Si vous êtes un observateur averti des réseaux sociaux vous avez certainement au moins une fois entendu parler de Quora, peut être en décembre dernier quand ce réseau social a annoncé avoir été victime d’un piratage massif touchant 100 millions de ses utilisateurs. Mais avez-vous en tête ce qui fait la spécificité de cette plateforme ? Car Quora valorise particulièrement ses contributeurs, non seulement dans l’attention qui leur est accordée mais aussi par le partage de revenus publicitaires. Alors posons les bonnes questions, car Quora est peut-être un laboratoire de l’évolution future des réseaux sociaux.
Qu’est-ce que Quora ?
Quora est un lieu où l’on peut partager des connaissances et enrichir son savoir, en choisissant de poser des questions ou d’apporter des réponses sur des sujets divers comme l’informatique, la philosophie, les jeux-vidéos, la famille, la musique, les politique, les voyage, etc. Quora a été lancé en 2009 par deux anciens de Facebook (Adam d'Angelo et Charlie Cheever). La version francophone a été lancée à Paris le 28 avril 2017. Les versions en espagnol, italien, allemand, japonais, hindi, indonésien et portugais existent également et 8 autres langues sont actuellement en beta.
Quora repose pour le moment sur des financement privés (4 séries de levées de fond auprès de 14 investisseurs ont permis de lever 226 Millions de dollars, notamment auprès de l’accélérateur Y Combinator), et sur les revenus publicitaires (300 annonceurs au moment de l’ouverture générale de la publicité en mai 2017). Quora serait actuellement valorisé autour de 1.8 milliards de dollars.
Qui sont les utilisateurs de Quora et combien sont-ils ?
En septembre 2018 Quora déclarait 300 millions d’utilisateurs uniques chaque mois. Un dynamisme intéressant à comparer aux 326 millions utilisateurs mensuels de Twitter (Q3 2018) et à la défiance croissante autour de Facebook, réseau encore dominant avec 2.3 milliards d’utilisateurs actifs dans le monde.
Certaines communautés d’experts sont particulièrement présentes et actives sur Quora, avec de nombreux entrepreneurs (41.6 millions d’abonnés au sujet « business », 4.9 millions au sujet « entrepreneurship », 64 000 abonnés sur le Quora francophone au sujet « Tendances technologiques »), informaticiens (51.9 millions d’abonnés au sujet « Technology », ce qui fait de Quora aux USA un concurrent de Stack Overflow), universitaires (48.2 millions d’abonnés au sujet « Science ») et tout simplement des passionnés (26 millions d’abonnés au sujet « cooking » sur Quora.com et 191 000 abonnés au sujet « alimentation » sur le Quora francophone !). Cette communauté a aussi pu attirer pour des sessions de Q&A des invités prestigieux comme Barack Obama ou encore le premier Ministre Canadien Justin Trudeau.
En quoi Quora se différencie des autres réseaux sociaux ?
- Le principe de Questions et Réponses
Les utilisateurs de Quora contribuent à la connaissance, aussi bien en amenant leurs réponses aux questions des autres qu’en posant les questions auxquelles d’autres voudront répondre.
- Le refus de l’anonymat des membres
Les contributeurs doivent se créent un profil sous leur vrai nom, une pratique contrôlée par l’équipe de modération mais aussi par les contributeurs. Pour certains sujets sensibles, liés à la politique ou la santé par exemple, il est cependant possible de poser des questions ou de réponde en mode « anonyme ». Les utilisateurs de Quora sont souvent les premiers à protéger la qualité de la plateforme en bloquant les comptes fantaisistes ou ne respectant pas le code de bonne conduite de Quora (le BNBR : Be Nice Be Respectful, que l’on peut traduire par Soyons Courtois et Respectueux).
- Le rôle de l’humain dans la modération du site, assistée par l’Intelligence Artificielle
Les « Quorans » ont la possibilité d’attribuer des votes négatifs aux questions et aux réponses, de commenter sous chaque question et même de suggérer des modifications dans les questions et réponses. Les équipes de Quora dans chaque pays sont présentes sur le site et disponibles pour répondre aux questions des autres quorans. Bien sûr il serait utopique de penser que Quora échappe au spam ou encore à l’astroturfing (technique de propagande manuelle ou algorithmique sur internet). Quora investi donc notamment dans l’intelligence artificielle et le deep learning pour détecter le spam ou encore suggérer des contenus à ses utilisateurs. En novembre dernier, Quora organisait ainsi un Kaggle challenge avec des développeurs autour d’un jeu de données de 1.3 millions de questions, pour détecter le « contenu toxique » au sein de la plateforme (questions non sincères, trolling, etc.).
