La monétisation est un enjeu crucial pour les éditeurs d’Applications mobiles. Ces deux dernières années, l’abondance de l’offre, les conditions des Appstores, les freins à la découverte mobile ont rendu l’accès au marché plus difficile.
Quelles sont les bonnes pratiques en matière de monétisation des Applications mobiles ? Trois experts : Jean-Baptiste Hironde, CEO d’Edjing, Alexis de Charentenay Directeur du Business Developpement d’Adictiz, et Grégoire Mercier, CEO et fondateur de Mobinlife partagent leurs avis sur Viuz.
VIUZ- Quelles sont les KPIs essentielles à connaitre en matière de monétisation ?
Jean-Baptiste Hironde : Bonjour à tous,
Tout d’abord pour ceux qui sont intéressés, j’ai déjà réalisé une tribune sur les kpi du mobile en général que vous trouverez ici. Pour reprendre les grandes lignes, je dirais que quelque soit votre business model ce qui compte est de suivre votre ARDL (average revenue per Download) et votre APDAU (average revenue per daily active user) et ou ARPMAU (average revenue per Mounthly active user) selon l’usage de votre application.
Dans le cas d’edjing nous suivons l’ARPMAU et l’ARPDL car son utilisation est davantage mensuel que quotidien. Effectivement nos users ne font pas chauffer le dancefloor tous les jours et de ce fait nous ne pouvons pas résonner sur un ARPDAU. Une autre donnée que nous suivons et qui est très liée à l’usage d’edjing, est le panier moyen du client qui dépasse les 15€ sur edjing pour Android. Cependant il faut savoir que les App de musiques monétisent moins bien que les jeux, Grégoire est d’ailleurs bien placé pour le savoir.
Grégoire Mercier : Concernant la monétisation, on peut principalement citer l’ARPU (average revenue per user). Au-delà de 0.10€ par téléchargement, on considère l’application comme ayant un potentiel intéressant. Les bons jeux du marché dépassent les 0.50€, et les bestsellers vont bien au-delà de 1€ par téléchargement. Pour estimer les revenus d’une application sur une période courte, on peut évoquer l’ARPDAU : l’ARPU par Daily Average User (= le revenu moyen par utilisateur ouvrant l’appli un jour donné). Les jeux performants dépassent les 0.05€, voire les 0.10€, et parfois bien plus. Mais toutes ces métriques sont à relativiser car elles sont également fonction du type d’application: certains jeux casual grand public (ex: Draw Something) attirent beaucoup d’utilisateurs et font donc naturellement beaucoup de téléchargements. Mais parce qu’ils sont très casual et faciles d’accès ils monétisent moins bien que d’autres jeux gamers segmentants ayant des mécaniques de gameplay plus complexes et beaucoup de contenus (ex: Clash of Clans).
Alexis de Charentenay : Le premier challenge c’est déja de bien définir les KPI et de se limiter, trop de données pouvant “tuer” l’analyse. On peut séparer les KPI en 4 parties :
Il y a ceux liés au Trafic (nombre de nouveaux users, le % de nouveaux users par rapport à la masse, le nombre d’utilisateurs actifs quotidien), ceux liés à la considération et l’engagement (temps passé par les utilisateurs, nombre de parties par user, la viralité) mais aussi La rétention (notamment lors des 15 premiers jours, le churn, …) et enfin la monétisation (ARPDAU, taux de transformation, panier moyen).
VIUZ- comment articuler la monétisation dans les modèles Freemium ?
Grégoire Mercier : Il existe 3 sources principales de revenus pour une application freemium : l’in-app purchase, c’est à dire l’achat de biens virtuels avec de la monnaie réelle. La pub display (bannières, interstitiels, vidéos). Et les publicités incentivées, pour lesquelles les utilisateurs sont incités à interagir avec la pub en échange de récompenses (ex: regarder une vidéo ou télécharger une appli pour recevoir de l’argent virtuel). La répartition des revenus entre ces 3 sources varie en fonction des applications et de la manière dont elles sont intégrées. De manière générale, plus un jeu est complexe, plus il possède du contenu riche à vendre et des mécaniques de monétisation aboutie, plus on privilégiera l’in-app et on évitera la publicité.
Alexis de Charentenay : Dans le cas d’Adictiz on parle de jeu et le modèle freemium c’est quelque part de l’art : donner suffisamment envie à quelqu’un de payer pour un contenu accessible gratuitement. C’est quelque part comme si vous alliez au cinéma gratuitement et qu’à la fin du film vous payez…ou pas! Le but de la manoeuvre: divertir, rewarder et frustrer le joueur. Pas trop mais suffisamment pour qu’il passe à l’acte. Le point important dans notre cas: le volume de joueurs, important (4 millions de MAU), très précieux et nécessaires sur des modèles ou 1% des utilisateurs passent à la caisse.
