faibles laissent présager la mutation à venir. Décryptage.
- Influence : un marché complexe et prolifique
Vous êtes de ceux qui pensent encore que les dispositifs marques – influenceurs se résument à des tweets ou des posts sponsorisés ? Eh bien vous êtes loin, très loin, du compte. Ces derniers mois, les « tactiques marketing » – in fine c’est bien de cela qu’il s’agit – visant à faire levier sur la relation privilégiée entre un influenceur et sa communauté pour la commercialiser ont littéralement explosé.
Outre la désormais classique approche RP consistant à envoyer un CP et des produits gratuits à l’ambassadorship – summum de la relation marque / influenceur, il existe toute un flopée de dispositifs afin de maximiser l’opération de séduction auprès des communautés visées. Le tout opéré par des professionnels et des technos de pointe, car il va sans dire que de plus en plus d’influenceurs sont accompagnés par des agences et autres pros de la communication.
Les encarts publicitaires sont désormais bien souvent gérés par des régies spécialisées, les campagnes d’affiliation s’affranchissent des bit.ly pour investir des plateformes dernier cri ou des programmes dédiés élaborés par certaines marques comme Amazon. Quant aux opérations dites « événementielles », fastueuses, elles se déclinent à 360°, mêlant co-création, sponsorisation de contenus et encore jeux-concours. Rien n’est laissé au hasard pour faire fructifier son marketing d’influence et de manière spectaculaire, histoire de se distinguer des concurrents.
- Changement de paradigme en vue !
Bref on atteint actuellement des sommets en matière de monétisation … quitte à susciter le ras-le-bol : trop c’est trop ! Trop de placement de marque tue le placement de marque : le sponsoring nuit gravement à l’authenticité, annulant l’apparente « impartialité » de l’influenceur. Le risque imminent ? Engendrer lassitude et saturation dans un climat de crise de confiance déjà bien ancré … Le phénomène porte d’ailleurs un nom : les américains ont baptisé ces influenceurs boulimiques les serial brand influencers, c’est tout dire.
Fort heureusement, le vent commence à tourner. Des influenceurs plus sérieux et responsables ne font plus l’impasse sur la réglementation qui impose d’indiquer les promotions sponsorisées. Et ils n’hésitent pas à valoriser celles qui justement sont « authentiques » car non-monétisées par les marques. Plusieurs youtubeuses comme Enjoy Phenix ou Horia vont plus loin, claironnant qu’elles refuseront désormais les cadeaux presse envoyés par les enseignes. La célèbre Marie n’a-t-elle pas confessé recevoir plus d’une dizaine de colis par semaine, jugeant la situation « irrespirable » et « anxiogène » ?
Pour sûr, d’autres « macro » influenceurs (selon la terminologie en vogue ) vont emprunter cette voie, adoptant au passage une démarche RSE, défendant les causes qui leur sont chères en s’appuyant sur les marques pour mener à bien cette mission sociétale. La star du web Jérôme Jarre a ainsi été l’un des premiers à lancer un appel aux dons pour la Somalie, mobilisant près de 100 000 personnes en 10 jours, impliquant des enseignes comme Turkish Airlines qui a affrété un avion pour acheminer l’aide humanitaire gratuitement. En somme, un beau changement de paradigme … et un win-win réputationnel aussi bien pour la marque que pour l’influenceur, qui fait montre d’un opportunisme évident.
- Des alternatives financières ?
Et d’un sens absolu de l’autonomie : hier recherchée, la dépendance financière aux marques semble aujourd’hui bien trop lourde à porter. Il faut la compenser, lui trouver une alternative. Évoquant l’étude réalisée par l’agence Reech dont il est le fondateur, Guillaume DOKI-THONON, explique : «les influenceurs essayent d’autres modes de revenus que les partenariats, toujours dans le but de pouvoir vivre de leur passion. Il faut rappeler que 85% d’entre eux ne vivent pas de leurs partenariats avec les marques & sont influenceurs en activités secondaires ». Ils doivent donc varier les modes de monétisation.
