Ce n’est pas un scoop : les marques peinent de plus en plus à émerger sur les réseaux sociaux, à générer des comptes qui suscitent l’engouement. Un constat corroboré par l’étude Opinion Way pour Wide : 79% des Français déclarent ne pas suivre les pages des marques. De quoi s’interroger : sommes-nous à l’aube d’une mutation profonde ? La mise sous silence amorcée par Facebook et consort dans le but de restaurer les « vraies » interactions va-t-elle se renforcer ? Quelle place pour les marques dans ce contexte ? Décryptage.
La fête est finie !
Flashback : 2008, les premières marques déboulent sur Facebook, nouvel eldorado des marketeurs et des communicants dont les yeux pétillent face aux possibilités presque infinies qu’offre ce nouveau canal « owned » (référence au triptyque paid / owned / earned, l’owned désignant un média qui appartient à la marque). Cerise sur le gâteau, cette opportunité est gratuite ! Que demander de plus ? Mais rapidement le rêve vire au cauchemar, le retour à la réalité tient de la douche froide : les marques prennent petit à petit conscience que leurs pages ne leur appartiennent finalement pas puisqu’elles sont dépendantes du bon vouloir des « media owners » qui n’hésitent pas à modifier CGU et fonctionnalités au gré de leurs envies. Leur situation tient donc plus du bail, qui plus est précaire ! Quid de la gratuité ? Avec une portée organique de l’ordre de 3% sur une page Facebook, difficile d’envisager une présence digne de ce nom sans passer par la case pub … ce qui n’implique du reste pas des contenus médiocres, bien au contraire ! Les plateformes sociales travaillent pour promouvoir l’avènement d’une publicité à valeur ajoutée, « servicielle » et qui apporte du sens. Rien que ça !
Ce phénomène est renforcé par la crise que traversent les plateformes sociales elles-mêmes : fake news, polarisation des idées, piratage de comptes, siphonage des données des utilisateurs, et on en passe des vertes et des pas mûres ! Cette crise étant loin d’être purgée, la mutation qui s’annonce se doit d’être profonde. Objectif ? Se refaire une virginité sous des airs de « tech for good ». Et force est de constater que depuis le début de l’année, Zuckerberg & Co n’y vont pas de main morte pour montrer comment ils vont, grâce à leurs services, contribuer au bien-être général : outils assurant la transparence des publicités ou comptabilisant le temps passé sur la plateforme, hackathons pour neutraliser la désinformation, mesures contre le harcèlement, déploiement d’équipes dédiées au bien-être sur leurs plateformes, suspension des comptes abusifs… la liste est loin d’être exhaustive. Intérêt général ou génération d’intérêts ? « Question de sémantique » vous répondrait sans doute un Marck Zuckerberg désormais façonné par d’interminables sessions de coaching de communication de crise (pour autant efficaces ?).
Dans tous les cas, la conséquence reste la même : les marques trinquent ! Pourtant, elles n’ont pas lésiné sur les moyens pour s’approprier les codes en vogue : émojisation des tweets, micro-vidéos à la « brut », visuels sur Instagram à l'esthétique aussi léchée que des pages de magazines, stories truffées de quizz et questions en tout genre… Le problème ? Tout cela se ressemble et l’homogénéité engendre la monotonie. Quant à l’authenticité chère aux utilisateurs, on repassera… Pas étonnant que les consommateurs aient de moins en moins confiance dans le discours des marques ! Il ne s’agit pas pour autant de tirer des généralités. Certaines enseignes arrivent à tirer leur épingle du jeu … parce qu’elles ont déjà opéré un virage à 180° !
Une nécessaire personnification
Et cela tient en deux concepts forts : l’humain et la communauté, voire le porte-parole des communautés (pour changer de « l’influenceur », terme à la mode mais véritable fourre-tout sans contours précis). Dans le détail ?