- La logique de valorisation des contributeurs
Les meilleurs contributeurs de Quora sont récompensés chaque année par la reconnaissance de leur statut particulier. Le titre de « meilleur auteur » (best writer) est indiqué sur leur profil et symbolisé par une plume d’écriture. Au-delà de la « valorisation » amenée par cette attention aux contributeurs, Quora partage également une partie de ses revenus publicitaires avec les auteurs de questions de qualité et génératrices de trafic. Quora a ainsi lancé en 2018 un programme partenaire dont les participants sont pour le moment des quorans sélectionnés, soit pour la qualité de leurs contributions ou leur capacité à explorer des sujets particuliers, susceptibles d’intéresser les annonceurs. Une partie des revenus publicitaires générés par leurs questions leur est réservée pour un an à compter de la date de postage des questions.
Que peut nous apprendre Quora sur l’évolution possible des réseaux sociaux ?
« Si c’est gratuit, c’est vous le produit », une phrase de Derek Powazek souvent utilisée à toutes les sauces pour parler d’internet et des réseaux sociaux. La vraie question est désormais de savoir comment le gâteau publicitaire peut être équitablement partagé entre les investisseurs et les contributeurs d’une plateforme.
La réponse de Youtube est de réserver la monétisation aux chaînes comptant plus de 1000 abonnés et surtout plus de 4000 heures de visionnage sur l’année précédente. Les Youtubeurs capables de générer un revenu restent rares et ces revenus sont plutôt issus de partenariats avec des marques ou de dividendes versés par des sociétés de production.
La réponse de Quora est pour le moment de rémunérer des partenaires sélectionnés pour la qualité de leurs contributions précédentes et sur leur capacité à générer du trafic. Pourquoi rémunérer ceux qui posent des questions apporteuses de trafic, pas ceux dont les réponses font aussi la richesse de ce réseau atypique ? Parce que selon les créateurs de Quora c’est d’abord une bonne question qui va amener les internautes à répondre et interagir sur la plateforme, et qui in fine pourrait aussi générer du trafic externe via les résultats de moteurs de recherche. Quora est donc finalement une machine à générer de la « longue traine » sous forme de questions et réponses rédigées en langage naturel, car rédigées par des humains.
D’autres plateformes ont pris la même décision que Quora, comme Medium qui rémunère les contributeurs pour ses contenus accessibles derrière un paywall à 5 dollars par mois. Medium a indiqué que le plus gros paiement réalisé en faveur d’un auteur est à date de 2 279.12 dollars, le plus gros paiement pour une seule publication a été de 1 466.68 dollars et la rémunération moyenne des auteurs de 93.65 dollars.
Le contenu de qualité, capable d’attirer des lecteurs et des annonceurs a donc une valeur qui peut être plus équitablement distribuée.
Quelles est la valeur d’un bon contenu sur Quora ?
Du côté de Quora, sur le dernier semestre 2018, le plus gros partenaire de la plateforme a gagné 26 897 dollars, en posant 8 000 questions, soit environ 45 questions par jour et une valeur moyenne de chaque question de 3.36 dollars. De façon plus réaliste, le top 10 mondial des partenaires a réussi à gagner en moyenne 9 189 dollars avec chacun 11 256 questions soit 61 questions par jour et une valeur moyenne de questions de 0.81 dollars. Des informations plus détaillées sur la valeur des questions, le trafic généré, l’origine du trafic (interne à Quora ou externe via les moteurs de recherche) et le nombre de publicités servies est également accessible au quorans membres du programme partenaire. Cette transparence a pour but de leur permettre de connaître les sujets les plus apporteurs de trafic, et donc de cibler leurs propres efforts pour apporter des questions et réponses de qualité.
Qualité des contenus, modération humaine et assistée par l’IA, refus de l’anonymat, transparence des revenus publicitaires et meilleur partage des revenus… et si le modèle Quora était précurseur de l’évolution à venir des réseaux sociaux ? A suivre…
Séverine Godet