Jean-Baptiste Hironde : Concernant les trois axes de revenus évoqués par Grégoire (Pub/affiliation, Pub incentivé et in-app), je conseillerais de privilégier au maximum les in-app purshases. C’est un mode de revenu que vous maitrisez entièrement et qui vous permet de garder votre indépendance. Ce n’est pas le cas de la publicité où vous êtes tributaires des régies et de leur « vide d’inventaire » publicitaire, un problème rencontré très fréquemment pour des app comme edjing qui sont téléchargées dans plus de 170 pays.
De plus les business model basés sur la pub ne font plus rêver les investisseurs surtout en Europe !
Cependant j’ajouterais un quatrième axe, et non des moindres, la vente de produits dérivés lié à la marque. Je citerais comme exemple Angry bird qui a réalisé, en 2012 selon Forbes, 45% de ses bénéfices grâce aux ventes de produits dérivés de son célèbre jeu. Pour une app comme edjing il est donc évident que la vente de contrôleur ou d’accessoire DJ pourrait peser 40 à 50% dans la balance et donc doubler notre CA.
VIUZ : iOS est -il plus rentable qu’Android ? Cela est-il en train de changer ?
Alexis de Charentenay : iOS reste plus rentable qu’Android, et d’assez loin, même si la tendance est à la hausse côté Android. L’éco-système mis en place par Apple comporte clairement moins de frictions qu’Android, mais le succès des appareils derniers cris qui tournent sous Android (Galaxy S4 and co) ainsi que le volume impressionnant d’Android permet de contre balancer la rentabilité par utilisateur d’iOS. On parle, dans le cas d’Android, de plus d’un million d’activation de devices Android dans le monde par jour. C’est massif.
Jean-Baptiste Hironde :Je suis d’accord avec Alexis. Pour edjing l’ARPDL (revenu moyen par téléchargement) sur Android est deux fois inférieur à celui d’IOS, mais nous faisons deux fois plus de volume sur Android que sur IOS donc en fin de compte tout le monde s’y retrouve. Je pense que la tendance ne va pas s’inverser mais s’améliorer pour Android, car l’expérience d’achat sur Android est assez moyenne dans l’ensemble et 58% des terminaux tournent maintenant sous Android 4.0 ou des versions supérieures. Qui dit de meilleurs terminaux dits une meilleure monétisation !
Grégoire Mercier : Il faut partir des raisons pour lesquelles Android est moins rentable pour comprendre pourquoi cela change aujourd’hui. Il y a 4 raisons principales :
1. A cause de la fragmentation des devices, il est plus compliqué pour un développeur d’avoir une application de qualité sur tous les téléphones Android du marché.
2. les téléphones Android sont souvent d’entrée de gamme et leurs utilisateurs ont donc un budget plus faible une appétence moindre pour les applications.
3. Ces téléphones étant entrée de gamme, l’expérience de jeu est souvent moins bonne.
4. le système de facturation Google est moins efficace qu’itunes, ce qui complexifie le parcours d’achat in-app et réduit donc la monétisation.
L’expérience utilisateur est donc historiquement moins bonne que sur iOS, mais cela évolue fortement car Google et les constructeurs Android améliorent l’écosystème. Par exemple: Quand je regarde les stats de monétisation de notre jeu Phone Fight sur des téléphones Android récents (Samsung Galaxy S3…), on retrouve des métriques proches d’iOS.
VIUZ : Quels conseils donneriez vous aux développeurs d’Apps indépendants en matière de monétisation ?
Jean-Baptiste Hironde :Je pense que la première chose à faire est de réfléchir plus généralement au business model à adopter dans son app, car toutes les apps ne sont pas monétisables en freemium. Vous devez trouver où est la valeur ajoutée dans votre service puis par la suite trouver un support de monétisation, Freemium, premium, Free+Pub etc…
Après ce n’est pas rédhibitoire car pour notre part nous avons mis en place les logiques de monétisation 1 an après le lancement de notre application, travail que nous avons réalisé avec l’excellent Grégoir Mercier ici présent ! Etant sur une tendance forte et sur un marché en croissance nous n’avions pas d’impératif de monétisation à court terme comme cela peut être le cas avec les jeux.
Grégoire Mercier : Nous le répétons souvent à nos clients lorsque Mobinlife réalise du conseil en monétisation pour une de leurs applis: il faut dédier 50% de son énergie à la conception de mécaniques de monétisation efficaces et il faut accepter d’intégrer des leviers marketing au sein même de l’appli. Dans le cas du jeu, il est souvent difficile pour un game designer d’accepter de “pervertir” son jeu en mettant en place des mécaniques de promotions prix, de mise en avant de contenus, de ralentissement du gameplay pour inciter les joueurs à payer, etc. Mais sans cela très peu de joueurs iront par eux-mêmes dépenser leur l’argent.
Alexis de Charentenay : Placer la monétisation lors de la conception du contenus, et non après ou avant la conception. Dans le cas d’un jeu, l’aspect fun est crucial, mais sans réflexion sur la monétisation lors de la conception le risque est de se tirer une balle dans le pied. L’autre conseil porte sur l’analyse : tracker, analyser, et itérer. Un jeu 6 mois après son lancement peut être à 90% différent de la mouture initiale.