Une nouvelle étude du Pew Research Center décrypte le rôle de YouTube comme canal d’information du public américain.
Le Pew Research Center a cherché à donner une photographie de l’influence de YouTube comme façonneur des actualités et des opinions d’une grande partie de la planète.
Principaux enseignements
L’étude vient confirmer le fait que les Américains vont souvent tout autant se tourner vers des chaînes YouTube indépendantes que vers des chaînes de médias établis. Et « oh surprise », les vidéos de producteurs de news indépendants sont plus susceptibles de couvrir les sujets de manière négative, et de traiter des théories du complot.
Méthodologie de l’étude, menée avant la pandémie
L’enquête du Pew Research Center a été menée du 6 au 20 janvier 2020, auprès de 12 638 adultes américains consommateurs d’actualités sur YouTube et par une analyse (et des heures de visionnage !) des chaînes d'information YouTube les plus populaires (à décembre 2019). 377 chaînes YouTube d’au moins 100 000 abonnés ont été analysées (plus de détails sur la méthodologie et les résultats complets de l’étude sur le site de référence journalism.org, édité par le Pew Research Center)
YouTube, source référente d’actualité pour les internautes américains
Selon l’étude, plus d’un quart des adultes américains (26%) affirment s’informer via YouTube. Pour 72% d’entre eux c’est une source importante d’information, et 13% la plus importante pour eux.
Un seul et unique media référent ne contrôle plus l’opinion aux Etats-Unis. Les internautes s’informent aussi facilement auprès de chaînes de médias reconnus (comme CNN, Fox News…) que de chaînes indépendantes. Ce qui se reflète dans le panel analysé par Pew Research Center. Sur les 377 chaînes d’actualités analysées, 49% sont liées à des médias établis, 42% sont des chaînes indépendantes et 9% sont affiliés à d’autres types d’organisations.
Le succès des formats vidéos longs
Détail intéressant sur le format des vidéos postées : les médias « officiels » avaient sur la période d’analyse (décembre 2019) posté beaucoup plus de vidéos que les chaînes indépendantes (33 contre 12 par chaîne en moyenne). Alors que les chaînes indépendantes postaient elles des vidéos bien plus longues (de plus de 12 minutes, contre 5 minutes pour les chaînes de « news »).
Des chaîne YouTube "incarnées"
Autre élément intéressant de la recette « indépendante », la mise en avant de la personnalité du Youtubeur ou animateur de la chaîne. Une démarche d’ « incarnation » que l’on retrouve dans la plupart des chaînes indépendantes d’actualité analysées (dans 7 chaines sur 10, avec dans 57% des cas un YouTube dont c’est la chaîne et 13% des cas des personnalités connues en dehors de YouTube). Seules 22% des chaînes de médias établis utilisent cette technique de l’ « incarnation ».
Comment les actualités sont perçues au travers de YouTube
La grande majorité des personnes interrogées explique que les vidéos d'actualité qu'elles regardent sur YouTube les aident à mieux comprendre l'actualité (66%) et qu’elles s'attendent à ce qu'elles soient largement exactes (73%). Pour 68% des répondants, ces vidéos arrivent à capter leur attention puisqu’ils les regardent généralement avec une attention dédiée, plutôt qu’en faisant autre chose.
Lorsqu’on demande à ces internautes de décrire avec leurs mots ces chaines d’information, leurs réponses concernent le contenu lui-même. Notamment le fait d’accéder à des sources d’information en dehors des médias de grande écoute, et la variété des opinions et points de vue exprimés. Ceux qui regardent les actualités sur YouTube disent rechercher aussi bien des opinions et commentaires (51%) que des information et faits (les faits « bruts », 48%).
Des résultats à mettre en parallèle du Digital News Report du Reuters Institute sur la confiance des internautes vis-à-vis des médias. Les internautes américains seraient ainsi seulement 29% à faire confiance aux médias (et seulement 23% pour les français).