- L’humain importe car notre époque a tendance à s’automatiser de plus en plus ; l’essor de l’IA favorise l’échange entre intelligences émotionnelles. Le véritable défi consiste donc à réintégrer notre humanité, c’est-à-dire ce qui fonde notre singularité d’être humain. L’enjeu ? Comme l’explique la consultante Virginie Rio-Jeanne dans un entretien pour HBR : « L’homme augmenté de demain n’est pas celui qui a un smartphone dans la main, une puce électronique sous la peau et des « Google-Glass » sur le nez, mais bien celui qui avance en étant connecté à ce qui fonde son humanité. » Ce constat s’applique aux marques qui ont besoin de se reconnecter avec leurs audiences. Cela passe par une nécessaire personnification de la marque, appuyée ET incarnée par ses employés, ses partenaires, ses audiences etc.
- Deuxième point important : les communautés. Un point qu’explicite parfaitement le consultant et blogueur Stéphane Schultz : « La véritable révolution de ces vingt dernières années n’est pas technologique : c’est la capacité qu’ont certains acteurs à fédérer des communautés pour les faire passer à l’échelle. » Nous ne sommes qu’aux prémices d’une révolution certaine. Car si cela est vrai pour une présence sociale, la question peut se poser au niveau d’une stratégie globale. Demain, de plus en plus de marques s’appuieront spécifiquement sur une communauté perçue comme un élément intrinsèque du produit lui-même. Vendra-t-on une communauté lorsqu’on vendra un produit ? C’est toute la question. Quoi qu’il en soit, la marque sera là aussi en quelque sorte reléguée et portée par sa communauté.
Simon Menard est le fondateur de l’enseigne Gellé dont l’objectif est de donner en toute transparence la parole aux femmes dans le développement de leurs produits de A à Z. Il adopte un positionnement conjuguant humain et communauté, ce qui est en tout point contraire à la stratégie des marques « traditionnelles » qui répondent avant tout aux obligations du marché (concurrence, distribution, économie d’échelle etc). Gellé, explique-t-il, n’est pas une « marque » qui revendique la paternité des produits mais plutôt un « label » qui garantit ses valeurs (sincérité, clean-beauty, empowerment, crowdsourcing…) tout en mettant son savoir-faire au service de la communauté. Une vision qui se reflète dans son compte Instagram…
Quand la marque s’efface…
Poussons le raisonnement un peu plus loin… La marque elle-même est-elle amenée à disparaître des réseaux sociaux ? Selon nous, oui, d’une certaine façon.
Tout d’abord on note un changement important : moins soumis à la dictature impitoyable des algorithmes, les groupes sont en plein essor ; parfois pilotés par des marques, ils répondent néanmoins à des thématiques bien précises où le nom de la marque tend là aussi à disparaître.
- Ainsi Marmiton se distingue avec ses différents groupes « Qu’est-ce qu’on mange ? » ou encore « Cuisiner pour moins de 3 euros » (oui, visiblement c’est possible), groupes très ciblés qui permettent avant tout de répondre aux véritables besoins des consommateurs.
- Un autre exemple pousse le raisonnement un cran plus loin : depuis sept ans, chaque semaine le compte Twitter officiel de la Suède était confié à un habitant ou une habitante du pays ; ce qui relève du « social takeover » à grande échelle mériterait d’être déployé par les marques de façon régulière et pas seulement ponctuelle.
- Citons également cet exemple qui date de 2011, sans doute un peu trop avant-gardiste pour l’époque mais qui prouve que certains experts avaient déjà bien saisi l’ADN des réseaux sociaux. Lorsqu’on se rendait sur le site web de l’agence i&e (qui a depuis fusionné avec Burson Marsteller pour devenir Burson Marsteller i&e) et que l’on souhaitait accéder à son compte Twitter, un message indiquait que cette entreprise avait fait le choix de ne pas avoir de « profil » société mais en revanche mettait en avant tous les comptes sociaux des collaborateurs classés en fonction de leur expertise.
Tous ces signaux faibles en disent long sur le besoin d’une mutation à mettre en œuvre. Il y a fort à parier que la marque sociale sera bientôt décentralisée, personnifiée et déléguée à ses communautés. Un gage ultime de transparence et de confiance ! Problème : cela suppose notamment de s’éloigner des canons de la communication corporate, revoir sa raison d’être et accepter une perte de contrôle…. Les marques sont-elles prêtes à cette mutation de fond ? Rien n’est moins sûr…
MD