Après le succès de Blablacar, Frédéric Mazzella se lance dans une nouvelle aventure : le don via les entreprises. Il a fondé Captain Cause, une plateforme pionnière du dift (pour Don + Gift). Face au succès de l'utilisation du mot dift par ses clients entreprises, la société vient de changer son nom, pour devenir Dift.
Rencontre sous le signe de l’utilité et de l’impact à grande échelle.
Après le succès de Blablacar, pourquoi fonder une autre entreprise dans un secteur complètement différent ?
Après m'être éloigné des opérations chez Blablacar, dont je reste Executive Chairman, j'ai retrouvé beaucoup de temps et allégé ma charge mentale. Diriger une entreprise implique non seulement un travail intense, mais aussi une énorme responsabilité. À un moment, j'ai commencé à réfléchir à ce que je voulais faire ensuite. La première fois que j'ai créé une entreprise, je l'ai fait naturellement, sans trop me poser de questions. Mais aujourd'hui, avec l'expérience et l'âge, je sais qu'il me faut une vraie raison pour m'investir dans un nouveau projet.
Mon principal moteur est de me sentir utile. Je l'ai réalisé avec Blablacar quand j'ai entendu des gens à une terrasse parler de leur trajet via notre appli. Ils étaient excités, montraient l'application qui à l’époque s’appelait “Comuto” sur laquelle j'avais passé des nuits à travailler. À ce moment-là, je me suis dit : "Wow, ce que je construis est vraiment utile." Ça a confirmé mon envie de créer des choses qui servent à beaucoup de gens, et c'est ce qui me motive.
Pourquoi Dift ?
J'ai fondé Dift en partant d'une mission plutôt que d'un besoin personnel, contrairement à Blablacar. Le déclic est venu quand j'ai vu des jeunes manifester pour le climat, avec entre autres un slogan qui m’a frappé : "Quand je serai grand, je voudrais être vivant". Si les jeunes n'ont plus d'espoir, c'est vraiment inquiétant. Cette éco-anxiété touche 75 % de la génération Z, terrorisée par l'avenir.
Ce qui m'a marqué, c'est que les associations qui agissent pour le bien commun manquent cruellement de moyens. Elles ont des missions énormes, que ce soit la protection de la biodiversité, le nettoyage des océans, ou encore le soutien social, mais elles sont sous-financées.
Il faut des milliards pour vraiment faire la différence, et c'est là que je pense pouvoir aider. L'ensemble des dons en France, c'est 8,5 milliards personnels et entreprises compris, aux États-Unis, c'est 500 milliards. En France, nous nous confrontons à un problème culturel : on pense que l'État doit tout gérer, par conséquent les gens se sentent dé-responsabilisés après avoir payé leurs impôts.
Comment êtes-vous passé de l’idée à l’action ?
Dift est né d'une idée simple : aiguiller l'argent des entreprises vers des associations qui accomplissent des actions importantes mais manquent de moyens. Les entreprises, notamment via leur marketing, dépensent des milliards. L'idée est de rediriger une partie de ces fonds vers des causes sociales et environnementales.
En parallèle, 93 % de la population française est frustrée et ne sait pas comment agir face aux crises globales, comme le dérèglement climatique. Beaucoup pensent que ce sont les grandes entreprises qui doivent prendre l'initiative. Cela crée une pression sur les dirigeants d’entreprises, qui se retrouvent dans des situations où quoi qu'ils fassent, ils sont critiqués.
C'est là que Dift intervient. L'idée est de permettre aux clients de choisir où une partie de l'argent de ces entreprises devrait être investie. Dift résout plusieurs enjeux : des associations manquent de moyens, des gens veulent aider sans savoir comment, et des entreprises souhaitent contribuer sans risques. Nous avons créé un modèle philanthropique moderne avec trois acteurs : l'entreprise qui finance, le particulier qui choisit, et l'association qui reçoit.
Comment vous assurez-vous de la fiabilité des projets associatifs qui sont sur Dift ?
Sur Dift, nous avons sélectionné une centaine d'associations selon des critères stricts élaborés en collaboration avec l'institut IDEAS (gouvernance, suivi des KPIs d'impact, qualité de gestion, etc). L'objectif est d'assurer un catalogue d'associations fiables, car le manque de confiance freine souvent les dons. Ainsi, entreprises et particuliers savent que leur contribution sera bien utilisée.
Pouvez-vous nous parler de cas concrets ?
Dans des cas d'usage typiques, les Difts peuvent être utilisés comme cadeaux de fin d'année par les entreprises pour leurs clients. On peut aussi les utiliser pour transformer des points de fidélité en dons à des associations, comme on l'a fait avec le programme All d'Accor, qui compte 70 millions de membres. Ils ont adoré cette idée, et leurs clients aussi, car ils ont l'impression de faire quelque chose de vraiment utile avec leurs points de fidélité. Le principe est de convertir leurs points en dons pour des causes associatives, ce qui n’était pas courant avant, mais fonctionne très bien.
Un autre exemple est l'opération "Mission Nature" avec la FDJ grâce à laquelle nous avons déjà réussi à aiguiller plusieurs millions d’euros pour des projets de préservation de la biodiversité.
Nous avons créé une plateforme de sensibilisation, missionnature.fr, où les projets sélectionnés par l’Office Français de la Biodiversité reçoivent des financements issus des ventes de tickets à gratter de la FDJ.
Quel est l’objectif de croissance pour Dift ?
Grâce à la technologie, nous espérons faire évoluer ce modèle à grande échelle et débloquer des milliards pour ces causes. Nous avons déjà contribué à aiguiller plus de 10 millions d'euros en deux ans, ce qui est un bon début.
Mais notre objectif est ambitieux : atteindre un milliard d'euros de dons distribués dans les cinq prochaines années. L'objectif est de créer un impact significatif et durable.
Le principe de Dift est universel et peut fonctionner partout dans le monde. En France, ce modèle n’est pas forcément évident à développer, car culturellement, ni les entreprises ni les particuliers ne sont habitués à contribuer directement au bien commun, surtout après avoir payé leurs impôts. Cependant, dans d'autres contextes internationaux, c'est beaucoup plus ancré. Notre but est de faire fonctionner Dift suffisamment bien en France pour pouvoir l'étendre à l'international.
Mon envie, c'est d'être utile à grande échelle.