Sur la France exclusivement, le 33eme baromètre de la confiance dans les médias de Kantar et La Croix, publié en janvier dernier, montrait aussi que l’intérêt des français pour l’actualité atteignait son plus bas niveau historique, avec 4 français sur 10 qui boudent l'information. Autre enseignement : les plus jeunes générations se tournent massivement vers les réseaux sociaux pour s’informer.
Les problèmes perçus par les consommateurs de news sur YouTube
Quid des craintes liées à la désinformation et aux biais politiques de certaines chaînes ? Trois internautes sur 10 considèrent ces problèmes comme “très importants”.
Mais le problème de la limitation de la monétisation YouTube pour certains créateurs de vidéos ainsi que la censure sont autant cités parmi les problèmes importants. Le harcèlement et le manque de civisme sont considérés comme des problèmes moins majeurs, 4 internautes sur 10 les listant parmi les problèmes « moyennement importants ».
YouTube, paradis des conspirationnistes ?
L’étude s’est aussi attelée à mesurer la présence des théories conspirationnistes sur les chaînes YouTube d’information. Au moment de l’analyse (décembre 2019) une attention particulière avait été portée aux sujets liés aux QAnon/ « deep state » (les théories sur une administration parallèle dirigeant les Etats-Unis), l’affaire Jeffrey Epstein, et les théories des antivaccins.
L’analyse de 3 000 vidéos postées par les 100 chaînes YouTube d’information ayant la plus forte audience montre que 4% étaient consacrées à une théorie conspirationniste. Pour les chaînes indépendantes, 14% des vidéos étaient dédiées à ces sujets conspirationnistes et 21% mentionnaient au moins une théorie du complot. Les chaînes de médias traditionnels n’avaient sur la même période consacré que 2% de leurs vidéos à au moins une théorie du complot et dédié seulement 1% des vidéos à un thème conspirationniste.
Le thème le plus traité était celui de QAnon (une théorie du complot d'extrême droite selon laquelle le président des États-Unis Donald Trump livrerait une guerre secrète contre des élites implantées dans le gouvernement - l'État profond ou Deep State). Le thème central de 8% des vidéos de chaînes indépendantes, et thème récurrent mentionné dans 14% de leurs vidéos, contre seulement 2% dans les chaînes de médias traditionnels.
Une autre étude publiée le 2 mars par des chercheurs de l’université de Californie à Berkeley et la fondation Mozilla, montrait qu’environ 4 % des vidéos recommandées par YouTube à la suite de vidéos sur des sujets d’information étaient complotistes. Ce taux était deux fois plus élevé à la fin de 2018. Une preuve que Google a depuis modifié l’algorithme « Watch Next » de YouTube suggérant ces vidéos.
Être négatif est une qualité sur YouTube
Les chaînes indépendantes se distingues aussi des médias traditionnels par leur ton. En analysant les 100 chaînes d’actualité les plus populaires, les chercheurs de Pew Research Center ont ainsi remarqué que leurs vidéos avaient un ton négatif vis-à-vis du sujet traité dans 22% des cas (contre 4% un ton positif).
Mais ce ton négatif semble être la marque de fabrique des chaînes YouTube indépendantes de news : 37% de leurs vidéos adoptaient un ton négatif, contre seulement 17% des vidéos de médias traditionnels. Un choix conforté par les audiences, puisque les vidéos négatives avaient reçu en moyenne 184 000 vues contre 172 000 vues pour des vidéos au ton neutre et 117 000 vues pour des vidéos au ton positif.
L’Europe a droit à un traitement de faveur sur YouTube
Depuis plusieurs mois, Facebook, Twitter et Google/YouTube mettent en place différentes mesures pour lutter contre la désinformation et les tentatives d’ingérence étrangères. Sur le YouTube français et dans divers pays européens, un « label de transparence » a ainsi été lancé depuis les élections européennes de 2019, pour signaler les sources de financement des médias et indiquer les organismes publics. (exemple ci-dessous avec la Chaine TV5 Monde)
Séverine Godet