- Certains influenceurs américains ou australiens expérimentent des stratégies freemium, installant des paywalls pour accéder à l’intégralité de leurs contenus … quand ils ne misent pas sur des systèmes d’abonnement purs et simples. Faites le calcul : 3 ou 4 euros par mois pour un utilisateur, cela peut sembler dérisoire … mais avec 100 000 abonnés prêts à mettre la main au porte-monnaie, la stratégie peut rapidement s’avérer très lucrative, même si 20% seulement de l’audience saute le pas de l’abonnement. L’avantage ? Diversifier les sources des revenus. L’inconvénient ? Déplaire à plusieurs, même s’ils sont des fans de la première heure. L’option n’est cependant pas incongrue ; en Chine, depuis plusieurs années déjà, des plateformes comme Fenda proposent à leurs usagers de poser des questions à des célébrités / influenceurs et d’obtenir une réponse moyennant une rémunération.
- Les influenceurs peuvent aussi valoriser leur expertise sous forme de consulting auprès d’une marque ou de ses audiences, en parallèle de leur ligne éditoriale sur les différentes plateformes sociales. Une option profitable : aucun risque d’entacher leur authenticité et une belle occasion de mettre en avant leur force créatrice. L’agence Reech dénombre de nombreux cas, ainsi Capucine Goalard et sa formation « Instrapreneur pro », le coaching des influenceuses sportives comme Lucile Woodward ou Sissy Mua, les ateliers DIY proposés par Make My Lemonade alias Lisa Gachet ou le studio créatif de stop-motions d’Elsa Muse. Bref c’est une stratégie largement développée.
- Autre piste particulièrement intéressante, la voie entrepreneuriale, comme c’est le cas pour Léo Pask avec sa gamme de bougies ou Raphaël Simacourbe et ses collections de vêtements. Dans certains cas, on peut miser sur un secteur qui n’a aucun lien avec l’expertise de départ. FannyB aka Play like a Girl a tracé la voie en postant ses looks sur les plateformes sociales … et en lançant en parallèle son coffee shop parisien. Une approche qui évoque celle des célébrités, promptes à agir dans tous les domaines. Kim Kardashian notamment multiplie les apps (Kimojis à son effigie ou encore Screenshop, sorte de Shazam des vêtements).
- Dernière solution, plus traditionnelle mais récemment remise au goût du jour, celle du don, comme l’a fait la bloggeuse Mango and Salt. La pratique est du reste courante sur la plateforme de streaming et de jeu vidéo Twitch. Ainsi la fonctionnalité « Cheers » permet aux utilisateurs de supporter financièrement leurs streamers favoris via le chat et grâce à un système d’émotes animés (les émotes sont des émoticônes affichées dans le chat Twitch qui mettent généralement en vedette les visages de streamers célèbres, d’employés Twitch ou de personnages fictifs utilisés pour exprimer une variété d’émotions). A la clé pour l’usager, un badge de « supporter » qui témoignera de son soutien envers ce streamer. De quoi inspirer les autres plateformes sociales et leurs influenceurs ?
Cette liste est loin d’être exhaustive … car les influenceurs se montrent de plus en plus inventifs pour varier les canaux de monétisation et pérenniser une activité qu’ils vivent intensément mais qui trop souvent les dévore. Peut-on en déduire qu’ils sont en train de repenser la logique de l’auto-entreprise et que les évolutions de leurs business models doivent servir de source d’inspiration ? La chose est à méditer à l’heure où ce secteur s’engorge, où de plus en plus de jeunes envisagent ce qui était jadis un passe-temps comme une carrière sérieuse et un vecteur de réussite financière et sociale. Ce qui est sûr, c’est que l’influence marketing constitue un vivier de talents autant qu’un laboratoire économique boosté par une ingéniosité sans limites. Une impulsion pour les entreprises du futur, assurément.
MD